"Un coup de foudre pour une senteur est souvent lié à une histoire personnelle inconsciente, associée à l'enfance ou à un moment clé du parcours de vie", explique Arnaud Guggenbuhl, directeur marketing Fine Fragrance de Givaudan.

"L'odeur parle au système limbique, siège de la mémoire et des émotions. On est attiré par une fragrance parce qu'elle réactive une émotion éprouvée en sentant le parfum d'une institutrice, un plat dégusté en amoureux, un jardin où l'on s'est promené." Puis ce parfum choisi devient un marqueur de vie. "Il y a un côté initiatique. Il accompagne des passages de transition : départ du foyer familial pour l'indépendance, premier amour, rupture, reconquête…" Ce lien est si émotionnel qu'on lui reste attaché même si on ne le porte plus et il peut réapparaître à tout moment. 

"Même si l'ère est au zapping, ce parfum référent reste même de façon subliminale dans nos autres choix olfactifs. Le mien est Ambre Sultan et je m'oriente naturellement vers des sillages orientaux, ronds et chaleureux qui m'évoquent réconfort et protection."

Quatre personnalités se confient sur cette relation unique et intime.

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Calypso Valois, auteure, compositrice, interprète : Allure pour Homme de Chanel

Christophe Coënon

"J'ai senti Allure pour Homme de Chanel à 16 ans, sur un homme que je connaissais assez pour m'approcher. Et j'ai tellement aimé ce parfum que j'ai voulu le porter, que mon corps sente cette odeur. Jusqu'ici, je n'avais essayé que du musc, de la vanille ou des parfums de jeunes filles que l'on m'offrait mais qui m'ennuyaient au bout d'une semaine ou deux. Je suis allée l'acheter dans une parfumerie, on a voulu me donner la version féminine mais j'ai résisté.

D'ailleurs on ne m'a plus jamais fait de commentaires sur ce choix, excepté un compliment d'une amie : “Tu sens l'homme qui sent bon”. Ça m'a plu ! Il faut dire que j'ai un côté garçon manqué. Petite, je traînais avec les garçons, je jouais au foot ou au Lego, je grimpais dans les arbres. J'aurai même aimé qu'on m'appelle Emile. J'ai porté ce parfum plusieurs années. Il me faisait me sentir forte, parce qu'il n'est ni doux, ni floral, ni sucré mais volontaire et boisé. Il est plus dans la conquête que dans la joliesse. Un jour, à la fin d'un flacon, je n'ai plus eu envie de porter de parfum. Peut-être que je n'en avais plus besoin. Et qu'un jour, je flasherai soudainement sur un autre."

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Cécile Guilbert, essayiste et romancière : Parfum de Peau de Montana

Christophe Coënon

"J'ai découvert Parfum de Peau de Montana à 20 ans, en le sentant sur une femme de trente ans de plus que moi. Un coup de foudre. Je lui ai demandé quel était ce parfum extraordinaire et, contre toute attente, je me le suis approprié aussitôt que je l'ai essayé. L'alchimie a opéré, c'était un miracle. J'ai choisi de le porter et je n'ai jamais voulu l'abandonner.

Toute ma vie, j'ai été spontanément complimentée sur ce parfum, par des inconnus dans la rue, des chauffeurs de taxis, des amis. Je suis mariée depuis trente ans et mon mari est toujours fou de cette odeur, plus spéciale encore selon lui quand il la sent entre mes seins. Quand cette senteur est devenue très difficile à trouver – sur le Net, des exemplaires un peu frelatés ou dans une parfumerie rue de Rivoli à Paris –, j'ai essayé des parfums aussi capiteux qui laissent un vrai sillage comme Cuir de Russie de Chanel ou Cuir Beluga de Guerlain, mais ils n'étaient jamais assez sauvages. Et surtout il n'y avait pas cette symbiose exceptionnelle avec ma peau.

