Être athlète, c’est dans la tête ? C’est la démonstration magistrale que Jean-Philippe Lachaux déroule au fil de son nouvel ouvrage Dans le cerveau des champions (Ed. Odile Jacob).

Le directeur de recherche en neurosciences cognitives au sein du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL) a interviewé des dizaines de sportifs pour percer à jour ce qu’il se passe dans le cerveau d’un champion au moment de réaliser une prouesse, dont seuls quelques êtres humains sont capables.

Et le spécialiste de la question de la concentration est formel : les athlètes de haut niveau développent leurs "super-pouvoirs" via des interactions profondes, intenses entre les entraînements physiques et mentaux. Au cœur de l’écosystème de la performance, le cerveau. 

Les entraînements répétés remodèlent le cerveau

Premier super pouvoir déployé grâce au cerveau : l’automatisation. L’apprentissage d’un nouveau geste mobilise largement le cortex, pour contrôler et corriger le mouvement en temps réel. Mais une fois l’apprentissage terminé, le cortex n’est plus nécessaire, sauf pour combiner ce geste avec d’autres de façon créative. L’acquis est intégré dans une sorte de "gestothèque" dans lequel le corps puise à loisir, instantanément.

Pour parvenir à cette disponibilité, il n’y a pas de secret : il faut répéter. Si le sportif y consacre du temps et pratique en posant des intentions claires, le cerveau apprend peu à peu à activer les bons neurones dans le bon ordre pour activer les bons muscles. À en croire Jean-Philippe Lachaux, les (nombreuses) erreurs sont aussi essentielles, car elles permettent au cerveau d’assimiler de manière de plus en plus précise et nuancée.

Exactement comme en musique, la répétition permet à l’athlète de se concentrer sur les nuances qu’il apporte à ses gestes, plutôt que sur la séquence des mouvements.

Plus on "fait ses gammes", plus on devient bon. "La région du cerveau qui contrôle les mouvements de la main chez les violonistes professionnels occupe un volume plus important que dans la population générale. L’expertise modifie donc profondément la structure même du cerveau", illustre Jean-Philippe Lachaux. 

La neuro-imagerie pour travailler le geste parfait ?

La même logique vaut aussi pour la préparation mentale. Grâce à l'imagerie motrice, les neuroscientifiques peuvent étudier à la loupe l’activité cérébrale des sportifs lorsque ceux-ci se visualisent en pleine action.

Selon Aymeric Guillot, professeur des Universités, spécialiste des processus mentaux et de la neuro-imagerie appliqués au sport (Université Claude Bernard Lyon 1 – Laboratoire LIBM), l’imagerie cérébrale permet aujourd’hui de mesurer le gain de performance induit par le travail mental.

"On arrive à savoir quelle est l'amélioration que va amener la préparation mentale", observe le spécialiste au micro de Radio France. Cette approche aide le sportif à réaliser le geste le plus parfait possible, mais aussi les coachs sportifs à mieux cibler leur accompagnement. 

Convaincre le cerveau de convaincre le corps

Second super-pouvoir des sportifs de haut niveau : leurs capacités athlétiques hors normes.

"Même avec une excellente 'gestothèque', on est toujours limité par ce que peuvent faire les muscles : encore faut-il qu’ils puissent obéir aux commandes des neurones", explique Jean-Philippe Lachaux. 

Pour que l’organisme développe les capacités athlétiques et techniques qui lui permettront de répondre aux demandes sans trop de résistance, le cerveau entre encore en jeu. "Tout se passe comme si, à force de demander à ton corps et ton cerveau de réussir quelque chose, ils finissaient par comprendre que c’est important pour toi et qu’ils se transformaient pour que tu y arrives de plus en plus facilement", détaille le directeur de recherche.

"Par la répétition, avec à chaque fois une intention claire, les neurones se réorganisent et les fibres musculaires se développent. C’est ce qu’on appelle la plasticité, cérébrale et musculaire".

