Les femmes rêvent plus fréquemment que les hommes… et sont davantage sujettes aux cauchemars.

C'est ce qui ressort d'une étude publiée en 2021 par l'IFOP. Tandis que 30% des Français.es avouent songer toutes les nuits ou presque, 76% des femmes confient être victimes de cauchemars, dont un quart toutes les semaines. 

Mais saviez-vous que les rêves, qu'ils soient bons ou mauvais, servent en fait à la gestion de nos émotions ?

Souvent confondus avec les cauchemars, les mauvais rêves soutiennent notre santé mentale en adoucissant des émotions associées à des expériences difficiles. D'autres simulent la réalité pour nous préparer à affronter nos journées. Des fonctions essentielles que détaille le psychiatre Luc Masset, de l'Hôpital Universitaire Pitié-Salpêtrière à Paris. 

Le lien entre sommeil et émotions positives

Les études sont formelles : il existe un lien direct entre la qualité du sommeil et l'état émotionnel. "Les personnes qui ont un sommeil normal, qui n'ont pas de difficultés à dormir, si elles sont soumises à une privation de sommeil expérimentale, développeront des émotions négatives", reprend l'expert. 

Mais pas uniquement : "ils auront une moins bonne régulation des émotions face à des contrariétés, ils auront des difficultés à gérer leurs émotions négatives, ils seront plus à fleur de peau, ils partiront au quart de tour, tout cela selon la durée ou la qualité du sommeil", continue-t-il.  

Ainsi, un sommeil de qualité est le meilleur allié de notre psyché. Mais comment l'expliquer ? "Il a plusieurs mécanismes. On sait que dormir permet d’éliminer des métabolites, les produits de notre métabolisme. Plus on est éveillé, plus on consomme de l'énergie, plus on accumule de déchets au sein du cerveau. Le sommeil permet d’éliminer tout ça. Le cerveau dit ‘ça suffit, j'ai besoin de repos’ et après une bonne nuit, on remet les compteurs à zéro", répond le médecin. 

S'il y a une dette de sommeil, on aura donc du mal à repartir sur de bonnes bases. "Il y aura une accumulation de ces déchets. Nos raisonnements cognitifs et notre prise de décision seront altérés. Les mécanismes d’analyse des situations seront perturbés par la présence de ces métabolites", précise-t-il. 

Et ce sont les différents stades de sommeil et leurs rôles respectifs qui auront la main sur nos émotions.  

"Le sommeil léger joue sur la mémorisation non émotionnelle, sur l'apprentissage non émotionnel et la récupération physique. Le sommeil long et profond est le plus récupérateur au niveau physique, il agit sur les déchets et la restauration du système immunitaire. Le sommeil paradoxal affecte, lui, la régulation émotionnelle, la maturation des neurones. Finalement, il y a l'aspect physique avec le sommeil lent et l'aspect plus émotionnel avec le sommeil paradoxal", continue Luc Masset.

Préparer le quotidien, digérer le négatif : le rêve comme soutien de la psyché 

Dormir nous protège des émotions négatives. Mais ce sont surtout nos rêves qui jouent un rôle déterminant. 

"On ne sait toujours pas à quoi ils servent. Est-ce qu'ils sont un produit secondaire du cerveau pendant que l'on dort ou ont-ils une réelle fonction ? Il y a différentes hypothèses", avoue le psychiatre. Première éventualité : ils simulent des actions de la vie quotidienne pour nous aider à les affronter lorsque nous sommes éveillé.e.

"Si on s'est préparé à cet événement durant notre sommeil, on sera plus apte à mettre en œuvre des actions, éveillé. On travaille en rêves sur ce qu'il va se passer au cours de notre journée, c'est comme une première simulation de ce que l’on va faire", continue-t-il.

Autre explication : on digère, au cours des songes, ce qu’il se passe de négatif dans notre vie.

