Plusieurs centaines de professionnels de la protection de l’enfance ont manifesté à Paris le 25 septembre 2024 afin d’alerter sur l’état de "délabrement inédit" de leur secteur d’activité. Cette mobilisation, rare pour ce secteur, atteste la gravité de la crise actuelle.
Le manque de moyens et la pénurie de professionnels dont la mission est d’accompagner les enfants maltraités, avec un éventail d’actions allant du soutien aux familles au placement mettent en danger les 380 000 enfants pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Cette situation favorise un phénomène qui semble croitre d’année en année : de nombreux mineurs pris en charge par l’ASE ont des relations sexuelles physiques ou virtuelles contre rémunération, avantage en nature ou la promesse de l’un d’eux ; ils sont victimes de prostitution.
Selon des évaluations approximatives et probablement en deçà de la réalité, en France, chaque année, entre 7 000 et 10 000 enfants seraient victimes de prostitution. Les victimes sont majoritairement des filles, âgées entre 13 et 17 ans, issues de tous les milieux sociaux.
Infections sexuellement transmissibles, grossesses non désirées auxquelles s’ajoutent les violences physiques, psychologiques et sexuelles, les conditions de vie liées à la prostitution, ainsi que la consommation de produits stupéfiants qui vont presque toujours de pair participent à la dégradation de l’hygiène de vie et entraînent des risques pour la santé physique des victimes.
"L'immense majorité" des jeunes victimes ont déjà vécu des violences avant de se prostituer
Pour protéger les enfants qui rencontrent des difficultés au sein de leur famille, l’État dispose de plusieurs mesures, dont l’accueil en établissements de la protection de l’enfance.
Dans ce cas, l’enfant est placé dans un lieu d’hébergement comme un foyer de l’enfance, une maison d’enfants à caractère social ou un foyer d’action éducative. Ces établissements ont pour mission d’assurer la sécurité, le maintien de la santé physique et psychique des jeunes ainsi que leur insertion sociale, scolaire et professionnelle.
À travers les réseaux sociaux, n'importe quelle jeune qui présentera des facteurs de vulnérabilité, est susceptible d’être contactée par des de personnes qui chercheront à la racoler.
Mais selon plusieurs études, dont une enquête des sociologues Nathalie Gavens et Héléna Frithmann parue dans The Conversation, l’environnement des mineurs placés tend à favoriser leur entrée dans la prostitution.
Les jeunes pris en charge sont vulnérables. Leurs parcours sont souvent marqués par des traumatismes, des carences affectives et éducatives et de multiples violences qui favorisent les conduites à risques comme les scarifications, les crises suicidaires, les fugues, les addictions.
Le placement dans les établissements de l’ASE est synonyme de bouleversement important puisqu’il induit la séparation avec leurs familles, leurs amis, leur école et de manière plus globale leurs repères et habitudes.
Le fait d'avoir subi des agressions sexuelles ou d'avoir été victime de violences accroît grandement la vulnérabilité face à la prostitution. "L’immense majorité, voire 100% des jeunes concernés ont déjà vécu des violences avant de se prostituer et 90% d'entre elles ont vécu des violences sexuelles", avance auprès de Marie Claire, Claire Grangeaud, qui coordonne, au sein de l’Association l’Amicale du Nid 34, un service dédié aux mineurs victimes de prostitution.
La prostitution des mineures semble avoir pris de l’ampleur depuis la sortie des confinements, en 2018-2019.? "À travers les réseaux sociaux, n'importe quelle jeune qui présentera des facteurs de vulnérabilité, est susceptible d’être contactée par des de personnes qui chercheront à la racoler?", souligne auprès de Marie Claire, Bénédicte Lavaud-Legendre, juriste spécialiste des questions de prostitution.
Quand les proxénètes ont des relais au sein des établissements
La majorité de ces mineures, n'entrent pas toutes seules en prostitution. Elles sont incitées. Les structures d’accueil de l’ASE peuvent être considérées par les personnes renseignées et mal intentionnées comme des "cibles".
Des recruteurs, des proxénètes et des clients connaissent la localisation des établissements et savent que des mineures vulnérables y sont hébergées. Ces dernières sont donc régulièrement abordées dans la rue, aux alentours de la structure, par ces individus afin d’avoir des rapports sexuels tarifés.
Mais le recrutement peut aussi venir de l’intérieur des établissements de l’ASE. "À leur arrivée dans les foyers les adolescentes développent ?un sentiment d’appartenance important au groupe de paires de l’établissement, les autres enfants placés, développent les sociologues Nathalie Gavens et Héléna Frithmann dans leur étude. Par ce biais, elles sont rapidement mises en lien avec des conduites à risques comme les fugues, la consommation d’alcool, de produits psychotropes et l’initiation à certaines pratiques sexuelles, avant d’entrer dans la prostitution."
Il y A rarement des proxénètes au sein des foyers, mais certaines jeunes jouent le rôle de recruteurs et sont les relais de personnes à l'extérieur qui organisent l’activité. "Il y a toujours le profil du?petit délinquant qui voit un moyen de se faire un peu d’argent en prostituant sa copine mais on constate de plus en plus que cette criminalité est investie par des groupes beaucoup plus structurés, beaucoup plus importants et beaucoup plus dangereux", révèle Bénédicte Lavaud-Legendre à Marie Claire.
Des professionnels qui peinent à aider les jeunes victimes
Face à ces situations, les professionnels de la protection de l’enfance sont souvent mal formés, ne savent pas toujours repérer les signaux d’alerte et peuvent donc se trouver sidérés et impuissants. Même lorsqu’une jeune filles victime est repérée, les professionnels sont confrontés à de nombreuses difficultés pour l’aider.
Les jeunes placées étant souvent issues d’environnements familiaux défavorisés, elles souhaitent en se prostituant gagner beaucoup d’argent et "faire mieux" que leurs familles, obtenir une vie meilleure.
L’ASE, tout seul ne peut rien faire. Il faut créer un protocole qui mobilise toutes les institutions.
Elles peuvent refuser d’être aidées et ne se perçoivent pas toujours comme des personnes prostituées. Une fois la prise de conscience amorcée, elles peuvent être empêchées de parler par la terreur qu’exerce sur elles le réseau qui les assujetties. S’ajoute à cela que les mineures qui se prostituent ne sont pas toujours considérées comme étant victimes et sont parfois rapprochées de la délinquance comme si elles étaient responsables de leur situation.
Il n’existe pas encore de dispositif spécifique et de parcours tracé pour faire sortir ces jeunes de la prostitution. "Les professionnels tâtonnent, confie Bénédicte Lavaud-Legendre à Marie Claire. De toute manière, l’ASE, tout seul ne peut rien faire. Il faut créer un protocole qui mobilise toutes les institutions : l’ASE, le tribunal, la police, et des services spécialisés de soins."
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