Si l’interprétation de nos rêves est généralement ce qui nous préoccupe le plus au lendemain d’un songe marquant, il serait davantage judicieux de s’intéresser à un pan délaissé : leurs effets sur notre corps. 

Particulièrement quand il s’agit de cauchemars qui nous réveillent en sursaut, en sueur ou en pleurs (voire parfois les trois en même temps). 

D’autant que le sujet concerne. D’après une enquête de l’IFOP, parue en 2021, en France, "les femmes font surtout davantage de cauchemars (76% en font contre 69% des hommes). Un quart des femmes en fait même toutes les semaines (24%, contre 13% des hommes)". 

Mais alors, que se passe-t-il réellement dans notre corps lorsque l’on fait un cauchemar ? 

Ce qu'il se passe dans le corps quand on rêve

"Les rêves - ces scénarios ubuesques en rapport avec des choses que nous avons vécues - surviennent au cours du sommeil paradoxal (rapid eyes movements sleep). Un sommeil qui arrive majoritairement en deuxième partie de nuit. Plus on dort longtemps, plus notre sommeil paradoxal va être long. Faire des grasses matinées, n’est donc pas un bon conseil pour les cauchemardeurs", commence à décrypter Benjamin Putois*, psychologue clinicien et psychothérapeute rattaché à l’Institut de Psychologie du Sommeil et chercheur à l’Inserm (Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon). 

Et durant cette phase de sommeil, le cerveau est particulièrement actif. "Il crée une réalité à partir d’aucun sens et consomme ainsi beaucoup d’énergie", complète le spécialiste.

Paradoxalement, la nuit, notre corps est censé être "au repos", contrairement à notre cerveau qui carbure : on parle alors d’atonie musculaire

"Notre cerveau envoie un message au corps que l’on pourrait métaphoriser comme un frein à main, pour dire qu’il ne doit surtout pas bouger. On peut résumer simplement en disant que, lorsque l’on rêve, c’est comme si on était éveillé, sauf que notre corps ne réagit pas et est complètement calme", prend en exemple Benjamin Putois. 

Le chercheur à l’Inserm précise, toujours pour illustrer, que certaines maladies suppriment ce "frein à main", "comme le trouble du comportement en sommeil paradoxal fréquent dans la démence de Parkinson" et où il est courant de voir les patients mimer leurs rêves.

Le cauchemar, une réaction émotionnelle au traumatisme

Toutes ces (non) réactions corporelles et cérébrales ont une fonction bien précise. Elles servent à la régulation émotionnelle, qui est la fonction principale du rêve. 

"On est en train d’activer des mémoires émotionnelles - de stress - que l’on mélange. En même temps, on revisite des films stressants, dans un corps qui est parfaitement serein, ce qui entraîne une 'digestion' émotionnelle", décrit l’expert.

Particulièrement après un traumatisme (des violences physiques, psychiques ou sexuelles, un deuil…) le corps se retrouve marqué par le sceau du stress. Ainsi, "la nuit, il va être moins en atonie musculaire et de fait, cet état corporel va favoriser la survenu de cauchemar. Il est donc normal de faire des cauchemars suite à un événement tragique, en revanche si le stress persiste (état de stress post-traumatique), les cauchemars vont continuer”.

Un état de stress qui tend le corps

Dans le même temps, "les cauchemars peuvent nous rappeler des traumatismes du passé et contribuent à stresser le corps", et alors, c'est le serpent qui se mord la queue.

"Si je fais un cauchemar, je vais tendre mon corps. Les cauchemardeurs le racontent très bien : ils sont dans une étreinte émotionnelle dans laquelle ils ne se sentent pas bien, ils sont tendus… Cet état de stress va contribuer à alimenter la machine des rêves sur la négativité et donc à auto-alimenter les cauchemars", poursuit le psychologue clinicien.

Notre système sympathique devient hyperactif 

Lorsque nous faisons un cauchemar, notre système sympathique - le système d’accélération du corps - est trop actif, ce qui explique pourquoi nous transpirons, nous avons le coeur qui bat plus vite ou encore que notre respiration se fait plus rapide quand nous cauchemardons.

"Le seul médicament qui fonctionne face aux cauchemars chroniques est la Prasozine (Alpress en France) et ce n’est pas un anxiolytique mais un bêta-bloquant, qui va réduire le système d’accélération du corps. Ce qui prouve bien le lien étroit entre le corps et l’esprit qui s’opère dans les rêves et les cauchemars", acquiesce Benjamin Putois. 

Et si "les cauchemardeurs rapportent des céphalées de tension, une nervosité, des crampes au niveau des mâchoires (car ils serrent les dents)", ils peuvent généralement se reposer lors de la phase de sommeil lent profond, importante durant les trois premières heures de la nuit et primordiale pour réparer le corps. 

Toutefois, l'expert nuance. "Le cauchemar perturbe surtout le sommeil par des insomnies, parce que la personne va se réveiller de son cauchemar dans un tel état émotionnel qu’elle ne va pas se rendormir tout de suite ou même du tout. Dans les cas les plus sévères, on voit aussi des gens qui repoussent l’heure du coucher car c’est un horrible rendez-vous, la nuit est devenu insécure". 

Comment se défaire de cauchemars récurrents ? 

Bien que le déclencheur principal du cauchemar soit le stress, notre spécialiste note que dans les cas d'apnée du sommeil, ils peuvent aussi se retrouver ("en respirant mal, les personnes ont plus de tension dans leur corps - moins d’atonie musculaire - et font plus de cauchemars"). 

Mais il souligne surtout qu'il est important de différencier le cauchemar, normal après un événement traumatique, un stress, et la maladie du cauchemar - quand on en fait au moins un par semaine. 

Cependant, si des songes négatifs hantent vos nuits, il existe des méthodes pour s'en défaire. Benjamin Putois cite "la plus efficace" : la thérapie par rescénarisation d’image mentale (RIM), mise au point par le Dr Barry Krakov.

"Elle est basée sur un entraînement des capacités de contrôle des images visuelles. Le rêve se construit à partir de ce qu’on a vu, chargé émotionnellement sur une fenêtre d’à peu près 10 jours. Si on répète des nouveaux scénarios par rapport à ses cauchemars, à force on va incorporer des éléments positifs au sein de son sommeil paradoxal et relancer la machine des rêves qui était bloquée sur la négativité", explicite-t-il.

"Une psychothérapie par EMDR ou RIM à proprement parler est souvent nécessaire pour traiter le fond du problème, il n’existe pas de méthode miracle qui va nous délivrer en une nuit, mais 70% des personnes qui suivent ce type de méthode sont totalement guéris", rassure-t-il.

*Benjamin Putois est co-auteur (avec Mélinée Chapoutot) de Libérez-vous de vos insomnies: Plus belle sera la nuit (Ed. O.Jacob)