Nom de code ? "Pradace". C'est ainsi que le rachat de Versace par Prada a été surnommé par les spécialistes du secteur. L'opération a été confirmée le jeudi 10 avril 2025 : le groupe dirigé par Patrizio Bertelli, l'époux de Miuccia Prada, a acquis la griffe pour 1,25 milliard d'euros auprès de l'entreprise Capri, qui détient également Jimmy Choo et Michael Kors. La société américaine s'était offert le label mené par Donatella Versace pour 1,8 milliard d'euros en 2018.

Cette décote s'inscrit dans un contexte économique chahuté pour l'industrie du luxe. Versace en est d'ailleurs l'illustration. Entre le 1er avril 2023 et le 30 mars 2024, la marque a vu son chiffre d'affaires de 1,03 milliard d'euros baisser de 6,8 %. Plus inquiétant encore, de mars à décembre 2024, il a diminué de 20 % par rapport à la même période l'année précédente.  

À l'inverse, la santé financière du groupe Prada est au beau fixe avec un volume de transactions établi à 5,4 milliards d'euros, soit une hausse de 17 % par rapport à 2023. Des sommets atteints grâce à Miu Miu, dont les ventes ont bondi de 93 %, tandis que celles de Prada ont progressé de 4 %. Ces résultats font figure d'exception quand, de leurs côtés, Kering (Saint Laurent, Gucci, Balenciaga…) enregistre un décrochage de son chiffre d'affaires de 12 % et LVMH (Louis Vuitton, Dior, Celine…), une régression de 2 %. 

Le challenger italien

L'ambition de Prada, en s'offrant Versace, est-elle de concurrencer les deux mastodontes du luxe français ? En plus de ses deux maisons socles, Prada et Miu Miu, la société compte dans son escarcelle les chausseurs Church's et Car Shoe, respectivement obtenus en 1999 et 2001. Et puis au mitan des années 2010, l'entreprise italienne a voulu diversifier ses activités et a investi dans Marchesi 1824, institution milanaise de la pâtisserie qui dispose désormais d'une adresse londonienne. Avec Versace, le groupe pourrait dépasser les 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Une perspective étourdissante, certes, mais pas encore suffisante pour faire de l'ombre aux fleurons du luxe tricolore. Kering, constitué de 13 marques différentes, pèse trois fois plus, tandis que LVMH et ses 75 propriétés sont 14 fois plus lourds. 

Il faut par ailleurs rappeler que Prada a déjà tenté, sans grand succès, de se créer un portefeuille de griffes de luxe à la fin du XXe siècle, avec notamment Jil Sander, Helmut Lang et Alaïa. Au milieu des années 2000, elle avait dû se séparer de ces trois noms après des performances peu concluantes.

De toute façon, ce n'est pas l'angle que Patrizio Bertelli a choisi pour communiquer autour de cette acquisition. Le dirigeant préfère parler des vertus partagées de Prada et de Versace autour de la créativité, de l'artisanat et de patrimoine. "Nous avons pour projet de perpétuer l'héritage de Versace en célébrant et réinterprétant son audacieuse esthétique intemporelle". Il poursuit : "Nous sommes bien placés pour écrire une nouvelle page dans l'histoire de Versace, en s'appuyant sur les valeurs du groupe."

Sur ses ressources, aussi, puisque le nouveau directeur artistique de Versace, nommé pour remplacer Donatella Versace, fraîchement retraitée à l'âge de 69 ans, se nomme Dario Vitale. Jusqu'ici, il officiait à la tête du studio de Miu Miu. La boucle est bouclée.