"On accumule des facteurs de stress après des conflits interpersonnels, des tensions sociales. Et on les revit pendant la nuit pour atténuer leur intensité émotionnelle. Le but du sommeil paradoxal est de se souvenir de ces moments chargés en émotion, de les évoquer en ajoutant quelques éléments de bizarreries, de biographie, pour alléger la charge émotionnelle", précise-t-il. 

Le but ? Atténuer l'intensité du souvenir, s'en distancer pour limiter sa négativité et nous aider à l'affronter (notamment si nous sommes ré-exposé.e à lui un jour). 

"Si je vis quelque chose de traumatisant, comme une agression, je vais en rêver, mais en modifiant le scénario, en ajoutant d'autres éléments qui vont éliminer l'aspect émotionnel pour me permettre de revivre le souvenir mais sans le tourner en cauchemar", relate Luc Masset. 

Attention à l'interprétation des rêves

Le mauvais rêve, autant que celui plus agréable, a donc des bénéfices sur notre santé mentale et lorsque nous sommes victimes de cauchemars, c'est que ce processus de digestion a échoué. Ainsi, se dessine logiquement la question de l'interprétation des rêves dans le but d'analyser certaines émotions. 

"Ce peut être effectivement intéressant de voir ce que signifient les rêves pour la personne qui les fait, si cela fait écho à quelque chose qu’elle vit, si cela peut trahir une chose qui travaille son esprit. On rêve souvent de ce qui nous arrive. Mais s'il y a autre chose, on peut se demander si cela nous évoque quelque chose, même si ça peut être aussi des éléments aléatoires. Le sens du rêve est surtout ce qu’en fait le rêveur", précise le spécialiste. 

Toutefois, attention aux dommages que cette étude peut causer. 

"Il faut être très précautionneux concernant une interprétation des rêves à visée biographique, une interprétation qui pourrait nous permettre d'avoir accès à d'éventuels souvenirs 'refoulés' ou 'oubliés' car trop traumatisants. Ce genre de travail doit être réalisé avec l'accompagnement d'un psychologue ou d'un psychiatre afin de démêler les émotions qui pourraient surgir et de bénéficier d'un soutien lors de ce travail sur soi", prévient le psychiatre.

Une aide extérieure pourrait en effet nous éviter de fragiliser notre psyché. "Une absence d'accompagnement pourrait avoir comme conséquence une augmentation de la confusion et une majoration des émotions négatives, car nous serions démunis pour faire le tri sur les images et les émotions qui surgiraient au cours de cette introspection", continue Luc Masset.

Santé mentale : comment prendre soin de son sommeil ?

Finalement, pour que les rêves (et le sommeil en général) profitent à notre bien-être mental, des règles sont à respecter.

"La régularité est la plus importante, plus encore que la durée de sommeil. Mieux vaut être régulier dans son sommeil que de dormir pendant huit heures. Et on parle ici d'une régularité des rythmes veille/sommeil et des horaires de lever". En effet, se réveiller toujours à la même heure s'avère protecteur.  

"Le corps fonctionne sur un système de 24 heures rythmées par l'exposition à la lumière du matin. Quand on est exposé sans trop de variabilité à cette lumière matinale, le corps sait qu'il faut se préparer à affronter la journée, il est apte à résister au stress et il sait quand il doit se mettre au repos. Si on a de grandes variabilités de lever, le corps ne sait plus quand se mettre en route et cela vient altérer la qualité du sommeil", dévoile le médecin. 

Pour bien dormir, il convient également de fatiguer son corps et sa tête la journée.

"Pour avoir un sommeil vraiment reposant et récupérateur, il est nécessaire d'avoir une période de veille active et une journée bien remplie. L'activité physique est l'un des meilleurs médicaments qui soient", explique le psychiatre.

Avant de conclure en citant le philosophe Nietzsche : "il disait 'ce n’est pas une petite chose que de savoir dormir. Il faut savoir veiller tout le jour pour pouvoir bien dormir. Dix fois dans la journée il faut que tu te surmontes toi-même, c’est la preuve d’une bonne fatigue et c’est un pavot pour l’âme'".