Deux enfants fouillent dans une caisse à jouets bien remplie avec un objectif précis en tête. Ils en ressortent des raquettes et une petite balle en mousse. Puis se lancent dans quelques échanges devant un mur recouvert de l’inscription “my little star”. Cela ne fait aucun doute, on est bien dans la garderie de Roland-Garros.

Ce terrain de jeu réservé aux plus petits se cache dans le centre d’entraînement des joueurs et joueuses, installé dans le club Jean Bouin durant le tournoi.

Jouets, livres, circuit automobile et dînette garnissent cet espace confiné, à deux pas des courts. Ce lundi 27 mai 2024, vers 9h30, pour le deuxième jour du tournoi, une maman passe la tête pour déposer deux blondinets, le garçon et la fille d’un joueur. Les nourrices se gardent bien de donner le nom du fameux papa.

De plus en plus de joueurs et de joueuses pro deviennent parents

Depuis plusieurs années, la parentalité se répand sur le circuit du tennis mondial. Naomi Osaka, Serena Williams ou Tatjana Maria… Les joueuses sont de plus en plus nombreuses à suspendre leur carrière pour devenir mère, avant de revenir au haut niveau. Parmi les exemples récents, Elina Svitolina, qui a retrouvé le top 20 mondial juste deux ans après avoir accouché de sa fille. Ou l'Allemande Angélique Kerber de retour sur le circuit en janvier, à 36 ans, après la naissance de son premier enfant.

Chez les joueurs, être parent est encore plus commun. Rafael Nadal, Novak Djokovic, Daniil Medvedev ou le Français Gaël Monfils se sont déjà épanchés sur la difficulté de conjuguer leur vie de joueur et de père de famille. Car plus encore que le foot ou le rugby, le tennis est un sport de globe-trotteur. Toute l’année, les joueurs et joueuses arpentent les courts des tournois du monde entier et très souvent, ils emmènent leurs enfants avec eux, surtout les premières années, quand ils ne sont pas encore scolarisés.

Mais partager son temps entre les matchs, les entraînements et les enfants n’est pas chose aisée.

Roland Garros, Wimbledon... les nurseries des tournois du Grand Chelem 

Encore plus lorsqu’on risque de manquer leurs premiers pas. “Je trouvais ça difficile au début (de jongler entre la vie de maman et de joueuse, ndlr) car j’avais le sentiment que je devais toujours être présente pour ne rien manquer de son évolution”, nous confie en mai 2024 l’ancienne numéro une mondiale, Naomi Osaka, à Roland-Garros.

Ça a commencé par une dame qui a proposé de s’occuper des enfants des joueurs à l’ombre d’un arbre [...] Puis, on nous a donné un pot à crayons de couleurs.

Née en juillet 2023, sa fille a commencé à se mettre sur ses deux jambes en mai Porte d’Auteuil. "J’étais heureuse de voir ça, s’émeut-elle. Tout le temps libre que j’ai ici, j’essaie de le passer avec elle."

Pour combler les sportifs aux deux casquettes, tous les tournois du Grand Chelem ont mis en place des nurseries. À Roland-Garros, "ça a commencé par une dame qui a proposé de s’occuper des enfants des joueurs à l’ombre d’un arbre, se souvient Marielle. La cinquantenaire détient une multitude d’anecdotes sur cet espace dédié aux petits, dont elle s’occupe depuis plus de trente ans. Puis, on nous a donné un pot à crayons de couleurs, une tente à monter, une table et on devait se débrouiller avec ça. On gardait les enfants des joueurs, mais aussi des entraîneurs et du personnel de la fédération. Ça débordait."

Ensuite, la garderie s’est structurée : la zone a pris place sous le court Suzanne-Lenglen à la création du terrain, dans les années 1990. Elle est d’ailleurs toujours indiquée sur les panneaux des coursives.

Marielle y garde alors les enfants de Yannick Noah ou de Jimmy Connors. Pour répondre à la demande grandissante, le dispositif a été encore étoffé en migrant au stade Jean Bouin il y a deux ans. Désormais, seuls les enfants des joueurs et joueuses, âgés de trois mois à dix ans sont admis, dans la limite d’une quinzaine en même temps, ainsi que ceux des entraîneurs s’il reste des places, détaille l’ancienne employée d’une école maternelle.

"Un joueur aimait faire de la pâte à modeler pour se détendre avant un match"

Et le service est très prisé. L’an passé le triple champion paralympique en double, Stéphane Houdet n’a pas réussi à avoir de place pour sa fille Aurore, aujourd’hui âgée de 16 mois. “La garderie est de plus en plus demandée sur le circuit, car ça nous change la vie." La semaine dernière, à Rotterdam, il n’y en avait pas. C’est donc Nicolas Sarrazin, le sparring partner de Stéphane Houdet, qui a joué les nounous. "Pour mes aînés, qui ont la vingtaine aujourd’hui, ça m’arrivait de demander avant même d’arriver sur un tournoi, si des ramasseurs de balles ou des personnes de l’organisation pouvaient les garder quelques heures."

