Depuis le début de l'année, une vague de messages body positive vantant les poils pubiens libres déferle sur les réseaux sociaux. Repris comme un mantra féministe, le slogan "Full bush in a bikini" lancé sur TikTok par Sujindah et qu’on peut traduire par "grosse touffe dans le bikini", incarne l’envie de ne plus se sentir obligée de se raser le maillot et le pubis et de laisser libre cours à ses poils. Une ultime injonction à l’épilation est-elle en train de tomber ?
L’image même d’un entrejambe poilu représente un choc visuel dans l’espace public. En août 2024, Kielh’s a frappé fort avec des visuels présentant des mannequins dont les poils pubiens étaient clairement visibles… un coup de com culotté qui s’est aussitôt soldé par une censure. Action, réaction : la marque de soins a rapidement répliqué en faisant appel à l’artiste plasticienne Sandrine Le Mevel pour réaliser des messages en vrais poils : "Nos photos de mannequins avec des poils pubiens ont été censurées, nous avons donc supprimé les mannequins". Une façon d’entamer un dialogue autour de ce que la société accepte ou non de voir de nos corps.
L’épilation du maillot, dernier bastion du patriarcat ?
Alors, assiste-t-on vraiment à un retour en grâce du poil pubien après l’âge d’or du maillot brésilien dans les années 90 et 2000 ? Les femmes restent nombreuses à pratiquer l’épilation ou le rasage des zones intimes, comme le montre un sondage Ifop pour Charles réalisé en 2021 : 28 % des femmes interrogées affirmaient ne pas toucher à leurs poils pubiens (contre seulement 15 % en 2013). Mais pourquoi s’épile-t-on (encore) ? "Les principales motivations à l’entretien des poils pubiens chez les femmes sont l’esthétisme (38 %), les pratiques sexuelles bucco-génitales (26 %), les sensations sans poils pubiens (27 %) ou encore les préférences de son partenaire (19 %)"
En ayant grandi avec l’idée qu’être attirante et sexy signifie être épilée et où la culture porno mainstream a valorisé et normalisé le sexe glabre, on peut aisément comprendre comment par anticipation, de nombreuses femmes choisissent de s’épiler par crainte d’être jugées, et intègrent un dégoût de leurs propres poils.
Statistiquement les risques quand on est une femme hétérosexuelle de tomber sur un partenaire qui a un problème avec les poils sont non négligeables : un tiers des femmes de moins de 34 ans a déjà été sommé "de s’épiler totalement les poils pubiens par leur partenaire sexuel" et un homme sur quatre a "déjà demandé à un.e partenaire sexuel.le de s’épiler totalement les poils pubiens". Qui aurait envie de se prendre une réflexion dans un moment intime ? Autant prendre les devants et se conformer aux attentes présumées des hommes… au point de se convaincre qu’un sexe est plus beau sans poils qu’avec.
@sarahtalks6 #girls ? son original - Sarahtalks
Une gêne du poil pubien jusque dans la sphère médicale
Sans oublier que les poils pubiens se coltinent encore une image non hygiénique, notamment quand il s’agit d’aller chez le gynécologue. "Il y a cette fausse croyance que la vulve est sale à cause des poils… mais au contraire, les poils protègent, cela permet une meilleure régulation du PH, ils sont là pour une raison !" insiste Elise, sage-femme féministe qui anime le compte Instagram de santé sexuelle Doctogouine. Et d’ajouter que l’épilation ou le rasage ne sont en aucun cas nécessaires ou obligatoires avant un rendez-vous médical : "S’épiler ne va pas nous aider à poser un diagnostic", rassure-t-elle.
Pourtant, s’excuser d’avoir des poils au début d’une consultation reste très courant : "Ce n’est pas loin d’être systématique, confie Elise, surtout en salle de naissance, quand le travail a commencé et qu’elles n’ont pas eu le temps d’anticiper. Elles nous disent qu’elles sont hyper désolées, qu’elles comptaient aller chez l’esthéticienne, mais que c’est arrivé trop vite ! Cela arrive un peu moins en consultation gynéco, mais c’est quand même très fréquent. À chaque fois, on leur dit la même chose : qu’on s’en fiche, que ce n’est pas un problème pour nous… mais elles sont quand même un peu mal à l’aise."
Comme le rappelle Julie Hénon, co-autrice de l'ouvrage L'égalité à quelques poils près. L'épilation est-elle vraiment un choix ? (Éd. Leduc Société), dans son témoignage sur la pilophobie pour Konbini : "Aller voir un médecin généraliste ne nécessite pas de venir épilée, aller chez le gynéco ne nécessite pas de venir épilée, aller voir un ostéopathe ne nécessite pas d'être épiléé...".
Refuser de s'épiler, un geste résolument politique
Que la trend "Full bush in a bikini" émane de la génération Z via TikTok apparaît comme une preuve de l’infusion des messages féministes dans la société depuis une dizaine d’années, comme un écho aux "La vie est trop courte pour s’épiler la chatte" ou bien "On ne rasera ni les murs ni nos chattes", des slogans croisés sur Instagram ou brandis en manifestations. Une volonté de revendiquer sa liberté à disposer de son corps jusque – et surtout – dans la culotte, d’être fière de ses poils ou simplement de s’accepter et de s’assumer telle que l’on est, peu importe le regard des autres. Un geste politique, en somme.
Et un voeu bien compris par les marques de produits de rasage et d’épilation, celles-là mêmes qui autrefois nous poussaient à faire disparaître nos poils, qui nous enjoignent aujourd'hui de les garder et d’en prendre soin.
Signe que les industriels de la beauté ne perdent pas une miette de ces évolutions, la tiktokeuse Sujindah a justement reçu des produits gratuits de la part de la marque Fur, dédiée aux poils et aux soins post-épilation.
"On assiste à une récupération de l’idée de se faire belle pour soi, analysait en août 2024 pour marieclaire.fr la journaliste Jennifer Padjemi, autrice de l’essai Selfie. Comment le capitalisme contrôle nos corps (Éd. Stock). Ça peut être vrai à titre individuel, mais ce n’est jamais vrai quand c’est une marque qui l’annonce. Quel que soit le type d’injonction, l’idée est de nous faire croire que c’est nous qui décidons". Elle reconnait toutefois que ce changement de tactique a tout de même du bon : "Les marques s'imprègnent des messages contemporains, elles intègrent les discours féministes, anti-racistes, anti-capitalistes. Même si c’est une stratégie opportuniste, il y a quand même l’idée d’accompagner un changement."