Quatre titres de championne d’Europe, une victoire en championnat du monde ou encore deux médailles olympiques… À seulement 24 ans, la judokate Romane Dicko justifie d’un palmarès éblouissant.
Un CV qui lui colle parfaitement à la peau, car on la rencontre les yeux pétillants, le sourire solaire et la parole enjouée.
Celle qui concourt dans la catégorie des plus de 78kgs et qui se prépare à participer aux seconds JO de sa carrière n’a pas de tabou : santé mentale, défaite, acceptation de soi dans une société aux corps normés… Tant de sujets qu'elle évoque, avec sincérité, sur ses réseaux sociaux. Un engagement qui se lit aussi au travers de collaborations fortes que l'athlète entretient avec des marques, comme Sans Complexe Lingerie, dont elle est l'ambassadrice.
Aujourd'hui sur (presque) tous les fronts, Romane Dicko témoigne d'un parcours atypique, dont le point de départ s'est trouvé dans une victoire olympique symbolique. "En 2012, j'ai vu le sacre d'Audrey Tcheuméo en direct à la télé avec mon père, elle avait 14 ans quand elle a débuté et lui m'a dit que, du haut de mes 13 ans, je pouvais commencer le judo et faire comme elle", se souvient-elle.
Moins de dix ans plus tard, c'est chose faite : l'athlète gagne ses premières médailles olympiques à Tokyo, en 2021 (le bronze en individuel, l'or par équipes mixtes). Aujourd'hui étudiante (en mathématiques à la Sorbonne), Romane Dicko conjugue vie de vingtenaire, engagement et podiums. Un quotidien rythmé dans lequel elle "s'épanouie", fière du chemin accompli aussi bien sur, qu'hors des tapis. Rencontre.
Une génie du judo
Marie Claire : Votre histoire avec le judo a commencé par les JO. À quelques semaines de prendre part à ceux de Paris, quel regard portez-vous sur votre évolution depuis ce coup de foudre sportif ?
Romane Dicko : "Je trouve mon parcours assez fou, parce que tout est allé très vite. Quand j'ai commencé le judo en 2012 et que mon entraîneur m'a dit : 'tu feras du haut niveau', je ne pensais pas que c'était possible aussi rapidement, parce que j'étais 'âgée'. Et puis, j'étais nulle, je n’avais pas de technique, j'avais rien… Mais il a vu en moi un potentiel.
De me dire que quelques années après, je suis arrivée sur le circuit du haut niveau français, que j'ai gagné les Europe très vite (championnat d'Europe des cadets en 2016, ndlr), que je suis allée à Rio encourager l'équipe de France en rêvant, qu'en 2021 j’étais à Tokyo pour ramener des médailles et que cette année je joue à la maison... C'est fou !
J’ai un parcours atypique, mais surtout beau, parce qu’il montre que même si j'ai commencé tard, même si j'avais du retard, parce que j'étais à fond dans le projet, j'ai réussi à faire de belles choses.
Qu'est-ce qui vous rend la plus fière dans cette trajectoire rare ?
De me dire que même quand c'était compliqué, même quand j'étais blessée - deux blessures (épaule et genou) l’ont privée de compétition entre le printemps 2018 et novembre 2019, ndlr -, je suis remontée sur le tapis. Que même quand j'ai perdu aux championnats du monde l'année dernière, je suis remontée sur le tapis. J'ai toujours réussi à me relever. Bien sûr il y a les médailles - qui restent un accomplissement - mais même sans la récompense, je trouve énormément de fierté dans toutes ces épreuves remportées.
La violence de la première défaite
Championnats d’Europe, du monde, JO… Vous avez très rapidement enchaîné les succès, jusqu’à cette claque que vous venez de mentionner, à Doha, en 2023. Quel rapport à la défaite entreteniez-vous avant ?
Pendant longtemps j’ai dit à mon prep mental que j’avais peur de perdre, ça m’obsédait. Sauf qu’on ne peut pas s’entraîner à perdre, c’est contre-productif. Six mois plus tard, je l’ai vécue, à Doha. Quelque temps après, il m’a dit que, pour lui, j’avais inconsciemment créé la défaite, pour la vivre. Mais ça a été particulièrement difficile de remonter la pente.
Diriez-vous qu'il s'agit du pire moment de votre carrière ?
Oui, ça a été un traumatisme. Encore aujourd'hui ça le reste un peu. Je n’ai pu regarder le match que des mois plus tard, j’avais des frissons et les larmes aux yeux quand on me parlait de Doha. J’ai même quitté Paris à mon retour de la compet', parce que tout le monde m'appelait. Ils voulaient me donner de l’amour, mais je ne répondais pas, je ne pouvais pas.
Je n’ai pu regarder le match que des mois plus tard, j’avais des frissons et les larmes aux yeux quand on me parlait de Doha.