Cette année, le père de cinq enfants a pris ses dispositions à Roland-Garros. Le joueur est venu repérer les lieux une semaine avant le début du tournoi.

Avant midi, le jour de notre visite, déjà seize enfants sont passés dans les lieux, parfois seulement pour quelques heures. Et cinq poussettes sont encore alignées devant l’entrée. Derrière l’une d’elles, le joueur français Pierre-Hugues Herbert berce son bébé à moitié endormi. "Certains adorent passer du temps ici avec leurs enfants. Un joueur aimait faire de la pâte à modeler pour se détendre avant un match. Et quand Roger Federer était encore sur le circuit, il jouait parfois à la dînette avec ses enfants”, raconte Marielle.

En dehors des trois semaines de Roland-Garros, la nounou de la Porte d'Auteuil est directrice des ressources humaines dans une entreprise familiale.

Beaucoup d’enfants se connaissent déjà car les mamans voyagent ensemble sur le circuit

Une fois par an, l'encadrante renouvelle une partie du mobilier et les jeux. Certains à la demande des enfants venus l’an passé. A

vant le déjeuner, des petites filles s’amusent autour d’une maison en plastique et échangent dans un mélange mi-anglais, mi-espagnol. Les cinq employées qui assurent la permanence de 9h30 à 21h leur parlent avant tout en anglais. En revanche, la réponse n’arrive pas forcément dans la même langue, comme avec cette petite fille brune de trois ans, qui répond systématiquement en français.

L’accueil des enfants est devenu indispensable, d’autant plus qu’il y a de plus en plus de joueuses mamans.

"Le langage des enfants est universel, sourit Marielle en les observant courir dans tous les sens. Tous sont de cultures différentes et sont très rarement chez eux. Mais beaucoup d’enfants se connaissent déjà car les mamans voyagent ensemble sur le circuit."

Ce lundi, deux d’entre elles sont présentes et filent un coup de main pendant que les nourrices distribuent le repas. C’est la première année que la garderie fait aussi cantine, après la demande de la compagne d’un joueur français d’ajouter ce service l’an passé. "L’accueil des enfants est devenu indispensable, d’autant plus qu’il y a de plus en plus de joueuses mamans, donc on essaye tous les ans d’apporter quelques nouveautés et surprises”, indique Kildine Chevalier, la directrice des relations joueurs du tournoi.

Une garderie avec une dimension éducative mais surtout très humaine

Pour cette édition, le dispositif a pris une nouvelle dimension éducative. Atelier récréatif ou éducatif, origami, coloriage géométrique…

Un planning d’activités et quelques créations trônent dans l’entrée. “Dimanche, pour la fête des mères, les enfants ont confectionné des tortues avec des assiettes en carton colorées”, détaille Louise Jean, conseillère pédagogique arrivée cette année pour mettre en place la méthode Montessori, cette pédagogie éducative qui repose sur l’idée que l'enfant est libre de choisir ses activités. "En deux semaines, si les parents restent le plus longtemps dans le tournoi, on peut leur enseigner quand même quelques petites choses. Surtout que la plupart suivent des cours à distance ou font l'école à la maison”, détaille l’éducatrice de formation. 

“À Wimbledon, je voyais des petits apprendre à compter en espagnol, je trouvais ça super”, abonde l’ancienne joueuse, Kildine Chevalier. L'ancienne joueuse veille à ce que les services aux joueurs et joueuses soient améliorés chaque année dans un objectif clair : être le tournoi préféré des sportifs. Dans cette "course aux Grand Chelem”, Roland-Garros a mis le paquet, avec un tatoueur, une salle de yoga, un coiffeur ou un service de conciergerie entre autres offres proposées.

“On essaye de satisfaire la moindre demande”, corrobore la quarantenaire dynamique. Comme lors de la finale de Roland-Garros 2023, lorsque Marielle a gardé la fille du vainqueur, Novak Djokovic, “car le tennis ce n’est pas vraiment son truc.”

Dans ces conditions, “notre garderie reste une exception dans le monde du sport”, explique la nourrice, qui a vu un très grand nombre d’enfants passer en trois décennies. Pendant l’année, les mamans continuent de lui envoyer des photos, et tous les ans, au mois de mai, certains petits devenus grands reviennent "lui faire un petit bisou”, en attendant l’année prochaine.