Une avalanche de sororité. Depuis quelques jours et dans toutes les langues, des centaines de femmes partagent sur TikTok leurs gestes quotidiens pour lutter contre le sexisme. Un mouvement surnommé "micro-féminisme".
Le micro-féminisme dans toutes les sphères de la société
Cette tendance est née d’une vidéo TikTok partagée par Ashley Chaney en mars 2024. Cette productrice de film y raconte l’une de ses techniques micro-féministes : "Lorsque j’envoie un mail à un PDG ou un chef d’entreprise qui a une assistante, je mets toujours cette dernière comme destinataire principale, et la mentionne en premier (….) cela n’est peut-être rien, peut-être que personne ne va le remarquer, mais c’est une manière pour moi de dire 'on se sait'."
À la fin de sa vidéo, aussi simple qu'importante, l'Américaine demande aux internautes quel est leur "geste de micro-féminisme favori ?". En commentaires, toutes partagent leurs gestes parfois plein d’ironie, subtilement féministes. Que ce soit dans la rue, autour d'un verre, ou au travail.
@iamashleychaney Girl’s girl, corporate edition. #microfeminism #feminist #feminism #corporatelife #girlsgirl ? original sound - Ashley Chaney
L’une d’elle raconte par exemple que lorsque "les gens parlent d'un grand match sportif", elle demande toujours qui joue, l'équipe féminine ou masculine ? Une enseignante explique, elle, que lorsqu’un de ses élèves est malade, elle appelle le père en premier. "Ils sont toujours un peu confus au début et je leur demande : 'Vous n'êtes pas le parent de... ?'", ironise-t-elle.
Une autre femme, dont le commentaire a été liké plus de 1000 fois, confie une anecdote qui a fait sourire de nombreuses utilisatrices de TikTok : "Je travaille dans une école. Après mon mariage, tout le monde me demandait quel serait mon nouveau nom. Quand je disais que j'étais toujours Mme Johnson, ils faisaient la grimace et je répondais toujours : 'Oh, il [son mari] n'a pas changé de nom non plus.'"
La lutte subtile et quotidienne contre le sexisme
Parmi les tiktokeuses françaises à avoir suivi la tendance, il y a la mannequin connue sous le pseudo "Aaguaderata". Dans sa vidéo visionnée par quelques 4 000 personnes, elle raconte que lorsqu’elle voit une petite fille ou une jeune fille, elle "essaie toujours de la complimenter sur autre chose que son physique". Et fait attention à ne jamais commenter la prise ou la perte de poids d’une femme.
L’utilisatrice "lana.khl" explique à son tour qu’elle essaie de placer toujours "le féminin avant le masculin" et d'utiliser le terme "humains" plutôt qu'"Hommes", car elle estime qu'il invisibilise l’existence des femmes et des minorités de genre.
Si la majorité des commentaires sont encourageants, des internautes masculins sont nombreux à exprimer leur mécontentement et à se moquer du micro-féminisme et de ces "militantes du quotidien". "C’est là que tu te rends compte que le seul combat, c’est la bonne conscience", "quelle perte de temps, quelle perte d’énergie… Y a bien plus important que ça je crois pour le combat féministe", peut-on notamment lire.
Avant que le mot ne soit lâché sur TikTok, devienne une trend et un hashtag, le micro-féministe existait déjà depuis quelques années dans la vie de Mathilde. La jeune femme de 23 ans raconte par exemple auprès de Marie Claire qu’elle écarte davantage ses jambes dans le métro lorsqu’un homme le fait et prend ainsi toute la place. Elle garde aussi en tête la possibilité qu'il y ait des violences sexuelles dans les transports en commun et fait attention à ce qu’aucune femme ne soit isolée, "dans un coin, surtout lorsqu’il est tard".
Tandis qu'Emma, 24 ans, précise que lorsqu’un adulte demande à sa petite sœur si elle a un amoureux, elle ajoute "ou une amoureuse". Un détail qui a son importance puisqu'il appuie sur le fait que l’amour n’est pas forcément hétérosexuel. Et le geste micro-féministe de Théo : avoir toujours dans ses toilettes des serviettes hygiéniques, alors qu'il n'est pas réglé.