Finalement la carrière sportive, c’est un marathon. Même si tu gagnes ton titre, dans six mois, un autre t’attend, tu dois tout le temps être performante. Alors, toutes ces émotions relatives à la défaite : la tristesse, la remise en question, l’envie de se battre pour une qualif JO…. C’était impossible à gérer.
Aujourd'hui, je sais que je ne vais plus jamais tomber aussi bas, parce que pour moi, j'ai déjà vécu le pire : la blessure grave et la contre-performance. Mais ça a été un travail titanesque.
Pour vous la contre-performance est donc plus difficile à vivre que la blessure ?
J'ai arrêté presque deux ans, juste après avoir gagné les championnats d'Europe. C'était horrible, j'étais en pleurs quand je voyais les filles combattre, alors que moi j'étais en train de faire de la rééduc'.
Mais mentalement, la contre-perf' c'est vraiment une autre souffrance. À Doha, j'avais l'impression d'être dans un film, que la défaite n'était pas réelle, mais non, j'avais vraiment perdu. Je suis tombée, je suis rentrée chez moi. Et je n'avais pas d'excuse, pas d'explication. J'ai subi.
Heureusement, j'ai perdu avant les Jeux. Mentalement, je connais la douleur de la défaite, mais je pense que si ma première avait eu lieu à Paris, la remontée aurait été encore plus rude.
Des JO à domicile, aussi intimidants qu'excitants
En parlant de JO, est-ce que, pour vous, jouer à la maison est galvanisant ou au contraire, vous rajoute une pression supplémentaire ?
Tous les ans, nous jouons le Paris Grand Slam (Bercy) et on sait très bien que cette compétition est différente, même si sur le papier ce sera les mêmes filles à battre, même si c'est la même chose que je dois faire. Là, tu as tout ton public derrière toi, ce qui rend l’expérience émotionnellement très dure, tu as la pression, c'est très éprouvant… Mais on a justement cette chance d'avoir ça tous les ans à Paris, donc ça prépare un peu aux JO à domicile.
Pour l’instant j’ai juste plein d'envie, hâte, vraiment beaucoup d'impatience… Mais je sais qu’à 3-4 jours de la compétition je peux 'vriller'. J'imagine que ça va être fou, mais je sais aussi que ça peut vite partir dans tous les sens, être submergée par mes émotions, par la pression, par le stress et ça, je ne peux surtout pas, parce que sinon je ne vais pas réussir à gagner, donc je m'entraîne.
Teddy Riner dit qu’aucun de nous n’est prêt pour ces JO, même pas lui qui les a faits quatre fois.
J'ai un préparateur mental que je vois toutes les semaines. On voit les billes que l’on peut mettre en place, mais finalement, personne ne sera complètement préparé, parce que personne ne les a vécus. Même quand on en parle aux grands, comme Teddy [Riner, ndlr], il dit qu’aucun de nous n’est prêt pour ces JO, même pas lui qui les a faits quatre fois.
Vous faites également partie de la shortlist des athlètes pré-selectionnés pour être porte-drapeau. Qu’est-ce que ce rôle représente pour vous ?
Être porte drapeau de la délégation olympique, ça serait vraiment un honneur déjà parce que cette année, ce sont les athlètes qualifiés qui choisissent. Quand tu te dis que ce sont eux qui t'ont élue, forcément c'est un honneur, parce que ça voudrait dire qu'ils croient en moi, qu'ils ont confiance. C'est un peu porter la délégation avec toi, ça serait l'apothéose. Même si je suis jeune je pense qu'il faut rêver grand. Après ce n'est pas l'objectif, l'objectif c'est de gagner les Jeux, ne vous inquiétez pas (rires).
Aimer son corps scruté et critiqué
Vous pratiquez un sport où les athlètes sont classées par catégories de poids. Cette spécificité a-t-elle pu affecter votre rapport au corps ou à la nourriture ?
Les sportifs de haut niveau ont tous des problèmes avec l'alimentation, peu importe le sport qu’ils font. Je le pense encore plus dans un sport à catégorie de poids, parce qu’on va scruter nos assiettes. Entre sportifs, c'est tranquille. Tu traînes avec des gens qui te ressemblent, qui font le même métier que toi. Mais à l'extérieur, le regard des autres est terrible, les commentaires sur notre façon de manger sont parfois violents.
Même chez les légères, beaucoup m'ont confié ne pas se sentir à l'aise de manger devant d'autres personnes, parce qu'elles ont peur que les gens disent : 'ah mais t'es pas au régime ?', 'ah, mais t'as le droit de manger ça ?'. Avec ces réflexions courantes, le rapport au corps est forcément rendu difficile. Est-ce qu'on se ressert ? Est-ce qu'on ne va pas essayer de faire plus attention ? Les gens oublient qu'on connaît notre corps, nos perfs et que nous sommes entourés.
Avec ces réflexions courantes, le rapport au corps est forcément rendu difficile. Est-ce qu'on se ressert ? Est-ce qu'on ne va pas essayer de faire plus attention ?