Une perception décuplée

Un.e champion.e doit, par ailleurs, développer une disposition à percevoir un grand nombre de détails qui peuvent paraître insignifiants, sur des temps très courts. Cela lui permet de lire le geste de son adversaire ou l’organisation d’une défense adverse.

"Son cortex visuel identifie comme des motifs familiers parmi des quantités de signaux où est cryptée l’information qu’il recherche", constate Jean-Philippe Lachaux. "Là où un joueur débutant voit juste une épaule un peu tournée et un coude tiré légèrement en arrière, un bon joueur reconnaît en une fraction de seconde la préparation d’une amortie bien masquée".

Quand tu arrêtes le squash un moment, la première chose que tu perds, ce n’est pas forcément le physique… Mais c’est ta prise d’information… Tu vas voir la balle en retard.

La capacité à reconnaître des motifs est l’une des clefs de l’exceptionnelle vitesse de perception des champions. "Quand tu arrêtes le squash un moment, la première chose que tu perds, ce n’est pas forcément le physique… Mais c’est ta prise d’information… Tu vas voir la balle en retard", évoque Mathieu Castagnet, multichampion de France en squash.

Comme un spécialiste de la lecture rapide, l’expert réserve son attention aux seuls éléments essentiels. Il perçoit vite et bien, sans s’encombrer des informations inutiles. De la même manière, grâce à l’entraînement, l’athlète peut, en quelque sorte, "prédire" le futur proche du jeu.

Ainsi, les dessins que font les balles et les ballons leur sont aussi familiers que les lettres pour le commun des mortels. Ils ont une perception experte de la trajectoire de la balle, alors qu’un joueur amateur perçoit juste une balle en mouvement dans les airs.

La triple concentration

Pour Jean-Philippe Lachaux, tout ce que nous faisons implique plusieurs niveaux d’intention : une micromission, au sein d’une minimission, au sein d’une maximission… Comme autant de poupées russes.

Le cerveau met donc en œuvre différents niveaux d’actions que le chercheur aime comparer au jeu de Légo. Le Micromoi est la partie cérébrale qui va chercher la plaque rouge et qui fixe les briques jaunes, parce qu’il est en charge de réaliser les micromissions une par une. Le Minimoi est le petit supérieur hiérarchique qui lui confie ces micromissions les unes après les autres : "Va chercher une plaque rouge", "Fixe cette brique jaune à cet endroit sur la plaque rouge", etc.

Enfin, Maximoi demande à Minimoi – qui ne prend aucune décision compliquée — de réaliser l’étape 12, puis l’étape 13, et ainsi de suite…

Chaque niveau du Moi peut être remplacé par un pilote automatique, à condition d’avoir suffisamment confiance pour relâcher le contrôle ! Tout champion dispose généralement d’automatismes efficaces, à chacun de ces niveaux. Mais entre contrôle exagéré et total lâcher-prise, la ligne de crête pour les laisser s’exprimer est souvent bien étroite.

L’objectif : parvenir à rester concentré.e sur les micromissions tout en gardant une conscience claire de l’enchaînement des minimissions au sein de la maximission. L’athlète doit sans cesse améliorer l’équilibre attentionnel entre ces trois niveaux.  

Le Graal de l’attention douce

Pour beaucoup, cette quête revient à cultiver une forme d’attention douce, qui leur permet de convoquer le meilleur d’eux-mêmes sans (trop) se mettre la pression.

"Essayer de gagner ou essayer de tout faire pour gagner, ce n’est pas du tout la même chose", nuance Jean-Philippe Lachaux. "Tout faire pour gagner, c’est chercher à mettre son cerveau, et bien entendu son corps, dans l’état le plus efficace pour cela".

Perdre un match en visant cet état, ce n’est pas vraiment perdre, car l’athlète aura actionné tous les leviers qui étaient à sa portée pour gagner… Il.elle se sera aussi placé.e dans les meilleures conditions possibles pour apprendre de cette défaite.

Fort.e de la compréhension de ce qu’il.elle a à améliorer, il.elle pourra retourner à l’entraînement avec une feuille de route toute prête. Ce qu’on appelle un mental de champion.