« Quand on ne sait pas, on se tait », « Tu es trop jeune pour comprendre », « Ne parle pas de ce que tu ne connais pas »… Ces phrases tout droit sorties de la bouche de parents exaspérés qu’on leur coupe la parole, notre génération et sa précédente les ont beaucoup entendues. Combien de fois, cigarette à la bouche, jambes croisées nonchalamment sur un canapé, pleins de nous-mêmes et de certitudes, il nous est arrivé de regarder nos chères têtes blondes avec la sensation que leur prise de parole était idiote ou inappropriée ?
Par Honorine Crosnier, autrice et scénariste.
L’infantisme, qui consiste à moquer, dénigrer et discréditer la parole des jeunes et des adolescents
... c’est exactement cela. C’est exactement ça et plus encore. L’infantisme ne date donc pas d’hier et court encore aujourd’hui.
Considéré par certains comme un principe fondamental d’éducation qui consiste à contenir les enfants à leur place, il est pour Laelia Benoit, au contraire une véritable et grave discrimination. En arrivant aux Etats-Unis, cette pédopsychiatre découvre que la réalité qu’elle observait déjà sans pouvoir l’épeler porte un nom : le childism.
Mais alors comment en France et dans la réalité l’infantisme se traduit-il ?
Selon Laelia Benoit, comme des actes, inconscients ou non, de la société qui font taire la parole des enfants. Cet infantisme est archaïque et se décline en trois formes.
La première forme est ce qu’elle appelle l’infantisme narcissique. Les adultes qui en usent « considèrent les enfants comme un pouvoir menaçant parce qu’ils représentent l’avenir » et que tôt ou tard, ils leur succéderont. En clair, nous sommes tellement obsédés par le fait de vieillir puis de disparaître que nous regardons les enfants et les adolescents comme un accélérateur de désuétude et de sénescence. « Si tu grandis, je vieillis et si je vieillis, je serai bientôt dans un trou noir, entouré de vers prêts à dévorer mon corps en putréfaction », charmant programme. Si on adore les poster partout comme la parfaite extension de nous-mêmes, on est moins préparés à ce qu’ils s’assoient sur notre trône. Lorsqu’ils grandissent, les enfants nous poussent vers la sortie et ce passage de relais et de pouvoir convoque une de nos peurs les plus existentielles : la peur de mourir.
Pour s’en protéger, les adultes critiquent l’ensemble des enfants et les jugent alors trop paresseux, gâtés, agités ou insolents.
La deuxième forme de « ce fléau » est l’infantisme hystérique. Elle est sous-entendue par « des fantasmes d’appropriation, de possession et de soumission ». C’est-à-dire que le parent considère les enfants comme des ressources à manipuler et à exploiter. Une inversion des rôles où les enfants sont censés agir comme des adultes et les protéger. On trouve Shein scandaleux, on hashtague les Ouïgours mais finalement, nous n’aurions pas plus de morale que de cœur et nous exploiterions nos enfants à loisir et à des fins personnelles. Plus concrètement, on attendrait les bras croisés - toujours cigarette à la bouche et jambes ramassées sur le canapé - que la génération suivante répare ce que nous avons abîmé. La planète, le climat, le désordre. Une armée de Greta prête à tout pour nous sauver. Mais pour eux et on peut les comprendre, cette injonction est trop lourde à porter. Et si on parle beaucoup de charge mentale parentale, on aborde beaucoup moins le problème de charge mentale infantile.
La troisième et dernière forme de ce désastre sociétal est l’infantisme obsessionnel. Celui-ci repose sur l’idée que « les enfants seraient des parasites, d’égoïstes consommateurs de ressources : du cliché de l’embryon qui colonise le ventre de sa mère, jusqu’aux stéréotypes visant les adolescents, caricaturés en tyrans, voraces, paresseux et nombrilistes ». Nos enfants seraient donc des aliens hybrides et tyranniques, prêts à pomper nos énergies et nos ressources vitales. Ils pomperaient le fer de leur mère, blanchiraient les cheveux de leur père - quand ils ont la générosité de leur en laisser - et ils siphonnent leur compte en banque, eux qui ont sué sang et eau pour épargner.
Les enfants seraient des plaies, tout simplement.
Pour toutes ces raisons, combattre l’infantisme est selon Laelia Benoit une priorité, un défi sociétal majeur à considérer avec le plus grand sérieux. Plus encore, la parole des enfants est nécessaire pour relever les défis de taille qui ourdissent déjà. Notamment celui de l’inaction climatique qui ne pourra être réussi que si l’on s’attaque à ce fameux infantisme.
Remettre les enfants au cœur de nos politiques publiques, les écouter, les prendre au sérieux et revenir enfin à cet adage qui n’est malheureusement encore que légende : la vérité sort de la bouche des enfants. Alors écoutons-les !