Se sentir bien dans sa tête, c'est le premier pas pour se sentir bien dans son corps. Mais préserver sa santé mentale, c'est agir à tous les niveaux et même au niveau de nos intestins. Car notre psyché est largement influencée par notre santé intestinale. Ce puits de milliards de bactéries, relié à notre cerveau, forme avec ce dernier un couple co-dépendant.

Par exemple, la sérotonine - l'hormone dite du bonheur - est produite à 95% par nos intestins, explique l'expert et hépato-gastroentérologue, Julien Scanzi, dans une vidéo InstagramAinsi, nos émotions fluctueraient selon l'état de santé de notre microbiote et de nos bactéries intestinales, tout comme notre état émotionnel agirait sur la vitalité de nos intestins.

Mais comment l'expliquer ?

Nerf-vague, système immunitaire, digestion : le microbiote agit sur nos émotions 

“Il y a plusieurs voies par lesquelles les intestins envoient des messages au cerveau : d’abord par le nerf vague, qui innerve les deux premiers tiers de l’intestin”, commence le docteur en psychiatrie et neurosciences Guillaume Fond.

Le nerf-vague, c’est la première voie d’échange d'informations intestin-cerveau, “un peu comme un central téléphonique câblé de toutes parts. Notre cerveau régule les fonctions corporelles et les connecte entre elles via la moelle épinière, les nerfs périphériques et cette super autoroute de communication qu’est le nerf vague", décrivait à Marie Claire Navaz Habib, auteur de Activez votre nerf vague (Thierry Souccar, 2020). 

Et une grande majorité des informations - environ 80% - seraient ascendantes, c'est-à-dire envoyées par les intestins à notre cerveau. “La deuxième voie est le système immunitaire : le microbiote le stimule. Quand le microbiote est attaqué, le système immunitaire s’affaiblit. Et on connaît le lien entre l'immunité et la santé mentale : plus je suis stressé, plus mon système est affaibli et plus je suis affaibli, plus j'ai de chance d'être anxieux”, détaille le spécialiste Guillaume Fond.

Dernière voie de communication : la digestion des nutriments. “On sait que, par exemple, le zinc est efficace pour lutter contre la dépression”, ajoute-t-il. Ainsi, le microbiote serait un des socles de notre santé mentale.

Des bactéries intestinales à l'origine d'émotions négatives

Et la science l’a confirmé à plusieurs reprises. Une étude, publiée en 2017 dans Psychosomatic Medicine : Journal of Behavioral Medicine, avait mis en avant la place plus que centrale de nos intestins, et donc de notre microbiote, dans notre organisme, en tant que deuxième cerveau.

Ces recherches avaient révélé une association entre deux types de microbes intestinaux et notre réponse émotionnelle. Les participant.es ayant plus de Bacteroides en eux que de Prevotella possédaient une plus grande épaisseur de matière grise dans l'hippocampe, impliqué dans l'humeur, le plaisir ou la mémoire. Et ceux ayant plus de Prevotella avaient signalé des niveaux plus élevés d’anxiété, de détresse et d’irritabilité. 

Plus récemment, des chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et du CNRS avaient, eux, démontré “qu’un déséquilibre de la communauté bactérienne intestinale peut provoquer un effondrement de certains métabolites qui est responsable de l’état dépressif”.

Les résultats, publiés dans Nature Communications en décembre 2020, dévoilaient que “le microbiote intestinal contribue au fonctionnement normal du cerveau”, avait détaillé Gérard Eberl, chercheur et co-auteur de l’étude. Nos bactéries intestinales auraient le pouvoir d'agir comme antidépresseurs, comme ce que les expert.es ont appelé des “psychobiotiques” [contraction de psychotiques et probiotiques]. 

Les émotions négatives influencent la flore intestinale

Mais nos émotions influencent également la composition de notre microbiote.

