Marie Claire : Que pensez-vous de ces termes : "Réarmement démographique" ?
Mathilde Larrère : Cette expression dit l'incessant contrôle du corps des femmes par l'État. Les relents pétainistes de la formule ont été dénoncés, mais les politiques de contrôle du corps reproductif remontent au XIXe siècle, gagné à la doctrine malthusienne qui lie la richesse d'un pays à la maîtrise de sa démographie. Les femmes des classes populaires étaient alors encouragées à ne pas faire trop d'enfants.
Après la Première Guerre mondiale, virage à 180 degrés : l'État interdit la contraception (diaphragme, spermicides) et l'avortement clandestin sera le seul recours des femmes pour contrôler leur corps, jusqu'à la loi Neuwirth en 1967 autorisant la contraception, et la loi Veil en 1974, qui légalise l'IVG.
Annoncer un plan fertilité, quand de plus en plus d'hommes et de femmes sont infertiles, notamment à cause des pesticides, c'était habile en termes de communication.
Des années 80 à 2010, les politiques natalistes sont assorties de mesures sociales pour les femmes (logement, fiscalité, garde d'enfant). Cela prouve qu'une politique nataliste respectueuse des droits et du choix des femmes est possible.
Un discours entendu aussi en Italie et en Hongrie
Vous avez écrit : "Lâchez nos ovaires et ouvrez les frontières."* En quoi la question démographique est-elle liée à la question migratoire ?
Tout démographe sait que s'il y a un problème de démographie, on recourt à l'immigration, comme aux XIXe et XXe siècles et comme certains pays d'Europe le font aujourd'hui. Ces discours natalistes, qu'on entend en France, en Italie et en Hongrie, ont une connotation profondément raciste.
D'ailleurs, Sébastien Chenu, député Rassemblement national du Nord et vice-président de l'Assemblée nationale, a dit : "Moi, je préfère qu'on fabrique des travailleurs français plutôt qu'on les importe"**.
C'est une idéologie d'extrême droite. D'autres moyens existent, mais l'option retenue, c'est : "Pondez, Mesdames." Tout en continuant de fermer des maternités !
Et pourtant, le droit à l'avortement vient d'être inscrit dans la Constitution : c'est une victoire féministe, non ?
Ce projet de loi ne va pas. Les féministes défendaient l'accès à l'avortement comme droit constitutionnel. Le seul droit à l'IVG ne suffit pas. Car si faute d'obtenir un rendez-vous, vous ne pouvez pas avorter dans le délai imparti, votre droit à l'IVG n'est pas effectif.
Cela figurait dans la mouture initiale mais a été supprimé par le Sénat. Avorter en France est de plus en plus difficile. 8 % des centres pra- tiquant des IVG ont fermé, de plus en plus de femmes sont contraintes d’aller avorter à l’étranger. Et la possible arrivée de l’extrême droite au pouvoir n’a pas de quoi nous rassurer.
Le "réarmement démographique" est-il une politique sexiste ?
Oui, sans aucun doute. Annoncer un plan fertilité, quand de plus en plus d'hommes et de femmes sont infertiles, notamment à cause des pesticides, c'était habile en termes de communication. Mais rien moins qu'un écran de fumée dans un discours sexiste et raciste. Je le redis : lâchez nos ovaires et ouvrez les frontières.
Mathilde Larrère est notamment l'autrice de Rage against the machisme, éd. du Détour, 19,90 €.
*Dans une tribune de L'Obs publiée le 18 janvier 2024.
**À l'Assemblée nationale, le 13 février 2023.
Cette interview a initialement été publiée dans le magazine Marie Claire numéro 859, daté avril 2024.
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