"Coucou ! Tu as un nez magnifique. Peux-tu, s’il te plaît, me donner le nom de ton chirurgien ?" Réponse : "Mon nez n’est pas refait mais si je peux vous conseiller un chirurgien, c’est…" Cet échange, publié par une instagrammeuse cannoise, est symptomatique d’une nouvelle réalité de l’époque où un joli trait, des lèvres pulpeuses ou un nez fin seraient moins une affaire de génétique que le résultat d’un bon coup de canule.

Dans Génération bistouri (Éd.JC Lattès), Ariane Riou et Elsa Mari, journalistes au Parisien, décryptent la banalisation des procédures esthétiques auprès des jeunes qui, à l’instar des "digital natives ", grandissent dans une société où la transformation de soi à tout prix est une réalité.

Une large influence des réseaux sociaux

"Ce qui nous a alertées, c’est ce papier que l’on avait publié en une du Parisien : en 2019, ils étaient devenus les premiers patients des cabinets de chirurgie et médecine esthétique, plus nombreux que les 50/60 ans. On a voulu comprendre." À l’ère des "visages Instagram ", des filtres et des influenceur.ses, de plus en plus de jeunes femmes notamment ont recours aux injections ou aux opérations, espérant coller aux nouveaux stéréotypes de la beauté.

Des diktats décrits par Mona Chollet dans Beauté fatale (Éd. La Découverte) et, avant elle, l’Américaine Naomi Wolf dans The Beauty Myth (Éd. Chatto & Windus), encore plus aliénants aujourd’hui. Car si leurs aînées étaient confrontées aux images de corps idéalisés dans des spots publicitaires ou des magazines sur papier glacé, les filles et petites-filles le sont désormais du matin au soir dans notre ère numérique.

"Ce glissement générationnel du recours à la chirurgie esthétique est très lié aux réseaux sociaux, confirme la psychiatre Vanina Micheli-Rechtman, qui faisait déjà le lien entre réseaux sociaux et troubles alimentaires chez les jeunes dans son ouvrage Les Nouvelles Beautés fatales  (Éd. Érès). L’imagerie Instagram ou TikTok (voir le succès sur ce réseau du nouveau filtre Bold Glamour, ndlr), filtrée, retouchée empêche de s’accepter dans la réalité. Cela conduit de plus en plus de jeunes filles à vouloir se transformer, non pas pour traiter de vrais complexes mais pour se conformer à un modèle, à un stéréotype de beauté. Et là, les choses deviennent dangereuses." Cette véritable "pathologie de l’image " charrie avec elle de nouvelles normes de beauté, inatteignables. Enfin, plus vraiment inatteignables…

Un accès aux procédures de plus en plus facilité

" Avec l’essor de la médecine esthétique, il est possible de faire refaire son nez entre midi et deux, sans convalescence, et avec l’idée que c’est une procédure anodine ", notent les journalistes. Avec l’arrivée de produits comme le botox, l’acide hyaluronique ou les fils tenseurs et l’ouverture de cliniques spécialisées, l’offre n’a jamais été aussi large. " La médecine esthétique fait moins peur, confirme la Dre Natalie Rajaonarivelo, chirurgienne esthétique et autrice du podcast Au scalpel. Elle a été très médiatisée, et les patientes peuvent avoir l’impression qu’il s’agit de procédures plus soft. "

Plus soft, et très lucratives : l’effet des injections d’acide hyaluronique s’amenuise au bout de six à huit mois. Pour une seringue vendue en moyenne 300 euros chez des praticien.nes, comme les médecins généralistes ou urgentistes, venu.es se former chez leurs confrères pour diversifier leur activité. Ariane Riou et Elsa Mari s'interrogent : quelle est la responsabilité des médecins dans la naissance de cette "génération bistouri " ? Elles décrivent l’ambivalence d’une profession à part : " À la fois lanceuse d’alerte sur le danger que représentent les injections illégales, mais aussi utilisatrice des réseaux sociaux pour faire la promotion de ses 'avant/ après', parlant parfois de 'clientes' plutôt que de 'patientes'… "

Elles poursuivent : " Beaucoup de praticiens rencontrés sont désolés de voir la façon dont évolue leur métier. Il y a dix ans, beaucoup refusaient des opérations à des patientes jugées trop jeunes. Mais aujourd’hui, des confrères ont la main plus légère."

Natalie Rajaonarivelo nuance : " Ce que l’on voit sur les réseaux sociaux n’est pas représentatif des quelque mille praticien.nes qui exercent en France." Et de conclure : "Pour éviter la banalisation de la chirurgie esthétique, c’est à nous, médecins, d’expliquer à nos patientes qu’il existe des manières sûres d’aborder leurs complexes et leurs envies. Notre serment nous enjoint à 'avant tout ne pas nuire', et c’est encore cela qui nous habite."