En classe de sixième, le "Vendée" l’animait déjà. Si Violette Dorange, la plus jeune skippeuse à avoir jamais dompté l’Everest des mers, ne se souvient pas de ce rêve d’ado exprimé à haute voix, ses camarades de collège ne l’ont certainement pas oublié.
C’est une des nombreuses anecdotes que l’on retrouve dans le documentaire intime Devenir (réalisé par Julien Touzaint), disponible depuis ce mercredi 2 avril 2025 sur la plateforme de streaming Disney +. Via un film de 52 minutes aussi puissant que touchant, on suit le parcours de la prodige de la voile, plusieurs mois avant d’embarquer pour son premier tour du monde en solitaire, à seulement 23 ans.
D’obstacles en explosions de joie, elle nous fait naviguer jusqu’à la ligne de départ d’une course qui a fait d'elle un phénomène populaire.
L'amour du partage et de l'océan
Si elle rit d’être "tout le temps en retard" dans Devenir, c’est bien à l’heure que nous retrouvons Violette Dorange, dans le 16e arrondissement de Paris en ce jour de sortie, pour un échange tout sourire. Pas de doute, la communication, c’est son fort. D’ailleurs, aux prémices de son projet fou conté sur écran, elle en fait son cheval de bataille.
Depuis sa traversée de la Manche (elle a été la première femme à rejoindre Cherbourg à partir de l'île de Wight, en Optimist), en 2016, alors qu’elle n’avait que 15 ans, elle documente la plupart de ses sorties en mer et des tempêtes qu’elle affronte, sur terre, pour concrétiser ses rêves.
"Ça a toujours été une priorité de partager tout ça, parce que j'adore être créative, faire des dessins, mes montages de vidéos YouTube, des vlogs où je montre un petit peu ma vie de tous les jours dans la préparation des projets...", débute-t-elle. Sur son temps libre, elle s'imprègne du travail de Léna Situations, de Mathieu Blanchard ou encore de Lost in the Swell.
Mais derrière son côté imaginatif réside surtout une volonté de transmettre des valeurs. "C'est aussi un moyen de donner envie, aux jeunes, comme aux moins jeunes, de bouger, de sortir de sa zone de confort. Et, en parallèle, de partager toutes les belles choses que je rencontre, pour que les gens puissent s’évader, profiter de l’océan".
De l'importance de documenter les tempêtes
Si elle a l’habitude d’embrasser la transparence sur ses réseaux sociaux, elle se montre aussi vulnérable dans son documentaire. Au milieu du film, on la retrouve les yeux humides, pour parler désillusion : un potentiel partenaire vient de lui faire faux bond, une "troisième fausse joie" difficile à encaisser. Puis, vient la peur, quand, en pleine course (The Transat CIC, qualificative pour le Vendée Globe), la météo se fait capricieuse.
S’il n’y a que des succès, on donne l'impression que la victoire n'est pas atteignable.
Des coups durs rarement rendus publiques, à l’heure où seuls les succès sont célébrés. Pourtant, pour la jeune femme, il est primordial de montrer le revers de ses médailles. "Je n’y suis pas arrivée du jour au lendemain. Je n'ai pas eu un gros sponsor qui est arrivé et qui m'a dit : 'maintenant, tu as les clés du bateau et tu peux partir'. Ça a vraiment été une bataille jusqu'au bout", appuie la championne.
Visibiliser les "vrais échecs avant les belles victoires", pour montrer à tous.tes que la persévérance paye. "S’il n’y a que des succès, on donne l'impression que la victoire n'est pas atteignable. Mais ce chemin, il est essentiel. Et il faut que les gens le voient, pour qu'ils se rendent compte qu'ils peuvent aussi relever des défis qui paraissent insurmontables".
Une notoriété inattendue
Son défi à elle : un tour du monde en solitaire, avec très peu de contact extérieur. Et alors qu’elle se confrontait à la compétition la plus redoutée (et rêvée) de tous.tes les skipper.uses, elle ne voit pas la popularité qu’elle gagne sur les réseaux sociaux.
"C'est vrai qu'avant le départ, on a senti que notre projet commençait à gagner en visibilité. Mais quand je suis partie en mer, j'ai passé trois mois sans réseaux sociaux. J'avais des échos parce que j'ai appelé ma famille. Ils m'ont dit que c'était fou, qu'il y ait telle personne qui me suivait désormais sur les réseaux, des choses comme ça... Mais j'avais du mal à réaliser", se souvient-elle.
"Sa popularité a d’abord été un empilement de chiffres à faire tourner la tête aux community managers : 50 000 sur Instagram à l’ouverture du village, 100 000 le jour du départ et 557 000 aujourd’hui ! Ils sont 204 000 sur Tiktok, 420 000 sur Facebook, la chanteuse Angèle et le nageur Léon Marchand font partie de ses followers… Jamais un skipper n’avait suscité autant d’adhésions sur les réseaux sociaux", soulignait d'ailleurs le site du Vendée Globe, à son arrivée sur la terre ferme, le 9 février dernier (au moment de l'écriture de ces lignes, la sportive cumule désormais 657 000 abonnés sur Instagram).
Quand je suis revenue, rien n'était plus pareil et c’était assez fou.
C'est d'ailleurs cette entrée "de dingue", dans le chenal des Sables d'Olonne, où pas moins de 100 00 personnes l'ont acclamée, qui la marque profondément. "C’est là que j’ai pris conscience de l’ampleur de la chose. Quand je suis revenue, rien n'était plus pareil et c’était assez fou".
Sa priorité - bien qu’elle admet qu’une certaine pression se crée face à une telle communauté - : garder son authenticité. "Parce que c'est ce qui a aussi touché le public et qui plaît aux personnes qui m'ont suivie. Et tant pis si ça plaît peut-être un peu moins", sourit-elle.
Un documentaire pour se souvenir
Se raconter au travers des écrans de téléphone ou de télévision, c'est aussi un moyen, pour la jeune femme, de nourrir le souvenir. Des images qui sont chères à son cœur et qu'elle se réjouit de pouvoir garder à jamais.
"Devenir, c'est le meilleur souvenir que je puisse avoir de mes deux ans de préparation. Il y a des moments clés, notamment celui du ponton, où je fais mes au revoir à ma famille : il y avait tellement d'émotions au départ que je n'ai pas retenu tout ce qui s'est dit, les visages des gens... Le fait de pouvoir revoir le tout me permettra de toujours revivre ce moment gonflé d'amour".
Et à peine un rêve réalisé, que Violette Dorange s'attaque au prochain. Cette année, elle sera la co-skippeuse de son modèle de toujours, la Britannique Samantha Davis, à l'occasion de la Transat Café L'Or, à l'automne. Nul doute, la navigatrice n'est plus une championne en devenir.