Ce samedi 25 mai 2024, l’Olympique Lyonnais - équipe déjà titrée 8 fois en C1 - affronte le FC Barcelone en finale de la Ligue des champions féminine, au mythique stade San Mamés, à Bilbao (Espagne), à l’heure où le football féminin attire (enfin) plus de lumière - la finale de la Coupe du monde féminine de la FIFA 2023, opposant l'Angleterre à l'Espagne, a été l'événement sportif féminin le plus regardé à la télévision en 2023, avec 38,4 millions d'heures de visionnage, comme l'annonçait alors Flash Score, reprenant une dépêche AFP-.

Mais au-delà d'un intérêt certain pour les compétitions à échelle internationale (et ponctuelles), force est de constater qu'à l'image du sport féminin dans sa globalité, la pratique du ballon rond souffre encore de stéréotypes ancrés dans la pensée commune et reste invisibilisée auprès du grand public.

Pas assez spectaculaire, moins engageant, plus cheap... Pour Selma Khaled, à la tête du média Joueuses, les enjeux restent nombreux - même si le chemin parcouru ces dernières années laisse entrevoir l'espoir de voir le foot féminin prendre la place qu'il mérite dans les années à venir. 

Mettre en valeur le foot comme outil d'émancipation 

Marie Claire : Comment en êtes-vous venue à lancer un média consacré au foot féminin ? 

Selma Khaled : "On est partis du constat qu'on n'en parlait pas assez. Il y avait un énorme manque, en termes d'incarnation. Et c’est le début d’une machine infernale : pas de représentation, pas d’effectif, pas de monde devant la télé, ni dans les stades… Encore aujourd’hui, la plupart des institutions et des clubs ont du mal à se dire qu'il faut investir dans le foot féminin, parce qu’on pense encore qu’il n'y a pas assez de demandes. Mais s’il n'y a pas assez de demandes, c’est parce qu'il n'y a pas assez d'investissement, et donc, c'est le serpent qui se mord la queue. 

Il y a aussi de mon histoire personnelle. J’ai grandi au Maroc, à Casablanca. Là-bas, le foot est omniprésent, c’est presqu’une langue (rires). Tout le monde joue dans la rue. Mais quand je suis arrivée en France, je ne connaissais pas le foot féminin en compétition. Pour moi, ça n'existait pas, parce qu'au Maroc, ce n'était pas du tout répandu, à l'époque. 

Pas de représentation, pas d’effectif, pas de monde devant la télé, ni dans les stades…

Au fil des rencontres et de mon parcours professionnel, j’ai très rapidement été frustrée en regardant les matchs. Je me souviendrai toujours d'une remarque faite par le directeur juridique du LOSC (Lille), qui m'avait fait dit que, finalement, le sport c'est avant tout de l'événementiel. Si l'on part de ce principe, il faut donc appliquer les mêmes codes de marketing, de communication et commerciaux qu'on a dans les entreprises classiques. Dans la majorité des clubs féminins, ce n'est pas fait. En D1 Arkema, seulement deux clubs font un super travail de ce côté selon moi : le PSG et l'OL. 

Alors, on fait notre part, avec Joueuses. On apporte une autre vision. Ça va même au-delà du foot, c'est presque du développement personnel. Avec des parcours inspirants (comme celui de l'ex attaquante de l'OL et de l'Équipe de France, Élodie Thomis, ndlr), on va chercher un dépassement de soi, ce truc qui nous permet, à toutes, de transformer nos rêves en objectif. 

Pour vous, le sport - et ici, en l'occurence, le foot - peut donc être un réel outil d'émancipation féminine ? 

Totalement, tant dans la société de manière purement sociale, que d'un point de vue financier. 

J'ai appris des valeurs grâce à ce jeu, il nous structure. Le regard des autres devient moins fort aussi. Pratiquer un sport qui est purement masculin - sur le papier - nous amène aussi sur le terrain de l'égalité homme-femme. Oui, peut-être que tu vas mal me regarder au début du match, mais la prochaine fois, tu me prendras dans ton équipe, parce que ce n'est pas mon genre qui définit mes capacités. Peut-être que je serai plus forte qu'un garçon. Tout cela sert à casser les préjugés. 

