"Ils prévoient des coupure d’eau cet après-midi. J’espère qu’on ne sera pas en plein shampoing". Françoise Boudet, une petite femme au blond polaire plaisante et s’affaire en ce lundi. Coiffeuse à domicile près de Rennes en Ille-et-Vilaine elle s’installe, chaque semaine, dans le salon de coiffure au premier étage du bâtiment J du centre pénitentiaire des femmes de Rennes. Une grande pièce blanche, des catalogues de coiffeurs, des bacs de shampoing, quelques magazines people…, aujourd'hui, elles seront quatre détenues à passer sous ses ciseaux.

Ici, 271 femmes de 18 à 70 ans purgent une peine en moyenne de 12 ans. Parmi elles, 23 sont mineures, la moitié sont condamnées à la réclusion criminelle dont cinq à la réclusion criminelle à perpétuité.

Sonia* est le premier rendez-vous de Françoise. Faux ongles roses pailletés, elle vient entretenir sa coupe courte tous les deux mois pour 23 euros. Pour elle, le coiffeur c’est "indispensable" pour "rester quelqu’un". Et de poursuivre : "Quand on est incarcéré, on se demande ce qu’on est, vu qu’on est plus rien".

Elle a pris rendez-vous il y a longtemps, "c’est tout un binz' pour s’inscrire", raconte-t-elle. Chaque détenue s’inscrit auprès de l’administration pénitentiaire pour prendre rendez-vous. Pour l’achat des produits de beauté, ce n’est pas simple non plus. Les détenues peuvent les "cantiner" auprès du magasin interne qui leur permet d’améliorer leur quotidien : produits de beauté, de soins mais aussi épicerie, cigarettes... Tous les deux mois, les détenues reçoivent une liste de produits de beauté.

"On coche ce qu’on veut sur une liste. On les paie auprès de l’administration pénitentiaire qui nous livre les produits. Le problème c’est qu’on a pas les photos", rigole Sarah, 57 ans. "On choisit une couleur de fond de teint un peu au hasard et puis après on s’arrange entre nous. C’est au p’tit bonheur la chance". Pour son budget beauté, Sarah consacre 29 euros à sa manucure et 23 euros tous les quatre mois à ses cheveux. Pour les chaussures, par contre, "c’est no limit, ça a toujours été mon péché mignon". Elle craque deux fois par an quand Gémo installe un magasin éphémère dans l’établissement.

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Le choc carcéral et l’oubli de soi

Adélaïde Haslé

Incarcérée depuis sept ans, Sarah n’a plus pris soin d’elle pendant 18 mois. Cellule, douche, cellule : "J’ai pris conscience que j’étais enfermée". On appelle cela le choc carcéral. Il définit la sidération provoquée par la coupure avec le monde extérieur et le passage, brutal, entre le dehors et le dedans. Le personnel pénitentiaire surveille de près chaque détenue qui subit ce choc qui peut mener jusqu’au suicide (17 % des suicides ont lieu dans les dix premiers jours de l’incarcération, ndlr).

Les détenues le vivent toutes avec plus ou moins de force. C’est toujours "la vie de dehors" qui les aide à remonter la pente, le parloir, le soutien des siens, le travail mais aussi "se chouchouter".

Pour Émilie, en prison depuis cinq mois, le choc carcéral a été très difficile, "J’étais incapable de faire quelque chose". C’est sa co-détenue qui l’a remise sur pieds avec "les soirées pyjamas en cellule. On fait des essayages de vêtements, de maquillage ... On est quand même quasiment 24h sur 24 ensemble, ça m’a aidé à aller mieux".

Toutes racontent les moments passés ensemble à s’occuper d’elles-mêmes pour "tenir debout et rester vivantes". Les conseils partagés aussi : "J’ai appris à mettre du dentifrice pour assécher les boutons et le fard à paupières sur les joues ça fait le même effet qu’un blush, vous saviez ?", raconte Émilie. La co-détenue d’Émilie, elle, n’a pas d’argent pour un rendez-vous coiffeur. Elle lui en fera cadeau bientôt pour son anniversaire.

Elle demande à Françoise si une coloration blonde "très claire partout" sera possible ? "Mon procès est pour bientôt, je veux arriver en bombe, je veux que mon ex ait le seum", s'amuse-t-elle. Françoise, dit oui, puis non, "faut voir".  Et de soupirer : "L’entretien des couleurs, ça demande un budget qu’elles n’ont pas forcément', explique-t-elle. Les produits coûtent aussi cher que dehors mais les salaires de prison ne suivent pas, 7,50 euros de l’heure contre 11,65 euros pour le smic horaire.

