L'année 2025 sera-t-elle celle de Wes Anderson ? Deux ans après Astéroïd City, le réalisateur s'apprête en tout cas à revenir sur les écrans avec The Phoenician Scheme (date de sortie à venir), un film d’espionnage au casting 5 étoiles (Benicio Del Toro, Tom Hanks et Charlotte Gainsbourg, entre autres). En attendant, on pourra découvrir, à la Cinémathèque de Paris, la première exposition dédiée au prolifique Texan(1). L'occasion de se plonger, à travers une sélection d’accessoires, de costumes, d'extraits de films et de musique, dans l'univers chatoyant et décalé de Wes Anderson. Loin de la polémique autour de la projection du Dernier tango à Paris de Bernardo Bertolucci, qui a récemment agité le temple du 7e art (2).
Une esthétique andersonienne
"C’est un cinéaste très populaire, notamment en France", explique Matthieu Orléan, commissaire de l’événement coproduit avec le Design Museum de Londres. "The Grand Budapest Hotel, l’un de ses plus grands succès, est resté gravé dans l’imaginaire collectif. Le public reconnaît d’ailleurs parfaitement ses codes esthétiques. Et puis, il y a aussi son côté élégant, presque dandy, qui en fait l’un des rares réalisateurs de sa génération à être reconnu dans la rue comme une rock star."
Costumes en velours, cravate, Wes Anderson, 55 ans, peaufine son look un peu old school comme celui des héros de ses films. Inclassable. "On ne sait pas trop dans quelle catégorie le ranger", reconnaît Matthieu Orléan. Son œuvre, empreinte de mélancolie et de nostalgie, parle de l’éclatement de la famille, de la guerre, de l’impossibilité de créer... "Wes Anderson dit souvent que son objectif premier consiste à raconter des histoires", reprend le commissaire. "Chez lui, le style est toujours au service de l'émotion, mais rien n’est laissé au hasard, c’est un obsessionnel qui pense chaque détail pour composer un univers global."
Sa palette de teintes vives et saturées – le rose et le violet dans The Grand Budapest Hotel –, ses images composées de manière symétrique et une forme d’excentricité un peu vintage estampillent l’esthétique "andersonienne", devenue un phénomène de mode.
Hasard ou coïncidence, les podiums du printemps-été 2025 regorgent de pastels (Erdem), de manteaux 60’s (Versace), de robes à col Claudine et de détails preppy (les shorts façon Moonrise Kingdom chez Miu Miu). Même la première collection d’Alessandro Michele pour Valentino, avec ses manteaux de fourrure, grandes chaussettes et sac de dame, semblait taillée pour Margot Tenenbaum, la fille adoptive de La Famille Tenenbaum (2001) – film culte pour la mode s’il en est – avec son manteau conçu par Fendi et son sac Birkin.
Comment expliquer une telle fascination ?
"Ce que j’aime dans le cinéma de Wes Anderson, c’est sa sensibilité aux archétypes", raconte Guillaume Henry, directeur artistique de Patou. "Chez lui, l’habit fait le moine, les costumes sont donc pensés pour révéler la psychologie des personnages avec un sens presque fétichiste du détail." Ainsi, le vêtement fait-il partie de la construction narrative. Dans La Vie aquatique, par exemple, porter des Gazelle Adidas et un bonnet rouge, comme la team de Steve Zissou, est une manière de faire famille, à défaut de trouver sa place parmi les siens.
“Chez lui, l’habit fait le moine, les costumes sont pensés pour révéler la psychologie des personnages.” Guillaume Henry, directeur artistique de Patou
Milena Canonera, la costumière fétiche de Wes Anderson, récompensée d’un Oscar pour The Grand Budapest Hotel en 2015, confirme l’approche du réalisateur. "Une fois décidé le look d’un personnage, il aime qu’on le répète en ne le changeant presque pas. Il appelle cela le hero look", confiait-elle au magazine Numéro. Des blazers bleu marine de Rushmore aux robes de lolita de Moonrise Kingdom, Wes Anderson revisite les uniformes de l’enfance pour mieux raconter avec humour le monde des adultes. "J’adore la manière dont il rend hommage à l’enfant qu’il était, poursuit Guillaume Henry. Pour lui, l’âge ingrat, c’est celui des adultes. Il y a un côté intemporel et naïf dans ses films qui me fait penser aux contes."
Souvent, ce passé rêvé fait ressurgir l’élégance des années 50 et 60, comme dans The French Dispatch et Asteroïd City. "Cela lui permet de rendre hommage au cinéma qu’il aime, celui de la Nouvelle Vague, de l’Actors Studio", poursuit Matthieu Orléan.
Chic, cultivé, loufoque, sans être délirant, sophistiqué, mais accessible, touchant toutes les générations, Wes Anderson est donc fatalement devenu la coqueluche de la mode. Et surtout un ami proche et fidèle de Miuccia Prada, avec laquelle il partage une certaine communauté de goûts : un tropisme pour une excentricité décalée et intello, un fétichisme pour les uniformes et une forme de romantisme pudique.
Après l’avoir sollicité pour réaliser le mini-film du parfum Candy en 2013, la griffe a financé son court-métrage Castello Cavalcanti, avant de lui commander la déco pop du Bar Luce de la Fondation Prada, en 2015. Mais ce succès comporte également son revers. Les nombreux hommages ont parfois simplifié jusqu’à la caricature son propos. Des vidéos montrant des personnages traversant des situations quotidiennes de manière impassible sur une musique d’Alexandre Desplat, ou des clichés "à la manière de" reprenant les couleurs andersoniennes auront ainsi enflammé les réseaux sociaux ces dernières années.
Quant à @AccidentallyWesAnderson, un compte Instagram sur lequel les fans postent des photos de paysages ou d’architecture évoquant son univers, il a déjà donné naissance à deux livres et des expositions.
Sans doute ce succès tient pour partie à la séduction irrépressible de ses images. Mais Wes Anderson est loin de se résumer à cela. "C’est un réalisateur très artisanal, capable de faire des films en stop motion, d’organiser un concours de dessin d’enfant pour être au plus près de son personnage" poursuit Matthieu Orléan. Cette exposition cherche donc à montrer l’envers du décor, à restituer l’émotion d’un tournage. Mais prouve aussi que le style Wes Anderson n’a pas fini d’inspirer.
1. Du 19 mars au 27 juillet. cinematheque.fr
2. Sous la pression des associations féministes, qui demandaient une contextualisation avant la diffusion, l’institution a choisi d’annuler la projection du Dernier Tango à Paris, dans lequel Maria Schneider subit un viol.