Au judo, les lourdes dont je fais partie, c'est vraiment une catégorie à part, la seule où il n'y a pas vraiment de poids limite. Physiquement, où voit des gabarits 'à part'. Et on a toutes entendu ces petites 'blagues' du style qu'on a choisi cette catégorie par défaut, parce qu'on était trop grosse ou trop fainéante pour rentrer dans les cases.
Aussi, parce que je suis une lourde, il arrive que la performance soit moins prise au sérieux. Si je prends 2-3 kilos, je vais les perdre car je sais que ça va changer ma pratique, mais pour l'oeil extérieur, ce n'est 'pas grave', car j'ai déjà un physique qui laisse penser que je ne fais pas 'attention'.
Vous parlez beaucoup de body positive sur les réseaux sociaux et vous êtes l'ambassadrice d'une marque de lingerie. Mais avez-vous réellement confiance en vous, à l'heure où votre corps, outil de performance, est constamment scruté ?
Ma devise c'est fake it until you make it - fais semblant jusqu'à ce que tu y arrives, ndlr - et ça m'a aidée à évoluer. Mais bien sûr, il y a des jours où je n'ai pas confiance et c'est ok.
C'est un sujet qui m'a beaucoup affectée quand j'étais plus jeune. Je n'étais pas à l'aise avec ce corps encombrant. Je faisais déjà 1m80 à 14 ans. À l'INSEP, je n'ai jamais eu de problème, mais quand j'en sortais, je voyais les regards et surtout, je ne me retrouvais pas dans les gabarits. Sauf qu'on n'existe pas qu'à l'INSEP, pas que sur le tapis.
Je n'ai pas vraiment envie de me cacher, j'ai envie de prendre ma place, de laisser mon corps tranquille.
Forcément, faire des campagnes, comme celle de Sans Complexe, c'est salvateur. Mais c'est surtout important. Montrer des vrais corps en sous-vêtements, en maillots de bain... C'est hyper nécessaire. Pour les sportives aussi, celles à qui l'ont fait comprendre qu'elles sont des corps 'imposants'. Oui, on peut faire du sport de haut niveau et vouloir mettre de la lingerie, même quand on est une lourde. Parce que je mets du 52, que j'ai des trapèzes, je ne peux pas m'habiller sexy ? Je n'ai pas vraiment envie de me cacher, j'ai envie de prendre ma place, de laisser mon corps tranquille.
Justement, la peur des "gros bras" est assez commune chez les sportives. Est-ce que l'on a déjà remis en question votre féminité, par rapport à votre gabarit ? Comment vous libérez-vous de ce regard violent ?
Oui, et je pense que j'aurai toujours ces remarques. Déjà, très jeune, j'en avais, parce que je nageais avant de me mettre au judo, j'avais les épaules très larges. Puis, quand je suis arrivée à l'INSEP, en un an, mon corps avait complètement changé. J'ai les muscles du haut du corps hyper développés, des gros trapèzes, des grosses épaules, un gros dos. Et ce ne sont pas les muscles vus comme 'féminins', 'esthétiques'.
Quand les gens imaginent une sportive, ils pensent à une gymnaste ou à une coureuse. Elles sont musclées bien sûr, mais ce n'est pas quelque chose qui va déranger. Moi, quand je suis 'en civil', ça se voit directement. Il y a vraiment des normes de physique athlétique selon ton genre. Alors que non, tu ne peux pas choisir comment ton corps se développe. Parce que c'est ta pratique qui va changer ton corps. Si je ne suis pas musclée, je ne serai pas bonne. Donc je n'ai pas le choix. Mon corps, il est lié à la pratique. Et il est façonné pour ça.
Mais malgré tout, il existe aussi en dehors du tapis. Il est aussi légitime en compet' que sur la plage. En kimono ou en robe. Il faut montrer qu'on existe en dehors de la performance. Et que quand le week-end, je vais voir mes copines j'ai le droit de mettre mes muscles dehors et c'est pas inesthétique. Même si c'est clairement ce qu'on me dit...
Quand je suis allée à un dîner organisé à l'Elysée et que j'ai partagé le tout sur Tiktok, j'ai été insultée dans les commentaires, parce que j'avais une robe bustier. Les gens y allaient de leur : 'un petit conseil, cache tes bras, c'est plus joli', 'ce n'est pas beau'...
@romane_dicko Vous en pensez quoiiiii? ????
? son original - Romane Dicko
Ils n'ont pas l'habitude de nous voir en dehors de la performance. Et je pense que c'est pour ça aussi que, pour les sportifs, c'est vraiment important de parler, de se montrer. Avec nos réseaux sociaux, on peut faire passer le message et aussi se faire la voix de celles et ceux à qui l'ont fait comprendre que leur corps dérange. Je veux casser les codes que les gens se créent. Et les limites que la société nous met".
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