Les Italiens ont inventé le "ristretto". TikTok a inventé le "proffee". Comprendre "protein coffee".

Rien de plus simple : un expresso, des glaçons, de la poudre protéinée. Une recette devenue très populaire sur les réseaux qui signe la toute-puissance de la protéine dans les alimentations digitales et vante aussi des méthodes comme le "protein-first" (commencer chaque repas par des protéines), argument miracle pour la perte de poids, ou qui met en scène des défis comme le "10k protein challenge" (consommer 10 000 g de protéines en un mois).

Plus qu'une tendance, l'omnipotence des protéines est devenue un phénomène culturel. Pas un jour ne passe sans qu'un·e influenceur·euse en fasse la promotion. Jessie Inchauspé, plus connue sous le nom de Glucose Goddess et star du contrôle de la glycémie, prône à ses 8 millions d'abonné·es sur Instagram un régime riche en protéines. Jimmy Mohamed, médecin influenceur, livre ses recettes de collations protéinées. Rose Ferguson publiait en avril des recettes de brunch hyper-protéiné pour Pâques, tout en invitant ses followers à entamer leur repas par une dose de protéines. Sans parler des influenceur·euses fitness qui lancent leurs propres poudres à shaker. 

"Il existe une cacophonie d'experts nutritionnels, parfois sans bagage scientifique suffisant, ce qui laisse le public complètement perdu", explique Anthony Berthou, spécialiste en nutrition systémique, qui vient de publier Remettez du bon sens dans votre assiette (Ed. Actes Sud, avril 2025). 

Des molécules nécessaires, mais largement surévaluées

Concrètement, les protéines sont des molécules complexes composées d'acides aminés qui jouent un rôle fondamental pour notre santé. "En consultation, je recommande deux doses par jour et je n'en démords pas, avance Émilie Kapps, naturopathe. Elles sont indispensables au fonctionnement de l'organisme, au système immunitaire, au transport de l'oxygène dans le sang, dans les muscles, la peau."

Si leur importance est indéniable, la folie des grandeurs qui se joue sur les réseaux sociaux est loin de refléter nos besoins réels. "Ils sont en général de l'ordre de 1 à 1,2 g par kilo de poids corporel pour obtenir une protéine idéale. En moyenne, la population française consomme environ 1,3 à 1,4 g par kilo, ce qui est suffisant dans la majorité des cas", précise Anthony Berthou. Certaines situations – âge avancé et fonte musculaire, ménopause, convalescence – peuvent justifier une attention accrue. Mais pour le commun des mortels, contrairement aux promesses de votre algorithme TikTok, la plupart des gens atteignent déjà leurs objectifs protéiques, voire les dépassent sans même s'en apercevoir. 

Un business mondial

Ce succès ne s'est pas fait tout seul. Il faut attendre le XIXe siècle pour que le chimiste Justus von Liebig identifie les protéines comme essentielles à la construction musculaire. "Avant, on ne savait pas qu'elles existaient. Mais depuis le Moyen Âge et jusqu'au XIXsiècle, on valorisait la viande comme source indispensable pour reconstituer ses forces, explique l'historien de l'alimentation Florent Quellier. La viande y occupait une place de primauté, symbolisant un marqueur social et de puissance économique et politique, même si, pour une grande partie de la population, les protéines provenaient essentiellement des légumineuses, notamment les légumes secs, qui jouaient un rôle important dans l'alimentation quotidienne."

 Via la viande, les protéines jouissent d'une image positive, et les découvertes scientifiques successives ne font que renforcer cette aura. "La protéine a une bonne image, car elle constitue un élément de structure pour le muscle et tous nos gènes, analyse Anthony Berthou. Parmi les trois macronutriments – glucides, lipides et protéines –, c'est elle qui est la plus valorisée en raison de ses multiples atouts dans la régulation de la satiété, du maintien musculaire et de la protection lors des régimes amaigrissants."

 La suite ? La suite, c'est le monde du fitness qui fait passer la protéine du simple aliment à un business mondial. Dans les années 70, la "whey" – sous-produit de la fabrication du fromage – gagne en popularité dans le body-building. Des recherches révèlent sa haute teneur en protéines rapidement assimilables et son profil complet en acides aminés.