Pour le côté financier, prenons l'exemple du Maroc. Aujourd'hui, ce qui est génial, c'est que les joueuses marocaines sont capables d'assumer financièrement leurs foyers. Et ça aussi, ça nous donne une vraie place dans la société et ça va bien au-delà du sport. 

Promouvoir le foot au féminin pour créer des vocations

Pour lutter contre les stéréotypes que vous venez de souligner, il est aussi important de mettre en valeur des modèles au féminin. Quel impact cette visibilité a-t-elle sur les jeunes générations ? 

C'est aussi l'une des raisons qui ont aidé à la création du média. L'incarnation permet de se projeter dans des métiers ou des lieux qui leur ont longtemps été inaccessibles.

La majorité des joueuses que l'on interroge nous citent des exemples masculins, Zidane en tête. Mais on voit la différence avec la jeune génération. À la fin d'une conférence, j'ai été interpellée par une maman qui m'a confié que son fils de 6 ans avait pour joueuse préférée Eugénie Le Sommer. Ce n'est pas Kylian (Mbappé, ndlr) quoi. C'est magique. 

Il faut axer la couverture médiatique sur les titres, les exploits et non plus sur les scandales qui entourent la pratique...

Tout ça, c'est possible en passant plus à la télé, en finançant les infrastructures... Et aussi en axant la couverture médiatique sur les titres, les exploits et non plus sur les scandales qui entourent la pratique... 

Au moment de la Coupe du Monde, nous avions demandé à l'Équipe de France féminine 2003 de revenir sur leur première compétition internationale, 20 ans plus tôt. De nombreuses joueuses ont salué le chemin parcouru, en soulignant tout ce qu'il restait à faire pour mieux faire vivre le foot féminin. Pour vous, le chantier est-il encore important en 2024 ? 

En 2019, la France a organisé la Coupe du Monde féminine et nous avons explosé tous les records (visite, spectateurs...). La Fédération anglaise, qui allait alors organiser l'Euro, s'est même tournée vers la FFF, parce que commercialement, médiatiquement et sportivement, ça a été une réussite. 

Sauf qu'une fois le Mondial terminé, la conversion ne s'est pas faite, en tout cas pas sur le championnat, ce qui est assez déceptif. Pourtant, quand on regarde ce qu'il se passe outre-Manche, on comprend qu'on peut faire la différence. 

Mais je ne suis pas défaitiste. Nous avons des acteur.ices engagé.es en France. N'invisibilisons pas, entre autres, le travail titanesque de Jean-Michel Aulas... 

La structuration comme enjeu principal

La structuration est justement l'une des volontés clés de Michele Kang, actuelle propriétaire de l'OL féminin. Quels défis faut-il encore relever pour accéder à ce but ? 

Tout tourne autour de l'investissement... Est-ce que les joueuses ont accès à des terrains d'entraînement qui leur sont destinés ? Ou est-ce qu'on va encore leur dire qu'elles ne vont pas s'entraîner aujourd'hui, parce qu'il y a les UCS qui ont une compétition importante ?

Il y a quelques jours, la brillante coach de Stade de Reims - Amandine Miquel, ndlr - disait que le budget transport de l'équipe était si peu adapté que les joueuses devaient faire 10h de bus pour se rendre à un match qu'elles jouaient quelques heures plus tard... On parle de faire du downsizing dans certains clubs... Ça montre que l'on avance à reculons sur certains points.

En quoi les compétitions d'ampleur, comme celle qui se joue ce samedi, sont aussi un tremplin pour la visibilité et la reconnaissance des joueuses ? 

On voit à quel point elles fédèrent au niveau des compétitions masculines. Pour les joueurs, une finale de Ligue des champions c'est le rêve. Les Coupes du monde, européennes, africaines... Là aussi, l'enjeu est énorme et on le ressent tous.tes. 

C'est pourquoi créer ce sentiment autour des compétitions féminines, c'est vital. Ce qui est intéressant avec cette finale, c'est qu'on voit la naissance de la dualité entre L'OL et le Barça. C'est engageant, pour les joueuses, pour la compétition, pour le public... J'ai hâte de voir comment les choses vont évoluer, car je suis sûre que les surprises seront belles".