"Brigitte Macron est née homme." C’est par cette affirmation que commence une série de huit vidéos, chacune de plus de quarante minutes, de Candace Owens, youtubeuse américaine conspirationniste et trumpiste aux 4 millions d'abonnés, pour "démontrer" que Brigitte Macron et son frère, Jean-Michel Trogneux, seraient la même personne.
Durant sept heures d'investigations supposées, publiées début février 2025, Candace Owens étale un nombre ahurissant de fausses informations, et croise des sujets aussi différents que la cérémonie d’ouverture des JO, les rumeurs d’homosexualité d’Emmanuel Macron... Pour elle, tout est lié, et le couple présidentiel français aurait tout fait pour l’empêcher de dévoiler ce terrible secret.
Des vidéos complotistes visionnées des millions de fois
Chaque épisode de cette série complotiste "Becoming Brigitte" a été visionné plusieurs millions de fois. Dans les commentaires, de nombreux Américains, mais aussi des Français la remercient de révéler au monde ce qu’ils croient être un vaste complot mondialisé.
Le Français Xavier Poussard, qui se présente comme un "journaliste d'enquête" a même autopublié le 21 février dernier en France un ouvrage intitulé Devenir Brigitte. Un mois plus tard, le livre validé par Candace Owens, dixit sa couverte, fait toujours partie des "meilleures ventes" sur Amazon. "Produits fréquemment achetés ensemble" suggérés par la plateforme ? On n'a jamais marché sur la lune : l'imposture Apollo et
L'infox transphobe sur Brigitte Macron et sa supposée transidentité cachée n’est pas nouvelle, de nombreux "articles" ou vidéos d'internautes circulent depuis plusieurs années sur X (ex-Twitter). Les "transvestigateurs" sont parfois des utilisateurs anonymes, et pas seulement des comptes influents.
En 2021, deux Françaises qui avaient propagé sur Internet cette fake-news, aujourd'hui virale jusqu'aux États-Unis, ont été reconnues coupable mi-septembre dernier de diffamation publique. Condamnées à payer 8 000 euros de dommages et intérêts à la Première Dame, et 5 000 euros à son frère - tous deux parties civiles - elles avaient parlé de Brigitte Macron, qui avait porté plainte, comme d'une "escroquerie", d’une "tromperie" et d’un "mensonge d'État".
C'est cette idée qu’il existe un lobby trans et qu'il bénéficierait d’un soutien financier (complotisme antisémite) pour pousser les personnes et les enfants à transitionner, afin de détruire la civilisation occidentale.
Pour Maud Royer, autrice de l’essai Le lobby transphobe (éditions Textuel, 2024), qui décortique notamment les rhétoriques transphobes dans l’espace médiatique, cette obsession s’inscrit dans un contexte global, celui d'"affirmer que des personnes trans font partie des dirigeants mondiaux et cachent le fait d’être trans". "C'est cette idée qu’il existe un lobby trans et qu'il bénéficierait d’un soutien financier (complotisme antisémite) pour pousser les personnes et les enfants à transitionner, afin de détruire la civilisation occidentale."
Ces pseudo-enquêtes pour dévoiler les transidentités supposées de femmes de pouvoir aussi appelées "transvestigations", visent donc des politiques, à l'instar de Kamala Harris, l’ancienne première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern, ou Michelle Obama, mais aussi des artistes mondialement connues, Angelina Jolie, Lady Gaga, ou Beyoncé par exemple, et des sportives, comme le la boxeuse algérienne Imane Khélif, victime d'une vague de haine transphobe après sa victoire aux JO de Paris.
Un symbole du virage très conservateur des États-Unis
Un brushing parfait, des plans soignés, du matériel professionnel… Candace Owens n’est pas une amatrice. L'influenceuse très suivie de 35 ans, qui se présente comme commentatrice politique, est un soutien affirmé du président Trump.
