“Chez les hommes, une victoire rapporte 3 200 euros. Ici, j’ai reçu un sac contenant du gel douche, du shampoing et quatre serviettes”, dénonçait la sauteuse à skis allemande Selina Freitag début janvier, après sa victoire en qualifications d’une prestigieuse compétition.“On m’a dit : “désolé, on n'avait pas de billet de 500 à disposition””, ironisait-elle au micro d’une chaîne de télévision allemande.

En plus de renvoyer les sportives à la notion clichée d’esthétisme, l’écart entre les deux récompenses met en lumière les différences de traitement persistantes entre hommes et femmes dans le sport. Ces inégalités remontent à plusieurs décennies et ont parfois donné lieu à des gains complètement absurdes.

“Lorsque le tennis était amateur, je gagnais des chèques-cadeaux de 25 livres”, se remémorait Billie Jean King auprès de Marie Claire, à l’occasion des 50 ans de l’égalité des primes à l’US Open (1973).

Le tennis, sport pionnier dans la lutte des inégalités 

Si le tennis est aujourd’hui l’un des sports les plus égalitaires en matière de prize money - en grande partie grâce au combat mené par l’Américaine et les “Original 9” avec la création de la WTA -, pendant longtemps les femmes ont été moins bien loties que leurs homologues masculins. En 1958, Billie Jean King, fraîchement arrivée chez les pros, constate le gap : “Rod Laver a gagné 2 000 livres à Wimbledon, alors que moi, je n'en ai touché que 750.” À cette époque, les bons d’achat étaient monnaie courante, même sur les plus grands tournois.

Pour sa victoire à Roland-Garros en 1967, la Française Françoise Durr reçoit l’équivalent de 200 euros à dépenser dans un magasin de sport, quand son homologue touche une somme d’argent. Une différence de gain qui semble impensable aujourd’hui.

La snowboardeuse Anne-Flore Maxer, ex-championne du monde de freeride raconte pourtant avoir reçu un t-shirt pour l’une de ses victoires, alors que son équivalent chez les hommes gagnait un voyage à Hawaï. Une destination bien connue des surfeuses de la Women surf league (WSL) qui ont obtenu l’égalité des gains en 2019, après la diffusion d’une photo polémique du podium d’un tournoi junior. Les chiffres inscrits sur les chèques brandis par des adolescents sont frappants : 2000 euros pour elle, le double pour lui.

En 2023, c’est une course amateure dans les rues de Madrid qui a fait réagir. La gagnante de la “carrera de la mujer” (“course de la femme”), qui réunissait plus de 30 000 participantes et dont les bénéfices étaient reversés à la recherche contre le cancer du sein, s’est vu offrir… un robot de cuisine.

Les choses avancent, mais lentement

Les stéréotypes continuent de coller aux baskets des athlètes. Comme sur les terrains de foot où les inégalités salariales ont longtemps été criantes. “Quand j’ai commencé, les primes de match en équipe de France étaient de 250 francs [environ 57 euros, ndlr]. À la Coupe du monde 2003, au total pour la préparation et les matchs, on était autour de 3 000 euros max, se remémore la coach de Chelsea, Sonia Bompastor, qui a disputé le premier Mondial des Bleues. L’argent ce n’était clairement pas la première motivation.”

Les choses avancent, mais lentement : lors du Mondial 2023, les Bleues ont touché chacune 27 000 euros pour avoir passé les phases de poules, alors que les joueurs de Didier Deschamps encaissaient 22 000 euros pour un match remporté en 2022.

Encore loin du compte

D’autres terrains, comme le rugby, sont encore à la traîne. Les joueuses de première division ne sont toujours pas rémunérées pour la pratique de leur sport. L’histoire montre que les changements viennent surtout des luttes menées par les sportives pour atteindre l’égalité.

Le petit monde du saut à skis s’est servi de la polémique comme d’un tremplin. “La prise de parole de Selina Freitag était importante. Dès que je suis arrivée sur le circuit de Coupe du monde, j’ai remarqué qu’on voyait souvent une remise de chèque aux hommes sur les photos, mais jamais aux femmes”, constate la sauteuse à skis Emma Charvet. Grâce aux actions d’anciennes figures de la discipline, comme Nina Lussi, qui a mis en place des collectes en ligne, et la mobilisation des instances américaines, les athlètes ont perçu les mêmes prize money sur l’étape de Coupe du monde de Lake Placid (États-Unis), le 8 février. Une première dans l’histoire de la discipline.

“C’est une bonne avancée, mais l’idéal serait que ça devienne équitable tout le temps”, espère Emma Charvet. Après la compétition, la Française a fait le calcul : “En terminant 24e et 25e, j’ai gagné 1 900 francs suisses au total (2 022 euros) alors que sur une compétition où les prize money sont “normaux”, j’aurais gagné 559 francs suisses (595 euros).” Encore loin du compte.