Prôner la fraternité serait-il efficace dès il s’agit de maintenir la paix sociale ? C’est ce que croit l’édile qui s’en explique dans son livre, Nos racines fraternelles (Éd. Philippe Rey). Sur le terrain, les faits semblent aller dans le sens de Patrick Haddad maire PS de Sarcelles. Sa ville a traversé moins violemment les jours de feu qui ont meurtri les quartiers populaires français à la suite de la mort de Nahel Merzouk, tué par un policier à Nanterre le 27 juin 2023.

À l’exception d’une tentative d’incendie du commissariat, aucun bâtiment public n’a été ciblé. Depuis le 7 octobre 2023, date du massacre perpétré par le Hamas en Israël, et la réponse israélienne de destruction massive de Gaza, le pire était à craindre. Comment Sarcelles qui souffre, d’une image de ville-ghetto, a-t-elle traversé cette crise ? Rencontre avec l'élu à la tête de la municipalité depuis 2018.

Fraternité, pédagogie et anti-racisme

Dans votre livre, vous évoquez la création de Sarcelles comme l’acte de naissance d’un mini-monde à vocation sociale ? L’image de ghetto qui colle à la peau de la commune est-elle justifiée ?

Le regard porté sur les habitants de nos villes est méprisant socialement et culturellement. Pourtant, parmi eux, issus pour la plupart de l’immigration, on trouve une grande partie des classes laborieuses de ce pays. Sans eux, l’économie ne tourne pas. Les Français disposant de plus de revenus ont besoin de ces classes populaires pour retaper leur maison, faire le ménage chez eux, pour l’aide à domicile, manger au restau, prendre un Uber, etc.

Ça tourne !

Plus de 75% des Sarcellois.es vivent en QPV (Quartiers prioritaires de la ville). En France, cela représente 5,5 millions d’habitants, 8% de la France. On regarde ces endroits comme une marmite qu’il faudrait contenir en permanence. L’ancien responsable du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, a même dit en juillet 2023 que le premier employeur du 93, - ici on est dans le 95, mais sociologiquement, on parle de la même chose -, c’était le trafic de drogue. Il y a du trafic de drogue, je ne peux pas dire le contraire, mais il y a aussi beaucoup gens qui bossent. La drogue n’est pas le premier employeur, c’est faux.

La coexistence entre les communautés est plutôt pacifique et exceptionnelle.

Vous prônez la fraternité et la solidarité. Est-ce que cela marche ?

Quand je suis arrivé en 2018, j’ai trouvé une ville angoissée, figée dans un récit de choc des civilisations. Pour le dire simplement, le discours de l’ancien maire entretenait l’idée du monde judéo-chrétien assailli par les musulmans. Les émeutes antisémites en 2014 dans notre commune, les attentats contre Charlie et l’Hypercasher en 2015, Nice en 2016 ont traumatisé les habitants.

Comment faire revenir l’harmonie dans des populations aussi inquiètes ? Je pense sincèrement que l’on combat les dérives extrémistes et la haine de l’autre avec un message positif. La fraternité et la solidarité, mais aussi le travail, c’est une valeur de gauche le travail, tout cela j’y crois vraiment. Si je n’y croyais pas, je ne convaincrais pas. Suis-je seul à penser ainsi ? L’air du temps dit exactement le contraire. Et pourtant, je me suis rendu compte au gré de mes succès électoraux, mais aussi au vu de la dynamique des habitants et des agents de la ville, que la fraternité, ça marchait.

Plusieurs voix au niveau local parlent d’une exception sarcelloise. Concrètement, comment luttez-vous contre le racisme et l’antisémitisme ?

Nous avons la chance que la ville soit équilibrée sur le plan ethnico-religieux et que sur le plan urbain, aucun quartier ne soit excentré ni totalement communautarisé. Cela favorise la mixité. De fait, la coexistence entre les communautés est plutôt pacifique et exceptionnelle. J’ai des rendez-vous réguliers avec les renseignements territoriaux pour passer en revue certaines associations et personnalités.

On a une triple démarche : ne pas céder sur l’application de la loi sur la laïcité, faire preuve de pédagogie, lutter contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations. La liberté de culte est inscrite dans la Constitution. Quand des musulmans veulent créer des associations respectueuses du droit républicain, à l’instar des catholiques, des assyro-chaldéens, ou des juifs, nous les accompagnons.

Ne pas importer le conflit israélo-palestinien

Comment les relations intercommunautaires ont-elles évolué depuis le 7 octobre ?

L’objectif de la ville est depuis le début de ne pas importer le conflit. On m’a signalé le 20 octobre un tag antisémite dans une cage d’escalier, aucune plainte n’a été déposée, je l’ai fait effacer. Pas d’agressions ni d’autre tags, à part un "Vive la Palestine libre", que l’on a aussi effacé, pour éviter que les gens se chauffent avec ça. Mais ce tag n’avait rien d’un acte antisémite.

Les gens vivent dans le traumatisme des émeutes antisémites de 2014.

La communauté juive de France est importante à Sarcelles. Et nous nous sommes rendues compte que l’inquiétude est palpable dans la Petite Jérusalem.

Les gens vivent dans le traumatisme des émeutes antisémites de 2014. Ce type d’événement ne doit plus se produire. Je crois que les intentions comptent beaucoup, et elles ont permis de diffuser un message positif qui explique que dans cette période de crise, les choses se soient bien passées. Quand le Collectif des associations musulmanes de Sarcelles organise les fêtes de l’Aïd, je me rends aux festivités. La fraternité ou la cohésion sociale ne se décrètent pas, tout le monde doit être partie prenante. Après le 7 octobre, le Collectif a publié un communiqué engageant à ne pas importer le conflit ici.

Vous avez créé le Comité des femmes citoyennes. La cohésion passe aussi par les femmes ?

Oui, elles sont de confessions différentes dans ce Comité. Peu avant le 7 octobre, certaines sont allées en Israël avec l’association d’Hannah Assouline, Les guerrières de la paix. Elles ont rencontré des activistes comme Vivian Silver, grande figure de la paix et des droits des femmes, kidnappée depuis par le Hamas et morte à Gaza, des israéliennes, des palestiniennes, militantes de la réconciliation. Quand ces citoyennes rentrent dans leur famille à Sarcelles, elles racontent, passent le message. Les enfants qui ont écouté leur récit ne vont pas aller commettre d’actes antisémites après.

Vous avez également mis en place un Plan de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations (PLURADIS). Les habitants se déplacent vraiment pour participer aux multiples projets ou rencontres organisés par la ville ?

Quand on organise une action, et que seulement 50 ou 60 personnes sont présentes, on pourrait se dire que cela n’est pas grand-chose dans une ville de 60 000 habitants. Mais que des actions, nous en organisons tous les quinze jours. À la fin, si on fait le compte de tou.tes celles et ceux qui ont participé, cela se compte en milliers de personnes touchées par un message fraternel. Ça plus leurs famille, je pense que cela fait diminuer très concrètement le niveau de conflictualité dans la ville. Pour autant, nous ne sommes jamais complètement à l’abri.