Émilie dépense 47 euros par mois pour prendre soin d’elle, "mais je ne trouve pas tout ce que je veux", regrette-t-elle. Tiens d’ailleurs, "à la cantine les shampoings qu’ils proposent c’est seulement coco ou aloe vera", dit-elle. "Non, ça verdit le blond !", s’insurge Françoise qui lui glisse en cachette un échantillon pour entretenir sa patine : "On essaie de leur faire plaisir, dit-elle. Elles sont attachantes. Ici, elles se dévoilent, c’est un moment suspendu, elles se confient et moi je me sens privilégiée de passer du temps avec elles". 

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La beauté comme outil d’émancipation 

Adélaïde Haslé

Si le coiffeur ou les séances de manucure sont à la charge des détenues, chacune a aussi le droit des séances de socio-esthétique prises en charge par le SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation). Celui-ci assure le suivi des personnes incarcérées : "Nous mettons en place des actions qui visent à la réinsertion sociale des détenues", explique Caroline Villatte de Peufeilhoux, directrice du SPIP.

"Nous sommes sur la prévention de la récidive. La socio-esthétique fait partie de la reconstruction de soi", continue-t-elle. "Elles se construisent une boîte à outils pour avoir une assise dehors et pour ne pas retomber dans les mécanismes précédents". Il y a aussi des cafés philo, l’atelier genre ou le laboratoire des oratrices pour apprendre à prendre la parole en public. Au total, un budget de 30 000 euros par an... en baisse chaque année. 

Claudia Veillaux assure les séances de socio-esthétique. "Je leur fais beaucoup de soins du visage, des massages du dos, elles sont souvent stressées". Avec son écoute et ses soins elle essaie aussi de les détendre. Certaines "ont beaucoup de colère" notamment quand "elles ont subi des violences. Le toucher fait ressortir des émotions", souligne la professionnelle. La coquetterie, c’est un moment pour soi que beaucoup ne s’autorisaient pas dehors, c’est aussi un outil d’émancipation pour certaines détenues : "Des femmes portent des jupes, se maquillent, se coiffent quand dehors sous l’emprise d’un mari violent, elles n’en avaient pas le droit", raconte Françoise.

Retrouver l’estime de soi, c’est aussi avancer pour préparer son avenir. Marie, la quarantaine, vient "faire une bonne coupe". Elle ne veut pas couvrir les quelques mèches blanches qu’elle voit, "on verra ça pour dehors", dit-elle en étendant bien ses jambes d’aise et esquissant un sourire, "oui parce que je serai bientôt permissionnaire". Ces moments dehors très encadrés permettent aux détenues de préparer leur réinsertion et de maintenir des liens familiaux. Être permissionnaire c’est voir "le début du bout du tunnel".

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Du rose aux joues pour avoir du baume au coeur

Adélaïde Haslé

Se maquiller, c’est une cape qu’on se met pour être quelqu’un d’autre ou pour se trouver soi. Comme Anya, 25 ans, pour qui la prison a été l’occasion d’une double transformation.

"Dehors, j’avais les cheveux jusqu’aux genoux et je ne sortais pas sans beaucoup de maquillage". Arrivée ici, à 18 ans, elle s’est rasée la tête : "Je voulais devenir une dure à cuire. Disparaître. Pour moi, être féminine c’était être fragile, j’avais besoin d’une carapace". Une carapace qu’elle s’autorise à fendre un peu avec le travail sur elle-même qu’elle a entamé, "il nous faut réaliser pourquoi on est là. On réfléchit à nos actes. Je me sens plus calme". Apaisée, ses cheveux ont repoussé. Depuis un an, elle cantine du mascara et un fond de teint. "Ici, on me dit que je suis belle, ça me donne envie de continuer". 

La coquetterie en prison est loin d’être superficielle, c’est ce qui les sauve du gris, de la déprime et de la tristesse. Ici, plus qu’ailleurs, vernir ses ongles, mettre du blush bonne mine, c’est essentiel : du rose aux joues pour avoir du baume au coeur. "Vu de dehors ça paraît insignifiant", disent-elles. Mais vu d’ici, les produits de beauté ce sont des odeurs, l’amour des proches et les souvenirs.

Le plus symbolique c’est le parfum. Interdit en maison d’arrêt, il est autorisé dans l’unité des longues peines. Sarah a retrouvé des couleurs après quatre ans sans en porter : "Quand on entre ici, on est rien, c’est sec, on sent rien. Avec mon parfum, j’ai retrouvé celle que j’étais. C’est le pas-grand-chose qui change tout. Un coup de pschitt-pschitt et je suis une femme".

Tous les prénoms ont été modifiés.

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