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Somatiser, des maux psychiques aux douleurs physiques

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Qu'est-ce que la somatisation ? Jusqu’à quel point notre mental influence-t-il notre santé ? Comment traiter ces bobos du corps qui nous parlent des bleus de l’âme ? Lumière sur ces liaisons douloureuses qui ne demandent qu’à s’apaiser.

Camille fait partie de la grande famille somatisante abonnée au calvaire des parcours de soins sans issue. "Depuis deux ans, j’ai régulièrement des douleurs aiguës à la poitrine, couplées à une difficulté à respirer", raconte cette quinquagénaire qui fréquente assidûment le service des urgences de sa ville.

Radiographie et scanner des poumons, IRM du thorax, tests allergiques… rien n’émerge côté diagnostic. Sa fille finit par remarquer que ces crises pointent toujours au même moment : la veille de chaque examen médical inscrit au suivi d’une tumeur à l’estomac en cours de traitement. Bingo : les manifestations physiques de l’anxiété se calment en quelques semaines grâce à la prise d’un antidépresseur couplée à une consultation hebdomadaire chez un psychiatre. 

Troubles psychosomatiques 

Crises d’eczéma, lumbago à répétition, acouphènes, coliques… Les professionnels de la santé connaissent bien ces vrais faux malades qui hantent cabinets médicaux et centres d’examens, trimballant d’un spécialiste à l’autre des symptômes récurrents ou chroniques sur lesquels aucun diagnostic grave n’est jamais posé.

Pour le corps médical, ces troubles orphelins d’explication sont dits psychosomatiques. Si certains commencent à les considérer comme la métabolisation de tensions émotionnelles, nombre de médecins les cantonnent encore au statut d’énigmes, voire d’état d’âme, en dépit de la souffrance des patients.

Un large éventail de symptômes

Evénements pénibles de la vie, non-dits et autres stress auraient ainsi une influence concrète sur notre corps. A en croire le Dr Daniel Scimeca, médecin homéopathe et auteur de nombreux livres, les femmes somatisent en masse au niveau du ventre (colopathies, problèmes gynécologiques).

L’homme, développe surtout des troubles du thorax (ulcère, infarctus). Ces tendances issues des travaux du célèbre psychanalyste Wilhelm Reich tendent toutefois à se brouiller. "Les femmes font de plus en plus d’infarctus mais le ressentent différemment des hommes ; elles perçoivent une sensation de malaise dans le thorax et une envie de pleurer plutôt qu’une douleur irradiant le bras droit", distingue le Dr Scimeca.

Dans l’ordre des maladies psychosomatiques courantes, viennent ensuite les problèmes de peau - eczéma en tête, puis, pêle-mêle, douleurs vertébrales ou dorsales, migraines, nausées, crampes, asthme. Depuis quelques années, les plaintes croissantes de douleurs articulaires inexpliquées se multiplient en consultation.

Un corps médical encore trop peu sensibilisé

"Si les examens de rigueur ne révèlent aucun signe alarmant, les médecins renvoient trop souvent leur patient avec un simple rassurez-vous, vous n’avez rien", déplore le Dr Scimeca. "Mieux vaut lui signifier que ses symptômes ne correspondent pas à une maladie grave, formule moins culpabilisante, avant de chercher une explication et une solution à la douleur qui reste réelle".

Pour le professionnel, le travail de la médecine n’est pas de soigner des maladies – mission des scientifiques - mais des patients, donc de la souffrance ; des progrès restent à faire dans l’écoute et la prise en charge. "Il n’est pas évident de faire le lien entre plaintes de douleur et détresse psychologique car celle-ci n’est pas toujours accessible au premier abord", approfondit le professeur Antoine Pelissolo, chef du service psychiatrie à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil.

Quand l’esprit ne va pas bien, il dérègle le corps, qui perturbe le psychisme dans la foulée

"L’émotion n’est pas abstraite, elle a une action physiologique dans le corps via les hormones", précise Michel Odoul, psycho-énergéticien et fondateur de l’Institut Français de Shiatsu. "Une partie du corps médical en a vraiment conscience, et ne considère plus, par confort, la somatisation comme une corbeille où atterrit tout ce que l’on ne comprend pas", salue cet homme multi casquettes qui intervient chaque année dans le DU (diplôme universitaire) "Médecine, méditation et neuro-sciences" à Strasbourg.

Des effets concrets sur l’organisme

D’après Michel Odoul, qui est aussi l'auteur du célèbre bestseller Dis-moi où tu as mal et je te dirai pourquoi (Albin Michel), les hormones déclenchées par le stress se dégradent, deviennent des radicaux libres, induisent une acidification des articulations, des spasmes musculaires.