Ouvertement contre l’avortement, le mouvement Black Lives Matters ou le soutien à l’Ukraine, elle est aussi persuadée que personne n’est jamais allé sur la lune et que les dinosaures n’ont jamais existé.
Depuis le retour à la Maison Blanche de Donald Trump, les complotistes-stars ont le vent en poupe et font même partie de la garde rapprochée du président, alimentant les discours ouvertement réactionnaires du chef des États-Unis.
"Les réactionnaires américains s’attaquent à la transidentité dès les années 2018-2019", rappelle Maud Royer. "Avec Trump au pouvoir, ils ont la porte ouverte pour tenter d’influencer la politique à l’étranger avec cette question. De manière générale, il y a une tentative des Américains conservateurs de soutenir tous les conservateurs mondiaux et les complots qui vont avec."
Une rhétorique transphobe, mais aussi raciste et homophobe
Pas plus tard que l’été dernier, des accusations similaires avaient entaché la compétition de la boxeuse algérienne Imane Khelif. Jugée trop masculine, trop forte pour sa catégorie, les réactionnaires du monde entier, d’Elon Musk à JK Rowling en passant par Georgia Meloni, l’avaient insultée et avaient remis en doute son genre.
"Cela s’inscrit dans une misogynie systémique dans le sport, avec cette idée de réguler la féminité, de poser des limites. Depuis longtemps, les femmes noires ou arabes, qui dépassent des taux hormonaux fixés sur des femmes blanches, ont été exclues ou suspendues de compétition. Ce fut aussi le cas pour les femmes lesbiennes dès les années 90. Le croisement des LGBTIphobies et du racisme dans le sport pour nier à certaines femmes leur appartenance à la catégorie des femmes est très ancien", décrypte Maud Royer.
Aline* (prénom modifié à sa demande), 28 ans, joueuse de basket amatrice à Paris, raconte avoir subi les mêmes intimidations lors de ses années lycéennes en sport-étude basket. "Comme j’étais noire, et qu'en plus j’étais douée, j’ai entendu beaucoup de rumeurs circuler à mon encontre", se souvient-elle. "On m’accusait d’être un mec infiltré, on me soupçonnait d’être lesbienne et de mater les filles dans les vestiaires." Dégoûtée, elle a arrêté son sport après le lycée, pour le reprendre dans une équipe amatrice il y a trois ans.
Avait-elle compris qu’il s’agissait aussi de transphobie ? "Non", se rappelle-t-elle, "à l’époque, je ne savais même pas ce qu’était la transidentité, et je suis sure que mes camarades non plus. De mon côté, j’avais honte qu’on puisse remettre en doute ma féminité, je faisais exprès d’accentuer mon maquillage et de porter des longues tresses pour les contredire."
Une offensive réactionnaire au-delà de la transphobie
Du côté des conservateurs américains, la transphobie a été l’un des segments de la campagne présidentielle de Donald Trump, avec comme fameux slogan "Harris is for they/them, Trump is for your" (Harris est pour iel, Trump est pour vous).
Les idées transphobes infusent aussi dans certaines sphères féministes, avec comme figure de prou l’autrice de la saga Harry Potter, JK Rowling.
En France, les sphères transphobes ne sont pas encore aussi présentes dans l’espace médiatique, estime Maud Royer, notamment grâce à un positionnement clair des mouvements féministes. "La question des droits des personnes trans ces dernières années s’est assez rapidement clarifiée, sur un axe gauche / droite traditionnelle, progressiste VS conservateur et c’est une bonne chose", selon l'autrice.
"En 2012, sur la question des droits des personnes homosexuelles et du mariage pour tous, l’opposition d’une partie de la gauche était plus importante et plus audible que l’opposition des droits des personnes trans aujourd’hui, c’est une victoire politique d’avoir fait comprendre aux progressistes que les droits des personnes trans sont importants." À la question de savoir si la transphobie peut devenir un argument de campagne comme aux États-Unis, l’autrice est catégorique : oui, mais le camp progressiste, s’il reste clair sur ses positions, peut l’empêcher.
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