Certaines sont connues, d’autres moins : depuis plus de 100 ans, des pionnières ont fait bouger les lignes afin de permettre à toutes les femmes qui le désirent de pratiquer la course à pied. Hommage à sept d’entre elles. 

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Alice Milliat

Wikipédia

À une époque où le baron Pierre de Coubertin, rénovateur des Jeux modernes et président du CIO, assure qu’une "olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte", Alice Milliat s’illustre comme la pionnière du sport au féminin.

Cette fille de commerçants, passionnée d’aviron, "s’est battue pour que les femmes de toutes les classes sociales accèdent à l’athlétisme et aux sports collectifs, en loisir et à haut niveau, rappelle Florys Castan-Vicente, historienne du sport et du genre. Elle reste néanmoins méconnue du grand public". Les instances mondiales, dirigées par des hommes bourgeois ou aristocrates, rejettent alors l’intégration d’épreuves féminines aux Jeux olympiques.

La Nantaise secoue cet entre-soi viril en organisant les premiers Jeux féminins à Paris, en 1922, ainsi que d’autres championnats à rebours des moeurs sexistes. Longtemps tombé dans l’oubli, l’héritage d’Alice Milliat est remis à l’honneur avant les Jeux de Paris 2024. Des livres retracent son engagement, plusieurs gymnases et piscines ont pris son nom et une statue à son effigie a trouvé sa place dans le hall du CNOSF - et une seconde a été dévoilée lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques le 26 juillet dernier, et devrait être installée dans Paris. 

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Lina Radke

Getty Images -

Vainqueure du premier 800m olympique féminin, à Amsterdam en 1928, l'Allemande Lina Radke voit son exploit s’effacer derrière un scandale.

"La presse internationale a raconté que la finale était horrible, car les concurrentes se seraient écroulées au sol, en proie à des crises de nerfs ou d’hystérie", décrit l’historienne Florys Castan-Vicente. Les images n’en montrent rien, mais cette fausse nouvelle suffit à relancer les débats sur la « constitution fragile » des femmes jugées « disgracieuses et inaptes à courir de longues distances ».

Le discrédit s’abat sur le 800 m qui sera, malgré la ténacité d’Alice Milliat, retiré du programme olympique jusqu’en 1960.

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Fanny Blankers-Koen

Getty Images -

Auréolée de quatre médailles d’or aux Jeux de Londres en 1948, la sprinteuse Fanny Blankers-Koen est sacrée athlète du XXe siècle par la Fédération internationale d’athlétisme et devient l'égale de Jesse Owens à Berlin en 1936.

La Néerlandaise de 30 ans est pour tant dépeinte comme une "mère indigne" dans un contexte où "le corps médical et politique freine les sportives sous prétexte que l’activité physique endommagerait leur capacité à procréer et à accomplir leur rôle de femme au foyer", souligne Cyril Thomas, chercheur en sciences du sport à l’université Paris-Saclay.

Ces moqueries n’empêchent pas "la ménagère volante" de rafler cinq titres européens et 12 records du monde.

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Kathrine Switzer

Getty Images - collage

En avril 1967, Kathrine Switzer s’inscrit au prestigieux marathon de Boston, alors chasse gardée des hommes, avec ses initiales K. V. Quand le directeur de la course la repère dans le peloton, il la menace et tente de lui arracher son dossard, le numéro 261.

L’incident n’échappe pas aux photographes, et leurs clichés font le tour du monde. Un an plus tôt, la rebelle Roberta Gibb, surgie d’un buisson, avait, elle aussi, avalé les 42,195 kilomètres sans que sa prouesse soit reconnue.

