Malheureusement, peu importe ce que Lena Mahfouf porte, elle est toujours violemment critiquée. Comme au Festival de Cannes 2023, lorsqu’elle apparaît en body vintage Vivienne Westwood sur le tapis rouge. Les haineux-euses se déchaînent en commentaire et dans ses DM. Deux ans plus tard, c’est un autre body, rouge cette fois, qui suscite la critique, car il serait, aux yeux des internautes, provocant.
Mais le paroxysme est atteint le 19 mai 2025. La créatrice de contenus, suivie par près de 5 millions de personnes, est à Cannes, dans le cadre du festival de cinéma qui s’y tient chaque printemps. Pour sa première apparition sur la Croisette, la star choisit une longue robe blanche.
La pièce est fluide, épurée, dotée de poches, de manches trois-quarts et d’une encolure ronde. Imaginée par The Row, la griffe fondée par Mary-Kate et Ashley Olsen, cette création réunit tous les éléments qui caractérisent l’esthétique quiet luxury, omniprésente dans les tendances depuis plusieurs saisons.
En guise d’accessoires, l’influenceuse a noué dans ses cheveux une étoffe ivoire. Un foulard que ces derniers mois, les designers adorent, puisqu’il a été adopté sur le défilé Gucci printemps-été 2025, sur le show Lemaire automne-hiver 2025-2026 ou encore dans la collection Chanel croisière 2026.
"Je voulais me donner du love"
"Je voulais me sentir à l’aise. Je ne me sens pas hyper bien dans mon corps en ce moment, du coup, j'ai mis une robe pour cacher un peu ça (…) Et en même temps, je voulais casser un petit peu les silhouettes habituelles et au contraire me donner du love", expliquait Lena Mahfouf au sujet de son outfit au micro de Marie Claire, lors d’une soirée organisée par Chopard.
Pourtant, cette silhouette estampillée luxe discret que Lena Mahfouf souhaitait réconfortante déclenche une polémique d’envergure. Le 21 mai, la secrétaire générale du groupe Ensemble pour la République, Deborah Abisror-De Liem, poste sur X (anciennement Twitter) des photos des apparitions de Lena Mahfouf aux deux dernières éditions du Festival de Cannes. En légende, elle inscrit : "L’entrisme passe d’abord par les codes vestimentaires. C’est pourquoi l’imposer à des fillettes, c’est le fondement de l’infiltration de nos sociétés. Nos mères se sont battues pour que nos jupes puissent être courtes." Un message diffusé en ligne alors qu’un rapport a été présenté le jour même en conseil de défense sur l’influence des Frères Musulmans en France et que tous les médias titrent sur la nouvelle mesure envisagée par le parti dirigé par Gabriel Attal : l’interdiction du port du voile dans l’espace public pour les mineures de moins de 15 ans.
Le lendemain, la femme politique publie un nouveau texte : "Je retire le tweet posté hier et présente mes excuses à Léna Situations. J’ai voulu aborder la mode du #modest qui se déploie sur les RS et concerne d’ailleurs différentes religions. Je l’ai fait maladroitement en citant en exemple une personne déjà largement ciblée par le harcèlement en ligne, et c’était une erreur".
Une question demeure : Deborah Abisror-De Liem se serait-elle insurgée de la même manière au sujet de cette tenue si Lena Mahfouf n’était pas d’origine algérienne ? Pour Nesrine Slaoui, journaliste, réalisatrice et autrice, la réponse est évidente : la créatrice de contenus est victime d’arabisogynie. Ce néologisme, qu’elle présente dans son essai Notre dignité paru aux éditions Stock en début d’année, s’inspire du concept de misogynoir, formulé par la féministe Moya Bailey en 2010. Les deux termes désignent la misogynie vécue spécifiquement par les femmes racisées, arabes dans le premier cas, noires dans le second.
"Il y a deux principales catégories de femmes qui subissent l’arabisogynie : la beurette et la femme voilée", explique Nesrine Slaoui. Pour faire simple, disons que l’une est trop ouverte, l’autre trop couverte. "Dans le cas de Lena Mahfouf, si elle montre ses bras et ses jambes, c’est trop sexy. Si au contraire, elle ne dévoile pas assez de peau, même dans un cadre artistique, même dans un univers comme celui de la mode, c’est intolérable", argumente l’autrice. "Pendant le Festival de Cannes, on lui a tour à tour dit qu’elle était enceinte, puis affiliée aux Frères Musulmans. Cela montre comment le regard porté sur les femmes, de surcroît maghrébines, est une impossibilité. L’impossibilité d’être qui on veut, de s’imposer dans la société pour être visible". Selon l’intellectuelle, cette obsession pour la manière dont s’habillent les femmes perçues comme musulmanes ou arabes remonte à la colonisation. Et permet toujours, en France, d’exclure certaines d’entre elles de la vie sociale – c’est par exemple le cas des footballeuses qui portent le voile, interdites de participer aux compétitions officielles.
Le 22 mai, Lena Mahfouf a à son tour pris la parole sur le sujet. "Une pensée à nos mères qui ont marché pour que nous puissions choisir nos vêtements. Merci. Et une pensée encore plus grande aux femmes musulmanes qui vivent ces jugements au quotidien, mais sans le soutien d’Internet pour les défendre." Une photo d’elle en brassière et jupe rose pâle Alaïa accompagnait ses mots. Tenue qui fait évidemment déjà l’objet de commentaires sur les réseaux sociaux parce qu’elle serait trop "minimaliste" pour la personnalité.
En plus d’être rétrogrades et inutiles, ces remarques contribuent à alimenter le harcèlement dont l’influenceuse est souvent la victime. Elles témoignent également du fait qu’en 2025, qualifier le look d’une femme de "désastreux" sur les réseaux sociaux est toujours considéré acceptable par certain-e-s. Alors qu’il faudrait uniquement se réjouir de voir la Française être invitée aux événements les plus sélects du show-business et affirmer avec ses choix stylistiques comme dans ses prises de parole qu’intimidations ou non, elle ne compte pas laisser sa place sur le tapis rouge de sitôt.