La fleur d’oranger offre deux ingrédients majeurs à l’industrie du parfum. "Distillée à la vapeur, elle produit l’essence de néroli, alors que l’extraction grâce à un solvant donne l’absolu de fleur d’oranger", observe Alexandra Carlin, créatrice de fragrances à la maison de composition internationale Symrise.
Au fil des siècles, l’absolu s’est imposé en note universelle, évoquant par bouffées l’enfance, les madeleines, le mariage. Les initiés.es lui préfèrent toutefois le néroli, sa grande sœur plus ancienne et nuancée.
Ces deux trésors olfactifs sont issus de l'oranger amer (Citrus Aurantium) ou bigaradier. L’arbre dont les fruits ne se mangent pas offre d'extraordinaires propriétés pour la parfumerie qui en exploite toutes les parties, jusqu’aux rameaux et feuilles qui, distillés, donne vie au célèbre petit-grain.
Une merveille venue d’Asie
Originaire de Chine, l’oranger amer est d'abord importé en Inde - sa fleur y est utilisée en l'aromathérapie pour ses vertus apaisantes, en Syrie et en Égypte. Les Arabes le diffusent dans le bassin méditerranéen lors des grandes conquêtes.
"Réalisée avec des alambics, la distillation est une technique qui date d'avant les croisades ; elle est notamment pratiquée chez les Arabes. C'est un peu avec elle que la parfumerie a commencé", relate Alexandra Carlin. "Le néroli aurait rejoint la palette du parfumeur dès cette époque, mais sous un autre nom", précise-t-elle.
L’arbre culte rejoint ensuite l’Europe et le sud de la France grâce aux croisades. Au XVIIe siècle, la fleur d’oranger amer se fait enfin appeler néroli, un nom dérivé de la Princesse de La Nérola, alias Marie de Trémoille-Noirmoutiers, duchesse de Bracciano (Italie). Addict à son odeur à la fois fraîche et fleurie, la diplomate appose ses notes partout, de ses bains à ses vêtements, en passant par les gants et intérieurs.
Le néroli, pilier des eaux de Cologne
À la fin du 18e siècle, le néroli intègre la structure des premières eaux de Cologne, avec le citron et la bergamote. "Il est apprécié pour ses facettes florales que n’ont pas les deux agrumes ; quand on plonge le nez dans ses effluves, on sent la fleur d'oranger dès la tête ; elle s’exhale ensuite jusque dans les notes de cœur", observe la parfumeure.
Ce n’est qu’au 19e siècle, quand l’extraction des naturels aux solvants volatils est mise au point, que l'absolu de fleur d'oranger fait son apparition, tel qu’on le connaît aujourd’hui. Ambré, sensuel… ce dernier s’immisce dans l’inconscient collectif sans toutefois détrôner le néroli en parfumerie : plus frais, moins animal et moins miellé, ce dernier reste un must, aussi utilisé que la vanille.
Un floral frais et complexe très prisé
"Le néroli est recherché pour sa pétillance dans laquelle pointe l’agrume. Son esprit citrus déploie des notes vertes légèrement acidulées, sans toutefois verser dans celles, plus crues, du petit-grain", dépeint Alexandra Carlin. "Il tisse de belles harmonies avec la fraîcheur de la bergamote ou du citron. Il flirte aussi avec les notes thé, qu'elles soient fraîches, boisées ou capiteuses. Il porte par ailleurs des effluves rosés, sans toutefois sentir la rose, même s’il a des molécules en commun avec elle".
En cœur, ses notes gagnent en opulence et en suavité, explosant même en bouquet floral, en fonction de la terre où pousse le bigaradier et de la technique de récolte de ses fleurs. "La majorité de la production vient de la Tunisie, talonnée de près par le Maroc, mais chez Symrise, nous travaillons de manière privilégiée avec des petits producteurs d'Égypte", indique Alexandra Carlin.
Ces derniers créent des emplois pour des femmes dans la région de Gharbeya. Le néroli égyptien se révèle plus poudré, plus sensuel, sans être pour autant miellé comme l’absolu de fleur d'oranger.
Une subtilité qui affine les compositions
"Le néroli est merveilleux pour nuancer, approfondir, illuminer un jus. Associé à un ingrédient citronné, il exprimera des nuances florales ; à côté d'une rose, on sentira son versant agrumes. C’est un bonheur de construire autour de lui", s’enthousiasme la créatrice.
Et de citer, parmi les classiques qui consacrent ce distillat de choix : l’eau de Cologne 47.11 de Muelhens ; Néroli Portofino de Tom Ford ; Fille de l’air de Courrèges ; Cologne indélébile de Frédéric Malle ; Néroli Secrets d'Essences par Yves Rocher ; Jardins de bagatelle de Guerlain ; ou encore Eau de néroli doré par Hermès.
Évidemment, le néroli se rappelle régulièrement à notre souvenir aux beaux jours, quand les marques lancent leurs eaux fraiches, mais il peut aussi être travaillé dans une structure plus narcotique ou plus ambrée. Quand on saisit le génie néroli, tout est permis.
Sélection de parfums néroli par Aurélie Sogny