A la longue, le phénomène peut déclencher un malaise vagal, des hallucinations auditives ou visuelles. Double peine : les émotions peuvent être extrêmement immuno-déprimantes. En abaissant les défenses de l’individu, elles ouvrent alors plus facilement la porte à un virus, un microbe ou une manifestation physique fonctionnelle (palpitations, eczéma).

Les symptômes physiques sont intimement liés à la pensée et aux émotions

"Le stress épuise en premier lieu les glandes surrénales car la sécrétion de cortisol associée est trop importante. Ensuite, le foie et le pancréas trinquent à cause du taux d’insuline en hausse", confirme le Dr Scimeca. Cette chaîne de réactions endocriniennes déséquilibre alors tout le reste : les taux de sérotonine s’effondrent, ce qui crée une inflammation chronique au niveau de l’intestin, et tous nos neuromédiateurs (les hormones cérébrales) sont perturbés.

Le médecin évoque un véritable cercle vicieux : quand l’esprit ne va pas bien, il dérègle le corps, qui perturbe le psychisme dans la foulée ; les chemins métaboliques entre corps et esprit fonctionnent toujours en aller-retour !

Le corps et l’esprit ne font qu’un

"Les symptômes physiques sont intimement liés à la pensée et aux émotions", confirme le Pr Pellisolo. Prenez le stress. Alors qu’au départ, il est généré par des enjeux psychologiques et émotionnels comme la manière dont on se représente le monde, il agit biologiquement sur le corps via des hormones qui activent les vaisseaux sanguins ou encore le système digestif.

"Il suffit de se mettre à l’écoute de notre corps pour percevoir ce processus", remarque le psychiatre, spécialiste des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et auteur de Vous êtes votre meilleur psy (Flammarion). Or, ces hormones, normalement déployées en cas de danger physique immédiat, sont injectées dans le corps de manière inadéquate. "Nous nous créons l’illusion d’un danger, à travers une peur de l’avenir par exemple. Quand ces réactions sont répétées et durables, elles peuvent dégénérer en symptômes".

Le symptôme, une émotion qui parle à travers le corps

C’est le crédo de Michel Odoul, pour qui non seulement la somatisation n’est pas imaginaire, mais elle est intelligente. "En présence d’une personne qui l’impressionne, un timide rougit. La sécrétion des hormones adrénaline et noradrénaline déclenchent une dilatation des vaisseaux sanguins à la suite de l’émotion", illustre l’expert.

Le phénomène biologique traduit l’état émotionnel de manière plus sophistiquée qu’il n’y parait : alors que l’adrénaline est présente dans tout le sang, elle n’agit ici qu’au niveau du visage. "Le timide ne rougit pas du dos ou des mains. La noradrénaline, qui indique à l’adrénaline où agir, cible la zone corporelle qui représente l’identité", décrypte-t-il. D’après Michel Odoul, la riche panoplie de réactions physiques déclenchées par les tensions émotionnelles est gérée par un système neuro-végétatif selon une grille symbolique précise.

Le corps parle, ses messages récurrents se font insistants si on fait la sourde oreille

Autre belle illustration de ce principe :  le "Tako-tsubo". Ce "syndrome du cœur brisé" désigne la contraction anormale du muscle cardiaque chez des personnes qui vivent une séparation douloureuse. Découvert au Japon dans les années 90, le phénomène a été approfondi dans une étude médicale menée en 2017 dans l'université d'Aberdeen : le chagrin d’amour déformerait et affaiblirait le muscle cardiaque dans la durée, jusqu’à créer des lésions dans ses fibres.

Evacuer la tension interne 

"Le corps parle, ses messages récurrents se font insistants si on fait la sourde oreille", prévient Michel Odoul. Mieux vaut l’entendre à temps afin de changer notre comportement et, si nécessaire, se faire soigner. Il existe des outils fondamentaux à portée de tous, comme la respiration, un levier extraordinaire pour faire baisser les niveaux de stress.

"Cinq respirations lentes et profondes peuvent abaisser de 20 à 30% l’accélération cardiaque liée à un stress", argumente le praticien de shiatsu. 

En étant nommées, les émotions pénibles émergent au conscient et sont poussées vers la sortie

La meilleure manière d’éviter de somatiser est d’exprimer ce que l’on ressent sans ce cela soit problématique. A chacun de trouver le biais qui lui va le mieux. Aller se promener en forêt, prendre une branche de bois et cogner sur une souche. Hurler dans la voiture vitres fermées, au milieu les embouteillages. Faire quinze longueurs de bassin à la piscine. Jeter par écrit sur une feuille de papier tout ce que vous avez sur le cœur et la détruire.