"Le stress psychologique (burn out, harcèlement au travail, conflits…) induit une augmentation du cortisol (l'hormone du stress) dans notre corps, qui augmente, elle, l'imperméabilité de l’intestin, créant une inflammation. Et on sait que l’inflammation perturbe les organes, dont le cerveau. Il y a une boucle qui se met en place : les gens stressés ont des problèmes de diarrhée, de constipation, de digestion, des douleurs, voire le syndrome de l’intestin irritable. Selon les études, ce syndrome fait qu’on a quatre fois plus de risque d'avoir un trouble anxieux ou dépressif", continue le psychiatre Guillaume Fond. 

En effet, nombreux.ses sont celles et ceux à ressentir des douleurs au ventre dans des situations stressantes, car les émotions agissent directement sur notre santé intestinale.

"Lorsqu’une personne devient suffisamment stressée pour déclencher la réaction de combat ou de fuite, par exemple, la digestion ralentit ou même s’arrête afin que le corps puisse détourner toute son énergie interne pour faire face à une menace perçue. En réponse à un stress moins grave, comme parler en public, le processus digestif peut ralentir ou être temporairement perturbé, provoquant des douleurs abdominales et d’autres symptômes de troubles gastro-intestinaux", détaille une publication de la Harvard Health Publishing

Le stress dégrade notre santé intestinale

Alors que nos émotions, qu'elles soient positives ou négatives, jouent un rôle plus qu’essentiel dans le maintien d’une bonne santé psychique mais aussi physique, une étude avait “examiné si les émotions positives et négatives, ainsi que deux stratégies de régulation des émotions (c’est-à-dire la réévaluation cognitive et la suppression), étaient associées à la composition du microbiome intestinal et aux voies fonctionnelles chez les femmes en bonne santé”, avaient détaillé les recherches. Les résultats ont été publiés en mars 2023, dans la revue scientifique Psychological Medicine

L’étude avait permis de mettre en évidence “les liens entre les émotions et les processus de régulation connexes avec le microbiome intestinal”. Une interaction intestin-cerveau qui “se fait probablement dans les deux sens : le cerveau peut avoir un impact sur l'intestin, et l'intestin peut avoir un impact sur le cerveau. Les émotions que nous ressentons et la façon dont nous les gérons pourraient affecter le microbiome intestinal. Et le microbiome pourrait également influencer la façon dont nous nous sentons", avait déclaré Shanlin Ke, autrice de l’étude. 

Mais comment entretenir une relation saine entre les deux entités ? 

Relation intestins-cerveau : les solutions pour la préserver 

Pour permettre à notre santé mentale et à notre santé intestinale de fonctionner ensemble sainement, "on peut agir à plusieurs niveaux. D’abord via la psychothérapie, par exemple celle basée sur la pleine conscience, ou encore grâce à des techniques de respiration comme la cohérence cardiaque. Tout ce qui ne fait pas exploser notre cortisol", reprend le psychiatre Guillaume Fond.

En effet, réduire son stress et favoriser des émotions positives permettra de maintenir une bonne santé psychique mais également microbienne. Mais on peut également agir directement à travers nos intestins, grâce notamment à l'alimentation, première voie pour prendre soin de son microbiote.

"Les Français ne mangent pas assez de fibres, ont une alimentation trop riche en protéines animales, avec trop de sel, trop de produits transformés et trop de sucres rapides (qui augmentent de 33% le risque de faire une dépression). Cette alimentation rend notre microbiote appauvri et altéréContre ça, il est intéressant de favoriser une alimentation méditerranéenne, bonne pour l’esprit et le microbiote. Consommez des fruits et légumes tous les jours, qui diminuent chacun de 15% et 9% le risque de faire une dépression. Pour finir, les compléments alimentaires peuvent être efficaces pour lutter contre l'anxiété et la dépression, notamment ceux à base d'oméga 3, de vitamine D9 ou de zinc", conclut l'expert. 

Dans tous les cas, récolter les conseils d'un professionnel de santé qui nous suit régulièrement, reste la meilleure des recommandations à donner.