Depuis plusieurs semaines, les actrices, décoratrices, costumières... dénoncent les violences sexuelles et l'omerta qui règne dans le milieu du cinéma français. Fabienne Silvestre, cofondatrice et directrice du Lab Femmes de cinéma, partage, dans cette tribune, l'espoir d'un futur sans violences sexistes et sexuelles dans cette industrie, avec un tas de nouvelles histoires à raconter au féminin. 

"Pas encore sortis de la période nauséabonde"

"La parole puissante de Judith Godrèche* s’inscrit dans un contexte inédit où la société semble enfin prête à l’entendre  : l’Académie des César lui offre une tribune quatre ans après le sacre de Roman Polanski**. Les médias se remettent en question et les institutions se saisissent du sujet. J’ai le sentiment que nous passons d’une ère à une autre, et cela s’accompagne d’un deuil  : après le déni et la colère vient le 'marchandage' pour parvenir à la pleine acceptation. Le rapport de force s’inverse. On sort enfin du refus de dissocier l’homme de l’artiste. Arrive alors le temps du politique avec le lobbying d’associations comme Le Lab, le Collectif 50/50, etc., ainsi que des médias qui font le relais.

Chaque maillon de la chaîne du cinéma doit être responsabilisé.

Nous ne sommes pas encore sortis de la période nauséabonde, nous ne pourrons pas faire l’impasse sur le recueil des témoignages, à la fois des victimes et des témoins, il faut mesurer l’ampleur des violences sexistes et sexuelles. 

Le #MeToo du cinéma français prend place

Judith Godrèche milite pour qu’une commission d’enquête parlementaire soit mise en place***  : nous avons besoin d’experts, d’auditions, de rapports chiffrés. Le CNC (Centre national du cinéma) a déjà mis en place des mesures en matière de prévention et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, mais il faut aller encore plus loin en créant des formations pour les référents harcèlement et les coordinateurs d’intimité.

Le CNC devrait par ailleurs s’engager à ne pas financer des projets portés par des personnes mises en examen ou condamnées pour des faits de violence, en France ou à l’étranger. Ce n’est pas d’une chasse aux sorcières dont il s’agit mais d’une demande de leur mise en retrait. Chaque maillon de la chaîne du cinéma doit être responsabilisé, jusqu’à la vitrine que sont les festivals. L’an dernier encore, à la Mostra de Venise, Woody Allen, Luc Besson et Roman Polanski étaient en compétition et en sélection.

Le #MeToo du cinéma français ne va pas réduire la créativité, bien au contraire. Avec enfin plus de femmes à tous les postes, il y aura moins de violences sexistes et sexuelles, et un réservoir d’histoires qui n’ont pas été racontées jusque-là. Il faut nous réjouir de cette période complexe mais tellement porteuse d’espoir  !"

*L'actrice accuse les réalisateurs Jacques Doillon et Benoît Jacquot de violences sexuelles lorsqu'elle était mineure.

**accusé de violences sexuelles et de pédocriminalité par plusieurs femmes, Roman Polanski a été récompensé du César du meilleur réalisateur en 2020.

***Peu après la publication de cette tribune, le jeudi 2 mai 2024, les députés ont approuvé à l’unanimité la création d’une commission d’enquête sur les violences sexuelles dans le milieu de la culture, notamment dans celui du cinéma.

Cette tribune a été initialement publiée dans le magazine Marie Claire numéro 860, daté mai 2024.