Confier ses problèmes de cœur en plein brushing, raconter son dernier entretien professionnel pendant une manucure… Si ces instants semblent anodins, ils installent pourtant une proximité unique entre client et professionnel. Nous leur partageons nos joies, nos peines, parfois même nos secrets les plus intimes.

Ils ne sont ni psychothérapeute ni médecin. Mais ces témoins précieux que l’on côtoie parfois toute une vie savent que leur rôle va bien au-delà du simple geste esthétique. À travers une coupe, un soin ou une manucure, ils façonnent bien plus que notre apparence : un instant de répit, une bulle d’écoute, parfois un nouveau départ. Une parenthèse beauté qui va bien au-delà de l’apparence et qui n'est pas sans conséquences sur la charge mentale de ces professionnels de la beauté.

Un contexte favorisant l’échange 

Et pour cause, s’asseoir dans un fauteuil de salon de coiffure ou tendre ses mains à une nail artist, c’est déjà accepter une proximité. "Qui d’autre que votre coiffeur vous touche les cheveux ? Votre conjoint, vos enfants, votre meilleure amie peut-être", remarque David Lucas, à la tête de cinq salons de coiffure à Paris et à Bordeaux. Ce contact physique crée incontestablement un lien direct, propice à l’intimité.  

Mais il n’y a pas que le toucher qui pousse à se livrer. "Pendant une manucure, les mains sont occupées, le téléphone est hors de portée. Parler devient un réflexe", explique Julie, nail artist, plus connue sous le nom de BBT Nailz sur Instagram.

La fréquence des rendez-vous renforce aussi ce lien. Certains professionnels suivent leurs clients pendant des années. "J’en accompagne depuis 25 ans. Je les ai vus se marier, divorcer, avoir des enfants. C’est bien plus qu’une coupe de cheveux, ce sont des tranches de vie", raconte David Lucas.

Pour Alexandre Bultel, psychologue du travail, cette récurrence joue un rôle primordial. "Un rendez-vous régulier, c'est un repère.?Que ce soit une fois par mois ou une fois par trimestre, cela crée un rituel pour le client qui le rassure et lui permet de se libérer davantage.?"

Une charge émotionnelle parfois lourde pour les professionnels

Si ces échanges créent des relations privilégiées (tous parlent de cette fameuse cliente devenue une amie), ils peuvent aussi peser sur les professionnels. "J’ai déjà vu une fille fondre en larmes après une rupture, en plein brushing", raconte David Lucas.

L’humeur d’une cliente peut évoluer au fil du rendez-vous et il faut s’adapter. "On peut enchaîner une annonce de grossesse avec une confession sur un cancer", illustre-t-il. Un phénomène amplifié par l’arrivée des smartphones et le télétravail. "On doit parfois gérer le stress d’une cliente qui va passer un appel professionnel ou carrément sortir son ordinateur en pleine prestation, ajoute le coiffeur. D’autres reçoivent une mauvaise nouvelle en direct et là, tout bascule." Des moments intenses qui arrivent tout au long de leur carrière et auxquels personne ne les avait vraiment préparés. 

"Il faut savoir écouter avec empathie tout en gardant une distance?"

En effet, aucun n’a été formé pour gérer ces flux émotionnels, bien que cela fasse partie intégrante dans leur métier. Si on leur a enseigné comment réaliser leur activité, on ne leur a pas appris à écouter les clients tout en se préservant.

Daphné Narcy, fondatrice du Spa des cheveux, établit un diagnostic avant de masser et de soigner le cuir chevelu de ses clientes. Un rôle qui l’oblige parfois à poser des questions personnelles pour mieux comprendre leurs problématiques. "Une chute de cheveux peut être liée à une variation hormonale ou un gros coup de stress peut expliquer l’apparition de pellicules. Pour bien conseiller, on doit comprendre ce qui se passe dans leur vie tout en mettant des limites.?"   

"J’avais une cliente qui venait tous les mois et déversait un flot de négativité. Avant son rendez-vous, je me préparais mentalement"

Tous, ont dû apprendre seuls à naviguer entre confidences et sautes d’humeur. "Il faut savoir écouter avec beaucoup d’empathie tout en gardant une distance. Nous ne sommes pas des psys", rappelle-t-elle. Car à force d’accumuler les émotions des autres, certains finissent par ramener cette charge à la maison.

"J’avais une cliente qui venait tous les mois et déversait un flot de négativité. Avant son rendez-vous, je me préparais mentalement", confie Julie. Une fatigue qui peut peser sur leur santé psychologique, d’autant que ces métiers sont déjà physiquement éprouvants.

"Écouter, c’est une chose, résume le psychologue du travail. ?Mais si un professionnel dépasse son rôle, il risque de s’épuiser émotionnellement. Il faut poser un cadre, ne pas hésiter à dire que l’on ne se sent pas apte à aider les clients et parfois, les orienter vers des spécialistes.?"

Un atout malgré tout 

Malgré ces difficultés, la plupart des coiffeurs et nail artists considèrent cette dimension relationnelle comme un atout. "C’est une preuve de confiance incroyable", souligne Daphné Narcy.

Julie ajoute?: "Ça me fait plaisir de voir des personnes assez à l’aise pour se confier à moi." Et ces échanges intimes vont même les aider à bien réaliser leur travail. "Une cliente qui veut changer radicalement de coupe, c’est rarement anodin. On adapte nos conseils en fonction de son état d’esprit pour trouver ce qui lui conviendra le mieux", explique David Lucas.