Pour le sociologue du sport Olivier Bessy, ces deux pionnières ont "prouvé que les femmes étaient capables, physiquement comme psychologiquement, de tenir l’effort et que prétendre l’inverse ne relevait que d’un décalage culturel. Le marathon de Boston s’ouvre finalement aux coureuses en 1972 et celui des Jeux olympiques en 1984, près d’un siècle après leur apparition à l’ère moderne. Reconvertie en consultante, Kathrine Switzer commente l’événement sur les ondes d’ABC et poursuit son combat avec son association 261 Fearless en organisant plus de 400 marathons féminins dans 27 pays.

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Wilma Rudolph

Getty Images -

Sur la piste de Rome, Wilma Rudolph décroche un triplé olympique historique sur 100 m, 200 m et 4 x 100 m en 1960. Quelle revanche pour celle qui a grandi avec ses 21 frangins dans un ghetto pauvre du Tennessee rongé par la ségrégation !

Née prématurée, l'Américaine contracte dans son enfance une double pneumonie, une scarlatine ainsi qu’une poliomyélite. Son médecin craint qu’elle perde l’usage de sa jambe gauche, mais sa mère, femme de ménage, se démène pour accéder aux soins vitaux. Débarrassée de sa prothèse métallique, Wilma Rudolph retrouve sa motricité sur les terrains de basket de son université. Interpellé par sa gracieuse foulée, son entraîneur la forme jusqu’à ce qu’elle remporte, à 16 ans, le bronze olympique en relais à Melbourne, en 1956.

Quatre ans plus tard, la "Gazelle Noire" s'affirme comme une icône pour les minorités afro-américaines et reçoit les honneurs de la Maison-Blanche.

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Allyson Felix

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Avec 11 médailles olympiques, dont sept en or, le palmarès d’Allyson Felix l’érige en légende au même titre que Carl Lewis.

Au-delà des pistes, la Californienne incarne la lutte des championnes voulant concilier carrière et maternité depuis qu’elle a dénoncé en 2019 la politique discriminatoire de son sponsor Nike. La marque à la virgule avait réduit ses émoluments de 70 % pour cause "d’inactivité" alors qu'elle était enceinte.

Cet épisode a révélé que "le mouvement d’émancipation des sportives professionnelles est loin d’être achevé, explique le chercheur Cyril Thomas. La vulnérabilité des athlètes mères s’ajoute à d’autres problèmes comme le manque de protection sociale, la différence de rémunération ou de notoriété par rapport aux hommes."

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Courtney Dauwalter

À 39 ans, Courtney Dauwalter est considérée comme la reine de l’ultra-trail.

Sa victoire sur la Diagonale des Fous à La Réunion en 2022, avec une époustouflante quatrième place au scratch – le classement hommes et femmes confondus –, fait d’elle la première championne à s’imposer sur les quatre épreuves les plus exigeantes du circuit.

"C’est une extraterrestre, note avec admiration le sociologue Olivier Bessy. Courtney Dauwalter a révolutionné la pratique de son sport et elle détonne par son attitude décontractée : elle tape dans la main des spectateurs en pleine montagne, avec un franc sourire et son bermuda de surfeuse."

Insolente de facilité, la triple vainqueure de l’ultra-trail du Mont-Blanc "dame le pion aux hommes par son professionnalisme et sa fantaisie", poursuit Olivier Bessy, auteur de plusieurs livres sur la course à pied. La Britannique Jasmin Paris a, quant à elle, réalisé l’exploit de boucler en mars 2024 les mythiques marathons de Barkley, soit plus de 160 km à 18 000 m de dénivelé positif, et ce, 99 secondes avant le temps imparti de 60 heures.

"Hélas, le taux de participation des femmes à des compétitions d’ultra-trail ne dépasse pas les 12% en France et le double aux États-Unis, où les stéréotypes de genre sont moins marqués, nuance le sociologue. Plus on aborde le registre de l’extrême, moins elles se sentent légitimes." D’après une étude de l’université de Saint-Étienne conduite par le physiologiste Guillaume Millet en 2019, les femmes montreraient pourtant moins de fatigue sur le plan musculaire que les hommes à l’issue des courses, quelle que soit leur distance.

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