Mahsa Amini avait 22 ans lorsqu’elle a été tuée par "la police des mœurs et de la vertu" iranienne. Déclarée morte le 16 septembre 2022, sa disparition a sonné le début de la révolte iranienne et a fait retentir partout dans le monde la colère des femmes pour la liberté de porter ce qu'elles souhaitent.

Tuée pour des mèches de cheveux qui dépassent

13 septembre 2022, Téhéran. Mahsa Amini, étudiante, est en vacances avec sa famille pour visiter la capitale et plus grande ville d'Iran. La jeune femme, dont le nom kurde est Jina, est alors arrêtée par la police des moeurs, une brigade de la police iranienne qui surveille le bon respect des codes vestimentaires. Son voile, qui est obligatoire pour toutes les femmes en Iran quelles que soient leurs nationalités ou leurs croyances religieuses depuis la révolution islamique de 1979, ne cachait pas suffisamment ses cheveux au goût des agents.

Mahsa Amini est interpellée et embarquée. Le frère de la disparue qui s’est exprimé auprès du quotidien iranien réformateur et indépendant Etemad, indisponible en lignea indiqué avoir entendu des cris alors qu’il se trouvait à l’extérieur du commissariat. De nombreuses femmes, témoins de la scène, ont confirmé ses dires. 

En février 2022, Erfan Mortezaei, cousin de la disparue et réfugié politique, expliquait au Point que le frère de Mahsa avait eu une "altercation verbale" avec les policiers avant qu'il ne l'arrête. Il aurait été "violemment poussé vers l'arrière" tandis que "Mahsa a été conduite de force dans la camionnette de la police des mœurs, où se trouvaient déjà plusieurs femmes arrêtées". Il assure également que plusieurs témoins ont déclaré à la chaîne de télévision Iran International qu’elle avait reçue "un coup à la tête" à l’intérieur du véhicule. 

Quelques heures plus tard, la jeune fille originaire de la région du Kurdistan située dans le nord-ouest de l'Iran, s'effondre, elle est emmenée à l’hôpital privé de Kasra. Celui-ci se trouve près "du poste de police de Vozara, un des endroits où les 'mal-voilées' sont placées en garde à vue", précise Le Monde.

La jeune femme a sombré dans un coma. Trois jours après, Mahsa Amini décède et des photos d’elle, intubée à l'hôpital, sont partagées sur les réseaux sociaux.

Lundi 19 septembre, le média Iran International, basé à Londres, publie sur Twitter plusieurs images du scanner du crâne de Mahsa Amini qu'ils auraient obtenu grâce à des hackeurs. Ces clichés montrent que la jeune fille souffrait d'une "fracture osseuse", d'une "hémorragie" et d'un "œdème cérébral".

Les autorités tentent de se déresponsabiliser

Face à la colère qui grondait alors sur Internet et dans la rue, les autorités et médias officiels ont affirmé que Mahsa Amini était morte des suites d’antécédents médicaux multiples. Malformation cardiaque, crises d’épilepsie, tumeur cérébrale… Le gouvernement islamique cherche ainsi à se déresponsabiliser et à protéger sa police religieuse.

Faites-le savoir au monde : ils ont tué ma fille.

La télévision officielle publie même une vidéo d’une femme qu'elle affirme être Mahsa Amini, tombant raide, toute seule, au commissariat. Mais celle-ci, non datée, ne convainc pas les Iraniens et Iraniennes qui ne font plus confiance au gouvernement. Mojgan Amini, le père de la victime, n’hésite d'ailleurs pas à s’exprimer sur les réseaux sociaux : "Faites-le savoir au monde : ils ont tué ma fille." Et fustige les déclarations du gouvernement sur la santé de sa fille.

Dans un entretien accordé au site iranien Rouydad24 et aujourd'hui indisponible, l’homme n'exprime alors aucun doute : "Son corps a été bien couvert pour que nous ne voyions pas les bleus, notamment sur ses jambes." "Les filles qui étaient dans le van de la police avec Mahsa m’ont appelé pour me dire qu’elle a été malmenée physiquement par les policiers", poursuit-il.

Les adieux à Mahsa Amini

Mahsa Amini est inhumée le 17 septembre à Saghez, sa ville natale, et ne sera pas examinée par un médecin légiste.