Anna Toumazoff décrypte le micro-féminisme
Pour Anna Toumazoff, militante féministe et créatrice notamment du compte de memes (images détournées à but humoristique) féministe @memespourcoolkidsfeministe, cette nouvelle tendance est "rafraîchissante".
Durant #MeToo en 2017, il y a eu, estime-t-elle, "un féminisme assez vindicatif", ce qui était "légitime". Mais depuis quelques temps, un backlash [retour en arrière, ndlr] est en place : du cyberharcèlement de plus en plus forts envers les féministes et associations, à la défense de plusieurs acteurs envers Gérard Depardieu accusé de violences sexuelles...
Je trouve ça génial quand toutes les personnes progressistes et toutes celles qui ont envie de faire avancer leurs droits viennent se réapproprier cette arme fatale qu'est l'humour.
"Il semblerait que les nouvelles générations se saisissent à leur façon des revendications féministes, de manière plus soft, plus 'acceptable' pour certains, mais non moins incisive et importante", se réjouit-elle. Elle observe : "Ce sont des "passes d'" [passes décisives, ndlr] du quotidien. Des filles vont se faciliter la vie les unes les autres, ce qui est évidemment le but du féminisme".
La jeune femme qui a lancé sur les réseaux sociaux de nombreux hashtags tels que #UberCestOver, qui dénonce en 2019 les violences sexuelles durant des trajets en VTC, ou encore #SciencesPorcs en 2022, pratique elle-même le micro-féminisme. Notamment dans la rue. "Quand j'arrive face à un mec sur un trottoir, je ne lui laisse jamais la priorité. Il y a quelques années, je me suis rendue compte qu'on avait tendance à se mettre un peu contre le mur, à s'écraser, s'effacer ou parfois à descendre sur la route au lieu d'être sur le trottoir", développe-t-elle.
La sororité au cœur des actions micro-féministes
S'il est "compliqué d’étudier les trends sur TikTok", celle-ci est intéressante, parce qu'elle est adoptée par la jeune génération qui n’a pas vécu le pré-#MeToo ni l'avènement de #MeToo, note Anna Toumazoff.
"Je crois que le microféminisme peut donner du fil à retordre à toutes les personnes qui essaient de pourfendre le féminisme, en disant que c'est juste une guerre constante, quelque chose de très négatif, partage-t-elle encore, à propos de ces vidéos bourrées d'ironie. Je trouve ça génial quand toutes les personnes progressistes et toutes celles qui ont envie de faire avancer leurs droits viennent se réapproprier cette arme fatale qu'est l'humour."
Ces actions micro-féministes révèlent surtout la sororité quotidienne qui peut exister entre des femmes, qu'elles se connaissent ou non. Victoire (le prénom a été modifié) se souvient avec émotion d'une marque de solidarité féminine : "Une fois, je suis allée chez une psychologue, et lorsqu'elle m’a annoncé le prix en début de séance, je me suis excusée de ne pas pouvoir payer cette somme et me suis dirigée vers la sortie. Elle m'a répondu 'la sororité est plus importante'. Depuis, dès que j'ai besoin de ses services, elle me fait à moitié prix." Un autre jour, c'est elle, Victoire, qui a fait preuve de sororité et réalisé son geste de "micro-féminisme" et courageux, en restant dans le couloir avec sa voisine.
Les deux femmes parlaient bruyamment afin de protéger leur autre voisine, violentée verbalement par son mari, "afin que lui sache qu'on était là et qu'elle comprenne qu'on était prête à intervenir, appeler la police au cas où", nous détaille-t-elle. mi
Sur TikTok, plusieurs trends comme celle du micro-féminisme permettent d’évoquer le féminisme, le sexisme et autres formes de discriminations liée au genre, ou à la religion. C'est l'exemple de "Je suis [femme, noire, handicapée, juive, musulmane, etc] donc bien sûr que [la personne qui se filme cite une discrimination ou un cliché dont elle est régulièrement régulièrement]" Je suis noire, donc bien sûr qu'on me touche les cheveux sans mon consentement", pour exemple.
Derrière l'aspect ludique de ces trends, des témoignages essentiels.