Depuis H&M et Karl Lagerfeld en 2004, les chaînes de prêt-à-porter adorent convier les designers dans les rayons de leurs magasins. Ces derniers mois, & Other Stories a ainsi travaillé avec Roksanda Ilincic, Zara a convié Stefano Pilati et Desigual a sollicité Collina Strada. Des créateur-rice-s déjà bien installé-e-s dans l’industrie du luxe.
Mango a choisi de prendre un autre parti : celui de lancer une plateforme à destination des jeunes talents. La première à s'associer avec l’enseigne espagnole ? Supriya Lele, une Londonienne qui a initié une marque à son nom juste après avoir décroché son diplôme au Royal Art College en 2017. Depuis, elle a fait partie des finalistes du prix LVMH en 2020 et a participé à plusieurs reprises à la Fashion Week de Londres. Rencontre.
Marie Claire : Si vous pouviez décrire votre travail en trois mots ?
Supriya Lele : Cérébral, sensuel et moderne.
Vous avez étudié l’architecture avant de vous orienter vers la mode. Cela a-t-il influencé votre rapport au corps ?
La mode, la sculpture et l’architecture sont trois pratiques multi-dimensionnelles. Ces domaines sont liés, donc les études que j'ai suivies m’ont aidé à affiner mon sens des proportions et de l’espace. J’ai l’impression qu’il y a toujours quelque chose d’architectural dans la manière dont mes looks sortent du studio. Les longueurs, les formes qui m’attirent sont sûrement liées à ce parcours. Je travaille sur le corps d’une certaine façon, avec des codes qui n’ont pas vraiment évolué depuis mes débuts.
Justement, depuis que vous avez lancé votre marque en 2017, qu’est-ce qui a changé dans la mode ?
Tant de choses ! Le Covid-19 et le Brexit ont eu un véritable impact sur l’industrie, surtout pour les designers émergents. Nous essayons de survivre à ces changements globaux, qui sont particulièrement difficiles à naviguer. Mais d’un autre côté, ces challenges nous permettent de faire fleurir notre créativité. Par exemple, après la pandémie de coronavirus, nous avons trouvé de nouvelles manières de montrer nos collections, de nous exprimer et de faire parler notre créativité. Aujourd’hui encore, c’est très artisanal, un peu do it yourself et complètement underground.
Qui est la femme Supriya Lele, votre muse ?
Je travaille avec des femmes incroyables, ce sont elles, les muses de Supriya Lele. Celles qui achètent mes vêtements m’inspirent aussi énormément.
Ces derniers mois, de nombreuses maisons de luxe ont nommé leurs nouveaux-elles directeur-rice-s artistiques et la plupart sont des hommes. Quelles sont vos opinions sur le sujet ?
Je pense que c’est plus important que jamais d’avoir une perspective féminine, d’être représentées. Être une femme qui imagine des vêtements pour les femmes, c’est l'expression d'une compréhension mutuelle qui est capitale.
En préparant cette interview, j’ai lu énormément d’articles qui mentionnent votre héritage indien et votre adolescence en Grande-Bretagne. Comment cette double culture se reflète-t-elle dans votre travail ?
Je suis née et j’ai été élevée au Royaume-Uni par une famille indienne. Ma griffe est basée sur cette dualité. C’est une conversation créative sur l’interprétation de ces codes culturels, un dialogue constant dans mon travail. En réalité, je ne me sens ni pleinement anglaise, ni pleinement indienne, j’ai un pied dans chacune de ces identités, ce qui a complètement influencé ma vision du vêtement.
Jusqu’ici, quel est votre plus grand accomplissement ?
Tout ! Je n’ai aucun regret, au contraire. Je suis fière de mon parcours qui a été dingue, mais aussi très fun. Je me sens particulièrement reconnaissante.
Parlons un peu de Mango. Quelle était votre relation à la marque avant d'entamer votre collaboration ?
Évidemment, je la connais depuis longtemps, c’est une référence en termes de prêt-à-porter. J’y ai toujours trouvé des fringues super, mes amies aussi étaient clientes… Alors lorsque mon agent a commencé à discuter avec les équipes de la chaîne, j’étais très excitée par cette idée.
Comment avez-vous pensé les 34 pièces de cette ligne, baptisée "A Summer Reverie" ?
Nos échanges ont commencé en octobre 2024. Mango m’a confié les rênes en termes de vision et de création. La ligne a été développée à Barcelone. C’était un projet hyper chouette, autour duquel tout le monde était parfaitement aligné. C’est pour ça que le résultat est si joli (rires).
Comment décririez-vous la ligne ?
Elle est fun, un peu coquine, espiègle, sensible, forte, portable, versatile, moderne… Je pense qu’elle est brillante (rires). Je suis obsédée par l’ensemble de la collection, il n’y a pas une pièce que je n’aime pas.
Je dirais que le look phare est celui composé du legging noir à découpes et du débardeur blanc côtelé. Cette silhouette résonne beaucoup avec ce que je conçois pour ma propre griffe.
Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés pendant la conception des vêtements ?
Franchement, il n’y en a eu aucun. Nous les avons élaborés à partir de mes créations, nous avons choisi les tissus ensemble… Avoir accès à toutes ces ressources était vraiment une expérience géniale. Par ailleurs, c’était la première fois que je produisais des chaussures et des sacs à main.
Qu’est-ce que cela vous a fait d’être la première invitée de Mango Collective ?
Bénéficier d’une exposition à une telle échelle, c’est incroyable. D’habitude, lorsque je présente mes vêtements, c’est extrêmement niche, restreint à la semaine de la mode londonienne. Cette fois, mes créations ont été vues à l’international, je reçois des messages du monde entier à ce sujet, c’est une expérience formidable. Mango, peut-on lancer une seconde collection ?