"En étant nommées, les émotions pénibles émergent au conscient et sont poussées vers la sortie", résume l’expert. "Au Japon, pour éviter les conflits entre employés, certaines équipes d’entreprises font imprimer la photo de celui avec lequel il y a problème, l’attachent sur un punching ball et cognent dessus", expose Michel Odoul. Une violence détournée de soi et de l’autre par la magie du transfert.

Des sensations corporelles biaisées

"Notre organisme et notre mental sont en permanence en train de s’adapter aux variations intérieures – alimentaires par exemple - ou extérieures. Cette adaptation peut déclencher des sensations bénignes que la personnalité anxieuse peut grossir jusqu’à en être perturbée", détaille le Dr Pellisolo.

Autre cas d’altération possible de la perception : le cerveau atténue régulièrement certaines sensations corporelles, comme les troubles digestifs ou celles de muscles malmenés par la vie de tous les jours, en filtrant les signaux d’alerte transmis par les capteurs dédiés. "Or, quand on va mal, on peut soudain se mettre à percevoir ces signaux jusque-là mis en veilleuse", souligne l’expert : les fameux neuro-transmetteurs qui contrôlent le stress deviennent défaillants, à l’instar de la sérotonine, dont la production ou la captation se dérèglent quand la météo émotionnelle se gâte.

Du psychosomatique au somatopsychique

Le Docteur Simeca invite à se méfier de cette notion de somatisation qui s’hypertrophie au fil des années dans notre société. "Quand vous avez mal plus de trois mois sans trouver de solution, la dépression arrive. Face à un patient déprimé, le médecin peut passer à côté des douleurs physiques", prévient le médecin homéopathe, qui parle alors de somatopsychique.

Traduisez une psychologisation démesurée de dysfonctionnements corporels. A en croire le médecin, nous redécouvrons une notion bien connue en Orient : Les problèmes du corps rejaillissent sur la psyché. "Si une rage de dents ne rend personne aimable, nous avons aussi fait le lien sur le plan médical entre l’état de notre microbiote et notre humeur mais aussi notre comportement alimentaire", relate Daniel Scimeca.

Ainsi, une personne dont l’intestin est squatté par la levure candida albicans a toujours envie de sucre : le discret micro champignon secrète une toxine qui agit sur nos neurones pour obtenir ce qu’il veut ! Voilà qui rend humble…

Hygiène de vie et plaisir 

En situation d’épuisement ou d’anxiété chronique, non seulement il faut veiller à faire le ménage dans sa vie pour être moins fatigué, mais il faut aussi reprendre les rênes de son hygiène de vie, certains comportements quotidiens favorisant la somatisation.

"La verbalisation ne suffit pas. Le corps est partie intégrante de la solution", martèle Daniel Scimeca qui invite les médecins à causer alimentation, rythme de vie, flore intestinale avec leurs patients. Dans son nouvel ouvrage Dis-moi comment aller chaque jour de mieux et mieux (Albin Michel), Michel Odoul propose justement 50 clés pour vivre en pleine santé et en pleine conscience.

"Il faut agir sur le corps et l’esprit, de manière coordonnée", abonde le Pr Pellisolo. Pour le psychiatre, prendre soin du corps, c’est le faire fonctionner de manière harmonieuse : il est fait pour être actif mais notre époque pousse à une sédentarité qui aggrave les dysfonctionnements. "Nous avons besoin d’activité physique bienveillante, la plus naturelle possible pour pouvoir reprendre confiance en soi", explique-t-il.Il est essentiel d’installer des sensations de plaisir et de positivité par rapport au corps car les patients développent parfois une phobie de la sensation physique ou de la peur d’être malade.

Cette démarche sera de préférence couplée avec une approche de régulation des émotions (relaxation, sophrologie, yoga ). Sur le versant mental, on clarifiera le mécanisme de la somatisation en abordant les questions qui minent le patient via un large dispositif de thérapies.

Sur certains diagnostics (dépression, trouble anxieux sévère), un traitement chimique sur suivi médical aidera à installer la thérapie. "Les médicaments sont très bien maîtrisés", rassure le psychiatre. Certains anti-dépresseurs agissent même en antalgiques sur les douleurs chroniques - quand elles ne sont pas liées à une maladie bien sûr - car ils améliorent l’activité des neuro-transmetteurs. Un effet secondaire méconnu et bienvenu.

[Dossier] Apprendre à gérer son stress  - 43 articles à consulter
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