Lorsque une affaire de violences sexistes et sexuelles est révélée dans la presse, les "je te crois" adressés à celles ou ceux qui témoignent, se mêlent aux appels à la prudence, d'internautes qui rappellent le principe de présomption d'innocence.

Contre l’utilisation parfois dévoyée de ce terme, essentiel dans toutes les démocraties, associations, militant.es et penseur.euses demandent depuis des années la prise en compte d’une notion qui viendrait le rééquilibrer.

"Avoir le droit d'être entendue sans prouver qu'elle en est digne"

"Lorsque des femmes victimes de violences dénoncent, (...) elles ont besoin d’être crues et prises au sérieux. [...] Il s’agit de mettre fin à la culture du doute qui prévaut souvent et de lui substituer une 'présomption de crédibilité'", pointe en ce sens le Haut Conseil à l’Egalité (HCE).

Le principe de l'introduction d'une "présomption de crédibilité" ? "Rappeler que toute victime, toute personne plaignante, a le droit d’être entendue sans devoir prouver qu’elle en est digne", explique à Marie Claire Khadija Azougach, avocate et docteure en droit.

Pour l'avocate et autrice d'Affaires de femmes - Une vie à plaider pour elles (L’iconoclaste, 2024) Anne Bouillon, la présomption de crédibilité doit devenir une méthode, et non une notion juridique réglementée. Et pour la sociologue Irène Théry, il convient de privilégier l'expression "crédit de véracité". Une concession nécessaire, aquiesce Khadija Azougach, pour "que la société intègre plus facilement" cette notion, et que "la France soit enfin en conformité avec les droits fondamentaux, comme la Convention d’Istanbul". 

Mais pour ces trois femmes, une évolution des mentalités, bien que déjà enclenchée depuis le mouvement #MeToo, est aujourd'hui primordiale. 

Lutter contre la "supspicion naturelle contre la parole des femmes"

"Il y a presque une suspicion naturelle contre la parole des femmes", a observé Anne Bouillon. "Cette idée qu’elles ne disent pas la vérité est d’abord la résultante d’une production culturelle qui est ancienne, qui a construit la parole des femmes du coté de la passion plus que de la raison. Les femmes seraient mues par leurs sentiments, leurs hormones, qui feraient qu’elles ne sont pas des êtres raisonnables. C’est le premier biais de représentation dont nous sommes pétris", développe-t-elle. 

"Cette parole vient aussi mettre un grin de sable dans une mécanique patriarcale bien huilée, poursuit l'avocate. Pourquoi notre parole est-elle tellement fragile et dérangeante ? Parce qu’elle questionne l'ordre établi des choses. Donc on doit l’ignorer, voire la combattre pour que la domination prospère."

"Tout le monde est d’accord sur le fait que pendant longtemps, il y a une suspicion lorsque des victimes de violences sexuelles parlaient", abonde la sociologue Irène Théry. Pour l’avocate et docteure en droit Khadija Azougach, cette méfiance à l’égard des mots féminins prend racine dans nos stéréotypes genrés et nos jugements de valeur, mis récemment en exergue, lors du procès dit des violes de Mazan. "Certains biais sont alors ressortis, comme celui de la victime idéale."

Que permettrait concrètement la reconnaissance d'un "crédit de véracité" ?

C’est pour ne plus tomber dans ces poncifs dangereux pour les femmes et les victimes que la présomption de culpabilité est défendue par cette docteure en droit. "Si la présomption de crédibilité est intégrée dans la loi, elle va imposer une obligation de formation des policiers et des magistrats. Elle donner naissance à une égalité de traitement entre toutes les victimes. Elle va leur permettre d’agir, de ne plus filtrer leur plainte, d'ouvrir une enquête, de se rendre sur le lieu des faits, d'interroger les voisins, l'audition des policiers, des confrontations..., énumère Khadija Azougach. Car ce n’est pas systématique." Elle est est convaincue : "La présomption de crédibilité peut fluidifier le code de procédure pénal, le rendre effectif et permettre de procéder aux actes tels qu’ils sont prévus par le code de procédure pénal. C’est le coeur de l’accès à la justice", appuie-t-elle.

Irène Théry date la réflexion autour d'une notion de présomption de crédibilité aux années 2010, et plus précisément, à l’affaire DSK. "Dans une tribune pour Le Monde, j’avais conseillé de s’inspirer des Américains, de l’importance qu’ils avaient donné à la parole d’’une femme de chambre." À l’époque comme aujourd’hui, prendre en compte ce principe, ne signifie pas pour l'experte, "qu’il suffit de parler pour que les faits soient avérés". La présomption de crédibilité signifie pour elle : "Prendre en considération ce qui est dit et le passer dans une procédure de vérification, qui est la justice pénale".

Ne pas l'opposer à la présomption d'innocence, "pierre angulaire du système judiciaire"

Toutefois, nul besoin selon l'interrogée de l’intégrer dans la loi. Elle s’accorde avec Khadija Azougach sur ce point : la présomption de crédibilité n’entre pas en contradiction avec la présomption d'innocence.  

"On n’inverse pas la présomption d’innocence mais on demande un principe d’écoute équitable." Me Khadija Azougach

"La présomption d'innocence demeure le coeur du procès pénal", rappelle Khadija Azougach. L'avocate et autrice Anne Baillon se dresse d'ailleurs contre l’inscription juridique de la présomption de crédibilité : "Si c’est une méthode, oui. Mais nul ne doit être en situation de devoir montrer son innocence. C’est à l’accusation de rapporter la preuve de culpabilité. Il n’est pas question d’inverser la charge. Une parole à elle seule ne doit pas constituer une preuve. La pierre angulaire du système judiciaire est la présomption d'innocence."

Khadija Azougach déplore qu'un mur a été dressé entre les deux concepts, qui sont pourtant pour elle complémentaires. "On utilise la sacro-sainte présomption d’innocence - même si elle est très importante - comme tout bloquage à une évolution sémantique et juridique. En principe, elles ne s'opposent pas, au contraire. On n’inverse pas la présomption d’innocence, mais on demande un principe d’écoute équitable", défend-t-elle.

Pour Anne Bouillon aussi, l’écoute a un grand rôle à jouer. "Il faut déconstruire l’écoute, se méfier de nos biais lorsqu’on reçoit une parole car on peut avoir tendance à minimiser, relativiser, voire rendre responsable la victime de ce qu'il s’est passé".

Selon elle, c'est aussi sur l'utilisation excessive de procédures "baillons" que la société doit travailler. "Les attaques en diffamation, les dénonciations calomnieuses sont brandies comme une menace, qui peut décourager les plaignantes. Lorsqu'elles déposent plainte, les femmes ne doivent pas s'exposer à des procédures punitives."

Et à la sociologue Irène Théry de conclure : "Le crédit de véracité, ce n’est pas dire que les femme ont toujours raison, mais bien qu’elles ne sont pas supposée mentir, jusqu’à preuve contraire".