Aujourd'hui, transformée en poudre, la whey est devenue le supplément protéiné le plus vendu au monde. Toutes les marques proposent désormais leur version de la poudre protéinée, y compris dans le segment premium et vegan : Aime de Mathilde Lacombe, Day+ ou encore WelleCo récemment lancée par Elle Macpherson.

Tour de force marketing

En créant un halo santé autour des protéines, l'industrie alimentaire a réussi un tour de force marketing : vendre des chips ou des glaces "protéinées" à prix premium. Ou transformer un simple yaourt en produit tendance par la seule mention "high protein".

Le cottage cheese et le skyr, ces yaourts épais et riches en protéines, ont relégué le fromage blanc traditionnel au rang d'aliment de boomer, malgré des profils nutritionnels souvent comparables. Sauf que les yaourts estampillés "high protein" se vendent généralement 40 % plus cher que leurs équivalents standard. "Riche en protéines" est devenu le nouveau slogan tendance qui a détrôné le "pauvre en glucides" dans l'imaginaire collectif du bien-manger. Une dynamique amplifiée par les codes des réseaux sociaux où la protéine est devenue un symbole de discipline et de performance.

La supplémentation est largement mise en avant dans le cadre de la promotion d'un corps sculpté et performant, ce qui alimente ce culte de la performance – un corps qui doit être nourri en excès de protéines pour atteindre un idéal de musculature, observe Clémentine Hugol-Gential, spécialisée dans la communication alimentaire et autrice de Corps, alimentation et réseaux sociaux, (Le Murmure Éditeur, 2024). Il existe tout un marketing autour de ces produits hyper-protéinés, avec des allégations diverses, alors qu'en réalité, des produits simples comme les petits-suisses peuvent parfaitement convenir d'un point de vue nutritionnel."

Un nouveau biais orthorexique

Le problème de cette fixation sur les protéines, c'est qu'elle détourne l'attention des nutriments dont nous manquons vraiment. En créant une nouvelle orthorexie sur des "aliments vantés", elle masque un déséquilibre nutritionnel inquiétant. L'Américain moyen consomme deux fois plus de protéines que nécessaire (environ 100 g par jour) mais seulement 15 g de fibres, soit la moitié de la quantité minimale recommandée pour un bon fonctionnement de l'organisme. 

"Consommer trop de protéines peut être dangereux, notamment pour la fonction rénale, et provoquer des problèmes digestifs, surtout si l'apport en fibres est insuffisant", alerte Clémentine Hugol-Gential. Un excès qui n'est pas sans conséquences sur nos corps, mais aussi sur la planète. Selon une étude publiée dans The Lancet Planetary Health, si tous les humains adoptaient le régime "high protein" promu par certain·es influenceur·euses, la surface agricole mondiale devrait augmenter de 30 % pour satisfaire la demande en protéines animales.

Protéines : ce qu'il faut savoir 

Les besoins réels : pour une personne sédentaire, 1 à 1,2 g par kg de poids corporel par jour. Un individu de 70 kg n'a donc besoin que de 70 à 84 g quotidiens.

Les sportifs : pour les sportifs réguliers, les besoins augmentent à 1,3 voire 1,5 g par kg/jour. En période intensive de prise de masse musculaire, on peut monter jusqu'à 1,6 voire 2,4 g par kg/jour selon la qualité des protéines consommées.

L'équilibre animal/végétal : le ratio optimal ? 50/50. une proportion qui permet de bénéficier de tous les acides aminés essentiels en limitant l'impact environnemental.

Le menu type : en ingérant 2 œufs et 30 à 50 g d'oléagineux le matin, environ 120 à 140 g de viande ou de poisson le midi, 30 à 50 g d'oléagineux en collation et des légumineuses et/ou des produits céréaliers le soir, éventuellement un produit laitier s'il est toléré, les besoins protéiques sont satisfaits, y compris chez un sportif régulier.

Merci à Anthony Berthou et son ouvrage Remettez du bon sens dans votre assiette (éd. Actes Sud, avril 2025).

Article publié initialement dans le magazine Marie Claire n°874, daté juillet 2025