Le 13 septembre 2023, soit presque un an après la mort de Mahsa Amini, Diako Alavi, professeur au lycée de Saqqez et entourage de la famille, s'est souvenu auprès de France 24 de son enterrement. "Je me suis rendu au cimetière à 8h30. Il y avait tellement de monde. Des milliers et des milliers de personnes étaient prostrées dans le silence le plus total. On ne les entendait même pas respirer", écrit-il, solennel.

Un moment "saisissant, "effrayant" dit-il. Le silence domine, puis la colère : "Là, un homme s’est mis à crier : 'Elle aurait pu être ma fille. Elle aurait pu être ta sœur. Jusqu’à quand allons-nous supporter cela ?'".

S’ensuit, raconte-il toujours à France 24, des hurlements, des slogans en kurde et en persan, et des mots de soutien à la mère de la disparue comme : "Ne pleure pas, maman, nous vengerons la mort de ton enfant." Le professeur d’Anglais se rappelle aussi du père de Mahsa, qui, grave, a pris un microphone "pour calmer la foule".

"Je crois que, la veille, ils [la famille de Mahsa, ndlr] avaient été menacés de représailles sur leur unique fils si les obsèques tournaient à la manifestation", écrit-il. Avant de préciser que des "femmes se sont mises à faire voler leurs foulards noirs en l’air. [Certaines de ces femmes ont, elles aussi, été obligées de fuir le pays après avoir été identifiées, ndlr]". Le lendemain, "[sa] ville avait pris des allures de zone de guerre".

De violentes manifestations ont éclaté dans plusieurs autres endroits du Kurdistan iranien, dont Saqqez, Baneh, Boukan, Sanandadj et Marivan.

"Femme, Vie, Liberté"

Après sa mort, en Iran, le slogan "Femme, Vie, Liberté" est scandé. Il est le cri de ralliement et de révolte. Sur les réseaux sociaux, des militantes se filment en train de brûler leur voile ou en se coupant des mèches de cheveux. Des actions devenues symboles de la lutte contre la répression iranienne.

Mahsa Amini manifestation

Partout dans le monde, du Japon en passant par la Roumanie, des rassemblements en soutien aux Iraniennes sont organisés. En octobre 2022, une cinquantaine de personnalités dont Juliette Binoche et Isabelle Adjani se sont filmées en coupant une mèche de leurs cheveux.

Selon l'ONG Iran Human Rights (IHR), 537 personnes ont été tuées par les forces de sécurité iraniennes depuis la mort de Mahsa Amini. En 2022, les exécutions ont augmenté de 75 % avec 582 pendaisons. D’après Amnesty National cité par Franceinfo, il y a eu depuis la révolte des dizaines de milliers d'arrestations arbitraires, des tortures généralisées dans les prisons et les centres d'interrogatoire, mais aussi des viols de détenu.es.

La famille de la défunte et ceux qui les soutiennent ont aussi fait les frais de la répression. Comme la jeune journaliste Nazila Maroufian qui a interviewé Amjad Amini, le père de Mahsa Amini. Depuis cet entretien diffusé en octobre 2022 sur le site d’information Mostaghel Online mais qui n'est désormais plus en ligne, la jeune femme a été arrêtée, puis libérée mais condamné à deux ans de prison et cinq ans de sursis pour "propagande contre le système" et "diffusion de fausses nouvelles".

Le 30 août 2023, selon l'agence d'informations iranienne privée Tasnim News, relayée par l'Agence France Presse, elle aurait été arrêtée pour ne pas avoir porté de voile en public et pour avoir posté l'image sur les réseaux sociaux. Ce serait la quatrième fois que Nazila Maroufian est arrêtée par les forces gouvernementales iraniennes en un an. Me Nikbakht, l’avocat de la famille de Mahsa Amini est lui actuellement jugé pour avoir annoncé le dépôt de plainte de ses clients contre les policiers qui ont tué l'étudiante. Il risque une peine d’emprisonnement de trois mois à un an.

Si la répression sévit toujours en Iran, Franceinfo françaisprécise que "le régime est affaibli".

Le sort de Mahsa Amini a marqué à jamais l’Iran et le monde entier. Son cousin dit d'elle au Point qu’elle a été "l'étincelle qui a redonné de la joie à sa famille". Mais aussi "l’étincelle pour que le peuple descende dans la rue et réclame la fin des discriminations de genre, la justice, l'égalité et la liberté".