Ailes bleu, blanc, rouge dessinées au coin des yeux, mascara soulignant un regard déterminé, Auriana Lazraq-Khlass était l’une des révélations des derniers Mondiaux d’athlétisme.

“J’aime me maquiller les jours de compétitions, c’est une grande fête. C’est le moment où on peut extérioriser après avoir travaillé dur pour en arriver là", lâche l’heptathlonienne, qui a commandé sa première palette de maquillage pendant le confinement en 2019.

Trait d’eyeliner, fards à paupières colorés et accordés à sa tenue d’entraînement, paillettes… Depuis, elle a coutume de se maquiller quotidiennement, avec une attention plus particulière les jours de compétition. Une manière bien à elle d’exprimer "son état d’esprit, sa légèreté et son envie de survoler les pistes."

Un signe de coquetterie qui n'a rien de superficiel

Sport et maquillage semblent pourtant antinomiques de prime abord. L’effort d’une activité physique et la transpiration qui l’accompagne pourraient faire couler le moindre mascara ou fond de teint déposé sur le visage. Mais les sportives sont nombreuses à se farder avant de rentrer sur un terrain, un signe de coquetterie qui n’a rien de superficiel.

L’athlétisme ne manque pas de modèles de sportives maquillées. Les caméras s’arrêtent parfois sur les drapeaux tricolores dessinés sur les ongles de la lanceuse de disque Mélina Robert Michon, où dans les starting blocks, sur les perruques multicolores, les faux cils et les ongles extra-longs de la championne du monde du 100 m, l’Américaine Sha’Carri Richardson.

"Peu importe la couleur de mes cheveux ou la longueur de mes ongles, mon talent parle pour moi !", s'était exprimée la sprinteuse de 24 ans sur sa mise en beauté, qui est parfois plus commentée que ses performances. 

Maîtresse de l’image qu'elle veulent renvoyer aux gens

"L’athlétisme est un sport médiatisé, on gagne à être connues et être mise en avant aussi pour notre style sur la piste, observe Auriana Larzaq-Khlass. Le maquillage et les coiffures, c’est un marqueur de personnalité, une façon d’exprimer ce qu’on ressent et de montrer notre différence. C’est l’image de nous qu’on veut renvoyer aux gens qui nous regardent.” 

L’heptathlonienne, en passe de se qualifier pour les Jeux Olympiques de Paris 2024, maquillent ses yeux en fonction de ses émotions. Quand ce ne sont pas les ailes tricolores pour les rendez-vous en équipe de France, elle passe en mode "viking", pour montrer sa combativité ou "fantaisie" dans les jours plus détente. Dans les vestiaires et les travées, elle est identifiée comme "la fille au maquillage".

Et elle est loin d’être la seule, dans toutes les disciplines, des sportives se maquillent et l’assument pleinement. "Chaque femme voit sa féminité différemment : moi, j'aime faire mes ongles, arriver à un match maquillée. J’aime me sentir belle même sur un terrain”, déclarait récemment la capitaine du PSG, Grace Geyoro, au micro de France Inter

Plus de confiance en soi

En décembre, les joueuses de l’équipe de France de hand sont montées sur la première marche du podium des championnats du monde avec du rouge à lèvres.

Au fil des compétitions, c’est même devenue une tradition. "Après la finale, on devait changer notre maillot pour mettre celui avec une troisième étoile, donc on est allées au vestiaire et c’est là qu’on a toutes mis du rouge à lèvres, se souvient Chloé Valentini. C’est une petite touche de féminité pour montrer qu’on est une équipe à part."

Sans vouloir à tout prix être féminine, j’aime montrer aux petites filles qu’on peut faire du sport tout en portant du maquillage.

La capitaine de Metz handball et ailière des Bleues ne se maquille pas quotidiennement, seulement les jours de match. “Ça fait partie de ma routine, je mets toujours le même mascara, une petite touche de fond de teint et de la poudre, détaille-t-elle. J’aime ce moment, c’est là que je rentre dans mon match."

"Une fois qu’on est apprêtée, on est plus confiante et mieux dans nos baskets”, corrobore Auriana Lazraq-Khlass. Si Chloé Valentini ne se souvient pas comment cette habitude a commencé, elle assure "ne plus pouvoir s’en passer". “Ça m'apporte inconsciemment plus de confiance en moi, glisse-t-elle. Sans vouloir à tout prix être féminine, j’aime renvoyer une belle image et montrer aux petites filles qu’on peut faire du sport tout en portant du maquillage." 

La féminité des sportives sans cesse questionnée

Car la question de la féminité des sportives a toujours été questionnée.

Pendant longtemps, les organisateurs insistaient sur les tenues et la mise en beauté de leurs athlètes pour rendre la pratique plus "désirable", mais ces dernières années, ce sont les sportives elles-mêmes qui ont intégré les stéréotypes liés au corps des femmes, qui ne doit pas être trop musclé ou trop performant. 

Les travaux de la sociologue Catherine Louveau ont ainsi montré que celles qui pratiquent des "sports de garçon" ont plus tendance à se maquiller, porter des bijoux et du vernis à ongles, afin de répondre aux injonctions de la société, mais aussi des sponsors, dont les attentes sont encore dictées par les stéréotypes de genre. 

Dans certains sports encore sociologiquement perçus comme "féminins" comme la gymnastique, le patinage ou la natation artistique, le maquillage est d’ailleurs encouragé et valorisé dans les notations, tandis que d’autres comme le judo l’interdisent en compétition. 

"Le maquillage fait partie de l’attirail féminin, mais je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas l’arborer dans les stades. On peut être féminine sur et en dehors des terrains, sans que ce soit un diktat", objecte Auriana Lazraq-Khlass, qui maquillera ses coéquipières aux couleurs d’un dragon, emblème de son club de Metz pour les Interclubs, en attendant la "grande fête" des Jeux Olympiques. 

D’autant plus qu’à Londres en 2012 et Rio en 2016, un salon de beauté avait été installé sur le village olympique, afin de mettre les athlètes dans les meilleures dispositions pour performer.