C’est la collaboration qui anime la fast fashion en ce début de printemps. Pour célébrer avec style le retour des beaux jours, Mango s’est offert les services de la styliste danoise Alexandra Carl pour co-signer une capsule à l’esthétique ultra-désirable. Son nom ne vous dit rien ? Peu étonnant ou presque : sa carrière dans l’industrie de la mode s’est construite sur papier glacé et dans l’ombre des grandes maisons. Et elle n’est pas la seule.
Elles s’appellent Suzanne Koller, Marie-Amélie Sauvé, Lotta Volkova, Emmanuelle Alt ou encore Helena Tejedor et, depuis plusieurs décennies, elles façonnent, saison après saison, l’imaginaire du luxe contemporain. Des shootings des magazines aux catwalks des fashion weeks, elles sont à l’origine de ce que l’on désigne sans vraiment réfléchir comme étant "la femme Miu Miu", "l’allure Bottega" ou encore "la vibe Balenciaga".
Autrement dit, ces esthétiques singulières et reconnaissables en un clin d’œil, devenues indissociables de l’identité stylistique de certaines maisons. "Je suis là pour m’assurer que les gens puissent reconnaître chaque collection comme une collection Dion Lee ou Emilia Wickstead, mais aussi pour que chaque saison fasse le lien avec la précédente et la suivante", détaille la styliste Melissa Levy sur le site The Zoe Report.
Le bras droit (et parfois gauche) du directeur artistique
À la poubelle, l’idée d’un-e directeur-rice artistique omnipotent-e dont la créativité sans limites serait à l’origine de mille et une collections annuelles, de shootings impactants et d’une allure identifiable entre toutes. À ses côtés, le ou la styliste — avec qui iel entretient une complicité artistique souvent foisonnante — façonne les silhouettes qui défileront sur les podiums, sélectionne les mannequins qui rejoindront la cabine le jour J ou encore décide des looks mis en scène lors des prochaines campagnes.
Bref, iels orchestrent en coulisses (et souvent très anonymement) ce que les marques ont de plus précieux : leur désirabilité. "Aujourd’hui, je pense qu’un styliste est davantage un collaborateur créatif qu’un simple exécutant", confirme le photographe Sam McKnight dans un article de Business of Fashion. "Leur rôle est essentiel dans la création des looks. Le travail de Panos Yiapanis chez Givenchy était presque celui d’un-e designer à part entière."
Un rôle crucial alors que le jeu des chaises musicales à la tête des grandes maisons prend des allures de mercato footballistique. Certain-e-s stylistes apparaissent donc comme les garant-e-s d’une continuité, d’une cohérence visuelle pour ces marques dont la valeur, stylistique, mais aussi financière, ne tient parfois qu’à une nomination.
Des anonymes derrière les plus grands patronymes
C’est le cas, par exemple, de Marie-Amélie Sauvé, bras droit de Nicolas Ghesquière, de l’ère Balenciaga à celle Louis Vuitton, à qui l’on doit aussi les derniers shows Rabanne, Missoni ou encore Balmain. Même parcours pour Suzanne Koller qui, après avoir longtemps accompagné Phoebe Philo, a su poser son œil aiguisé sur les collections Gucci, Carven et Fendi.
Lotta Volkova, quant à elle, est incontestablement liée à l’ascension fulgurante des frères Gvasalia ou encore de Gosha Rubchinskiy. Ces derniers temps, c'est Miu Miu qui bénéficie de son goût très sûr.
Jacob Kjeldgaard, de son côté, accompagne Ludovic de Saint Sernin tout en intervenant sur les shows Tom Ford, Versace et Lacoste, tandis que Brian Molloy peut se vanter d’être à l’origine du stylisme des derniers défilés The Row, Tory Burch et Tod’s.
Sans oublier Emmanuelle Alt, ex-rédactrice en chef du magazine Vogue Paris, sollicitée depuis plusieurs saisons par des griffes comme Isabel Marant, The Attico et ArdAzAei.
Certain-e-s franchissent même un cap en devenant directeur-rice-s artistiques à part entière, à l’image d’Ibrahim Kamara, aujourd’hui à la tête de la création chez Off-White, après avoir fait ses armes dans les studios du magazine Dazed et les coulisses des défilés de Virgil Abloh. Certes, la majorité d’entre elleux restent inconnu-e-s du grand public. Mais dans une industrie où l’image vaut de l’or, les stylistes s’imposent plus que jamais comme les nouveaux-elles stratèges d’un luxe où la discrétion est le gage d’un certain pouvoir… Et d’une remarquable longévité.