Manger équilibré, pratiquer une activité physique régulière et bien dormir : trois règles de vie qui nous sont martelées pour préserver notre bonne santé, en protégeant notamment notre système immunitaire. 

Mais si s'assurer de faire le plein de bons nutriments et de prendre soin de son corps en s'activant aide à se construire des défenses immunitaires solides, quel lien avec le sommeil ? Une corrélation importante, répondent les experts. Selon une étude parue dans la revue Sleep en 2015 et reprise par l’Inserm, manquer de sommeil multiplierait par quatre le risque de contracter un rhume.

"Une durée de sommeil plus courte, mesurée comportementalement par actigraphie avant l'exposition virale, était associée à une susceptibilité accrue au rhume", peut-on y lire. Plus précisément, les observé.es qui dormaient moins de cinq heures ou entre cinq et six heures par nuit avaient un risque plus élevé de développer un rhume par rapport à ceux qui dorment moins de 7 heures par nuit - ceux qui dormaient entre 6 et 7 heures ne couraient pas de risque plus élevé.

Et si à ce jour, "on ne connaît pas l’effet du sommeil sur notre système immunitaire, nous connaissons bien les conséquences du manque de sommeil sur ce dernier", confirme d'entrée Gérard Eberl, immunologiste à l’unité de microenvironnement et d'immunologie de l’Institut Pasteur.

Comment fonctionne le système immunitaire ?

Le système immunitaire est un réseau de cellules, de protéines et d’organes, capable de reconnaître un élément inconnu et qui n’est pas le bienvenu dans votre corps. Lorsqu’il repère une bactérie ou un virus, il déclenche une réponse défensive, afin de protéger le corps de la menace.

Les scientifiques ont identifié deux types d’immunité.

L’immunité dite "innée" est la première ligne de défense de l’organisme. Elle veille en permanence afin de détecter des corps étrangers. La seconde ligne de défense est appelée immunité "adaptative". "Elle nécessite une phase 'd’apprentissage' de 5 à 7 jours au cours de laquelle les lymphocytes T et B apprennent à reconnaître la cible à éliminer", décrit l’Institut Curie.

Grâce à cet apprentissage, le système immunitaire garde en mémoire le corps étranger, afin de lutter plus facilement contre celui-ci lors d’une prochaine rencontre. Ce processus prend plus de temps, mais est nécessaire à une immunité performante.

Seulement, lorsque l’on manque de sommeil, le système immunitaire est moins enclin à réagir contre un intrus tel qu’une bactérie ou une infection, car le sommeil est "essentiel à l’activité du système immunitaire", précise l’immunologiste.

Sommeil et processus immunitaire : quels liens ?

Pendant le sommeil, le corps produit de nouvelles cellules nommées "macrophages", capables de sécréter des protéines protectrices appelées "cytokines". Du grec "cyto" : cellules et "kinos" : mouvement, celles-ci sont une catégorie large de protéines qui appartiennent aux globules blancs et qui agissent en tant qu’agents immunomodulateurs.

Elles sont sécrétées par les cellules en réponse à divers stimuli. Au niveau de la réponse immunitaire, elles permettent la communication entre les cellules immunes et l’orientation de la réponse en fonction de la nature du signal détecté, nous apprend le site de l’École normale supérieure de Lyon.

En somme, les cytokines régulent le sommeil et la fonction immunitaire. Ces cellules immunitaires font ensuite leur chemin dans le corps, du sang aux ganglions lymphatiques, en passant par les organes. Au cours de cette migration, les cellules immunitaires communiquent entre elles.

Bousculer le cycle circadien revient à perturber le système immunitaire

Le sommeil est programmé d’une façon rythmique que l’on nomme "cycle circadien" et "comme tous les processus de notre corps sont basés sur ce cycle, lorsque ce rythme est brisé par un manque de sommeil, cela perturbe l’ensemble du système immunitaire, qui se dérègle et est moins résistant aux attaques, car les cellules sont moins actives pour nous protéger", souligne Gérard Eberl.

Et en effet, l’Inserm rappelle que nombre de cellules immunitaires "comme les leucocytes ou les lymphocytes NK seraient altérés par la privation de sommeil".

Il y a donc plus de risques de développer des "maladies inflammatoires, neurodégénératives, des infections, des allergie ou encore des maladies auto-immunes", précise l’expert. En effet, une étude publiée dans la revue Communications Biology le 18 novembre 2022, démontrait que la privation de sommeil était associée à des "altérations des paramètres immunitaires innés et adaptatifs, conduisant à un état inflammatoire chronique et à un risque accru de pathologies infectieuses/inflammatoires, notamment de maladies cardiométaboliques, néoplasiques, auto-immunes et neurodégénératives".

Une production de cortisol boostée et une réponse immunitaire bloquée

Une autre hormone rentre alors en jeu : le cortisol. Cette dernière est anti-inflammatoire, mais est aussi l’hormone du stress et de l’énergie. Elle régule notamment la pression artérielle et peut avoir une incidence sur l’humeur, en fonction de son taux dans l’organisme.

"Quand on se sent stressé, le corps produit beaucoup de cortisol et bloque la réponse immunitaire, on a donc plus de chances de tomber malade", explique l’immunologiste. Il poursuit : "Si l'on dort mal, on a tendance à être davantage stressé.e, donc à mobiliser plus d’énergie et ainsi augmenter ses risques de succomber à une infection".

L’organisme fonctionne selon des mécanismes circulaires : tous les éléments qui le composent sont interdépendants "et c’est valable pour le système immunitaire, si on dort mal, celui-ci est perturbé et si le système immunitaire est perturbé, on est susceptible de moins bien dormir", conclut-il.

Mais cela va de même pour l’alimentation, l’environnement, l’état mental, le microbiote ou encore les microbes, car "tout peut avoir une incidence sur le système immunitaire".

La privation de sommeil peut entraîner une moins bonne réponse vaccinale

Enfin, la réponse vaccinale pourrait également être affaiblie par un sommeil de mauvaise qualité.

Le vaccin est le propre de l’immunité : il se base sur la capacité du système immunitaire à mémoriser un ennemi (immunité adaptative) pour réagir promptement. Si l’on part du principe que le manque de sommeil résulte bien en une perturbation du système immunitaire, il est possible d’envisager qu’une privation de sommeil diminue la réponse immunitaire à une vaccination antivirale.

C’est justement ce qu’on tenté de vérifier des chercheurs dans une étude publiée le 13 mars 2023 dans Current Biology. Leurs résultats suggèrent qu’un "sommeil suffisant pendant les jours entourant la vaccination peut améliorer et prolonger la réponse humorale".

Pour Gérard Eberl, il s’agit d’une hypothèse tout à fait probable : "le manque de sommeil engendrant du stress, le cortisol peut s’activer, bloquer la réponse immunitaire et altérer l’efficacité du vaccin", rappelle-t-il. 

En règle générale, les organismes et agences de santé publique recommandent – a minima – des nuits d’une durée de six heures. Pour l’immunologiste, "il faut au corps des nuits entre six et huit heures". Mais il précise qu’il faut s’écouter avant tout, le cerveau étant en mesure d’évaluer l’état physique et de déterminer si le corps va bien ou non. Et en cas de troubles du sommeil, consulter un spécialiste est recommandé.