Quand je ne l'ai plus, je ne suis plus moi-même. Ce n'est pas un floral de jolie madame, c'est une signature immédiate mais puissante, charismatique, presque agressive. J'ai conscience qu'il me fait m'imposer de façon quasi intrusive. J'en mets plusieurs fois par jour, même quand je suis seule chez moi. De la même façon que je porte du rouge depuis quarante ans, sinon je me sens nue. Mon problème, c'est qu'il est inadapté à l'été. C'est la saison où je lui suis infidèle."

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Nina Bouraoui, romancière : Parfum Molecule 01 d'Escentric Molecules

Christophe Coënon

"Ma meilleure amie a senti Parfum Escentric Molecules 01 d'Escentric Molecules sur une femme en Grèce il y a cinq ans. Elle l'a trouvé sublime, est rentrée à Paris, l'a acheté et m'a offert une variation proche, Parfum Molecule 01, de la même maison, pour que l'on ait chacun le nôtre et qu'ils s'accordent. Il y a de la bienveillance dans ce cadeau de mon amie alter ego. Il m'a rappelé La Nuit de Paco Rabanne, que mon père m'avait choisi en 1985, à une période où je sortais beaucoup.

L'histoire d'amour a duré quinze ans jusqu'à ce qu'il disparaisse. Je suis aussi fidèle en parfum qu'en amour et en amitié. J'aime qu'il soit rare et peu distribué. Quand on m'arrête dans la rue, je préfère mentir et ne pas dire son nom même si cet article met fin au secret. Comme je suis timide, il m'annonce quand je rentre dans une pièce. Il est à la fois présent et discret, ce qui me ressemble. Il me protège, il est d'un réconfort total et n'encombre pas les autres. Je déteste les parfums capiteux, sucrés, entêtants. Celui-là n'est jamais trop. Je suis féminine mais en moi il y a une part masculine qui rayonne et ce parfum a quelque chose de cet ordre-là. Sa sensualité épouse la peau. Sa facette un peu animale, que j'adore, me ramène à l'enfance, comme l'odeur mignonne qu'un petit chien sentirait derrière l'oreille. Il sent le propre, le beau, c'est un respect par rapport à soi, à autrui, à la personne qui vous aime.

Trouver un bon parfum, c'est la quête du Graal. C'est mon trésor, le parfum du bonheur et je n'ai qu'une peur, c'est qu'il s'arrête. Je me parfume même si je suis seule, dès que je sors de ma douche. Ce rituel m'a été transmis par mon père, oriental, qui a usé de tant de parfums à une époque où les hommes étaient un peu bruts, à la Piccoli."

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Sonia Sieff, photographe : Habit Rouge de Guerlain

Christophe Coënon

"J'ai rencontré Habit Rouge de Guerlain chez mon premier amour qui le portait. J'ai tout de suite aimé énormément ce parfum et il m'accompagne toujours. Il s'imprime sur chacun différemment et, heureusement, il me va. C'est un grand parfum intemporel, comme Pour un Homme de Caron, avec un début solaire et un sillage capiteux. J'apprécie ce type de fragrances sucrées qui sentent l'ambre, la vanille et le tabac chaud, surtout quand ils se patinent bien dans ma peau. C'est mon parfum de conquête, mais pas amoureuse.

Plus qu'un grigri – ce mot serait trop gentil –, c'est une protection, que je peux adopter quelle que soit la saison. Je ne le porte pas pour plaire aux autres mais pour moi, comme le souvenir olfactif d'une personne que j'ai aimée. D'ailleurs, personne ne me fait de réflexions ou de compliments sur lui, et je m'en fiche. Son seul défaut est qu'on puisse le trouver dans un aéroport. C'est pour cela que mes autres parfums sont des créations plus confidentielles signées du parfumeur Maurice Roucel, comme Musc Ravageur ou Entre tes Bras chez Frédéric Malle, et le parfum de Helmut Lang."

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