Ce n’est plus un secret pour personne : le luxe connaît une période de turbulence. Malgré des ventes mondiales à 12 chiffres qui ont de quoi donner le vertige (363 milliards d’euros en 2024 selon Le Monde), les chiffres d’affaires publiés par les mastodontes du secteur seraient pourtant bien en deçà de leurs attentes.
Alors que LVMH et Kering ont accusé des baisses significatives de leur bénéfice net (respectivement - 17 % et - 62 % en 2024 par rapport à l'année précédente), le cabinet de conseil Bain & Company a évoqué une perte de 50 millions de client-e-s sur l’ensemble du marché du luxe en deux ans. Par ailleurs, il prédit une croissance du secteur entre 0 % et 4 % en 2025. Des estimations qui devraient être revues à la baisse après l'annonce des taxes douanières imposées par Donald Trump sur les produits de luxe.
Plus pessimiste encore, son concurrent McKinsey estime, dans une étude parue en janvier dernier, que le secteur du luxe ne reprendra pas ses aises avant… 2027. Une éternité pour une industrie qui n’a pas vraiment connu la crise depuis 2008, à l’exception d’une année 2020 marquée du sceau du Covid-19 et de la paralysie généralisée de l’économie mondiale.
Marque de luxe recherche VIC désespérément
Résultat ? Pour survivre à ce climat socio-économique hostile, les grandes maisons de luxe n’hésitent plus à augmenter leurs prix, quitte à tripler le montant sur l’étiquette de certains de leurs produits les plus populaires et sonner le glas de toute forme de stratégie aspirationnelle.
Le but : cibler de manière très décomplexée celleux qui sont désormais surnommé-e-s les "Very Important Clients" (VIC), cette clientèle qui, grosso modo, s’achète un it bag à 5 chiffres comme d’autres se payent un chaï latte ou un croissant chez Cédric Grolet. Car selon une étude de Bain & Company, "les 2 % des clients les plus riches génèrent désormais 40 % des ventes totales du secteur du luxe".
Une frange certes restreinte de la population, mais qui aurait le bon goût de dépenser entre 50 000 et plus d'un million d’euros par an en produits haut de gamme. Soit une moyenne impressionnante de 350 000 euros annuels selon une étude menée par BCG et Altagamma. En dix ans, leur part de marché aurait ainsi doublé, passant de 12 % des revenus du secteur en 2013 à 21 % en 2023, soit un total de 213 milliards d’euros. Ainsi, chaque VIC dépenserait entre "200 à 250 fois plus que le client moyen", souligne l’étude de BCG-Altagamma.
Les VIC, une clientèle plus riche que riche
Et ce n’est pas tout. À l’image des personnages multimilliardaires de la Succession, deux tiers des VIC appartiendraient à la catégorie des "Ultra High Net Worth Individuals" (UHNWI), soit ceux et celles qui détiennent "40 % des actifs financiers mondiaux", explique Filippo Bianchi, directeur associé chez BCG, dans un article de Fashion Network. Autrement dit, ce sont des personnes (très) riches et qui le seront pour très longtemps, assurance pour les groupes de luxe d'une dépense cinq fois moins volatile que celle des consommateur-rice-s aspirant-e-s, et décorrélée de toute potentielle variation du PIB ou crises économiques qui feraient vaciller les marchés.
"La seule constante réelle chez elleux est la croissance de leurs dépenses", résume Filippo Bianchi. Inutile, donc, d’avoir fait ses classes à HEC pour comprendre que cette stabilité financière conduit les marques de luxe à miser gros sur le pouvoir d’achat des VIC. Toutefois, séduire et fidéliser cette clientèle requiert une stratégie aiguisée, face à une "concurrence qui s’intensifie fortement pour capter leur attention", selon le rapport BCG-Altagamma.
Ce dernier précise notamment que "89 % des VIC valorisent avant tout l’artisanat et la qualité, et 85 % l’exclusivité et la reconnaissance personnelle". Traduction : iels sont en quête de produits manufacturés exceptionnels et veulent être traité-e-s comme des rock stars.
Salons confidentiels, joaillerie sur-demande et rencontres privées
Ce qui explique que les maisons rivalisent d’inventivité pour partir à la conquête de leur porte-monnaie. La griffe florentine Gucci a ainsi ouvert le Gucci Salon, une boutique réservée à ses meilleur-e-s client-e-s à Los Angeles, proposant "des gammes inédites et des rendez-vous ultra-personnalisés" pour une expérience de shopping intime sur-mesure. L’Américain Tiffany & Co. multiplie les initiatives via sa branche de haute joaillerie, invitant ses VIC à commander des pièces uniques conçues sur-mesure par Nathalie Verdeille, directrice artistique, dans son flagship rénové de New York.
Quant à la plateforme de luxe Mytheresa, elle pousse le curseur de l’exclusivité encore plus loin, en organisant des événements confidentiels chez des designers réputés. Le but : "offrir un accès privilégié que l’argent ne peut pas acheter", affirme Business of Fashion dans son rapport Selling to the 1 %.
Enfin, toujours d’après l’étude BCG-Altagamma, 64 % des VIC affirment que "leur relation avec leur conseiller personnel est déterminante dans leur fidélité à une marque" et 68 % déclarent qu’iels "suivraient volontiers leur conseiller personnel s'il ou elle changeait de maison". Conséquence directe : certaines maisons déploreraient des efforts considérables pour recruter les meilleurs talents, notamment dans l'hôtellerie de luxe, avant d’investir dans leur formation. Parce que lorsqu’il s’agit de combler les VIC, sky’s the limit.