Attention, cet article contient des spoilers.
Après avoir remporté un BAFTA le 16 février dernier, le Français Pierre-Olivier Persin et son équipe ont eu l'honneur de se voir décerner le très convoité Oscar des meilleurs maquillages et coiffures pour le film The Substance, ce dimanche 2 mars 2025 à Los Angeles.
Marie Claire avait eu la chance de rencontrer le maquilleur effets spéciaux il y a quelques mois, dans son atelier de Montreuil. L'occasion de découvrir ses créations réalisées pour Le Comte de Monte Cristo ou Game of Thrones, mais aussi les prothèses utilisées pour The Substance. Sorti en salles en novembre 2024 et réalisé par la Française Coralie Fargeat, ce film gore et féministe avec Demi Moore et Elizabeth Qualley suit les déboires d'une star de la télévision qui succombe à la prise d’une substance mystérieuse pour retrouver la jeunesse que lui réclame Hollywood.
Marie Claire : comment s’est déroulée la collaboration entre Coralie Fargeat, la réalisatrice du film, et vous ?
Pierre-Olivier Persin : Les discussions artistiques se sont principalement déroulées avec elle. Nous avons fait une lecture technique ensemble qui a pris plusieurs jours pour - séquence après séquence - comprendre encore plus en détail ce qu'elle voulait obtenir.
Ensuite, mon travail a été de visualiser en faisant des maquettes, des Photoshop, des sculptures digitales, des sculptures traditionnelles pour chaque personnage ou chaque transformation. Donc, en partant par exemple de Demi Moore, de son visage et du scan de son corps qu'on a fait, on pouvait vraiment proposer des designs adaptés à elle.
Je les proposais et Coralie pouvait choisir certaines parties, mélanger, demander des modifications. À partir de là, j’ai commencé à fabriquer les éléments, les prothèses et les maquillages tests pour voir comment cela rend sur les comédiens.
Les actrices du film ont dû porter les prothèses pendant des heures. Comment faites-vous pour que cela ne soit pas gênant pour elles lors du tournage ?
Je suis toujours très attentif. Je filme toujours les acteurs ou les actrices en train de bouger le visage, en train de faire des grimaces quand ils/elles viennent à l'atelier au moment où je fais leur prise d'empreintes ou leur scan, cela me permet au moment de la sculpture de créer des choses qui bougent avec leur visage. L'idée, ce n'est pas de les entraver ou de les bloquer dans leur jeu, même si on réalise un truc complètement délirant au final.
J’utilise un matériau qui est très souple pour que les acteurs puissent jouer sans être trop gênés. Il est très important que le jeu ne soit pas entravé par les prothèses.
Les transformations physiques sont impressionnantes et nombreuses dans le film. Combien de temps cela vous a-t-il pris de créer les prothèses spécialement pour The Substance ?
Le projet pour The Substance était énorme. Il y a une partie fabrication à l'atelier et la partie tournage où l’on vient appliquer ces prothèses. Au total, cela nous a demandé presque un an de travail.
Dans une scène, Elisabeth et Sue (les personnages interprétés par Demi Moore et Elizabeth Qualley, ndlr) sont allongées nues au sol avec le dos ouvert. Il s’agit en réalité de faux corps. Comment faites-vous pour recréer un grain de peau aussi réaliste ?
Je savais que Coralie souhaitait filmer en très gros plan les fausses peaux, et on ne voulait surtout pas que cela fasse trucage à ce moment-là.
On a passé beaucoup de temps à recréer, pore par pore, la texture de la peau, à recréer tous ces petits détails, ces petites ridules, ces petits volumes, ces petits creux.
Il n'y a pas un fond de teint magique qui recrée la couleur de la peau. On applique couche après couche, tout un tas de couleurs : des couleurs chair, du rouge, du jaune, du vert, du bleu, des couleurs un peu ocres… Et pour recréer toutes les imperfections, toute la richesse de la peau, on est plus proche du pointillisme que de l'aplat.
On voit même la cellulite sur les cuisses. Est-ce une volonté de la part de la réalisatrice ?
C'était une réelle volonté de Coralie. Ce sont des détails que l’on aurait peut-être gommés sur un autre film. Là, Coralie voulait laisser les corps bruts, réalistes. Ça voulait dire quelque chose. Rien n'a été laissé au hasard. On discutait avec Coralie jusqu'à la moindre ride, la moindre imperfection.
Dans le film, vous avez participé à vieillir Demi Moore de manière impressionnante. Il peut être difficile pour une actrice de se voir ainsi, comment a-t-elle réagi en se voyant aussi vieillie ?
Elle était super, il n'y avait aucune pression. Au début, on ne connaît pas les gens, donc on se dit, j'ai Demi Moore entre les mains, comment cela va-t'il se passer ? On sait qu’elle est concernée par le diktat du jeunisme, donc cela peut être délicat. Mais finalement, elle était à fond dans cette transformation.
À l’ère du numérique, en quoi le métier de maquilleur effets spéciaux est-il toujours aussi important ?
Il demeure toujours aussi important pour plusieurs raisons. D'abord, pour les comédiens qui jouent et les comédiens qui sont face à lui. Ils ne regardent pas quelqu'un avec des points de tracking sur le visage ou dans une combinaison verte où l’on doit faire quand même preuve d'une certaine abstraction. Il joue face à une vraie personne transformée.
J'ai souvent vu aussi des acteurs qu'on maquillait pendant 4 ou 5 heures pour les vieillir ou faire des femmes enceintes, par exemple, et qui changeaient de comportement au fur et à mesure de la transformation. Plus le maquillage avançait, plus il adoptait l’attitude du personnage.
Il y a une transformation intérieure qui se fait en même temps que l'extérieur. Je pense que toutes ces choses-là nécessitent une approche pratique aussi, et pas que virtuelle.
Votre travail sur ce film est colossal. Regrettez-vous qu’il n’existe pas un prix en France récompensant le maquillage sur un film ?
Il est vrai qu'en France, nous ne travaillons pas pour la récompense. Cela dit, on est une grande nation de cinéma et c'est le seul pays, je pense, à ne pas récompenser le maquillage, la coiffure et les prothèses. Il y a des dizaines de films qui reposent sur le maquillage, les coiffures, les prothèses, ou les trois en même temps... Une récompense permettrait de mettre en lumière notre métier.