Figure bien connue de la télévision et de la radio française, la sportive-animatrice Nathalie Simon a les mains recouvertes de vitiligo depuis 25 ans, une pathologie caractérisée par l'apparition de taches blanches sur la peau qui surviennent le plus souvent par poussées.
L’année dernière, elle se confiait sans tabou à France 3 Provence-Alpes-Côte d'Azur sur le regard pesant des autres : "Les gens vous regardent, vous demandent ce que c'est, si c'est contagieux... C'est socialement compliqué ! Et quand on fait de la télé, évidemment le regard des autres est très important. On se maquille pour paraître sans défaut". Et d’ajouter : "Il y a quelque temps ma fille m'a dit : 'Moi je trouve ça beau ! Ça change tous les jours, c'est poétique'. Aujourd'hui, les jeunes n'hésitent plus à afficher leur différence. J'ai donc décidé cette année, tout en continuant à le traiter, d'apprivoiser, d'aimer mon vitiligo... et surtout d'aider les gens qui en souffrent à retrouver de l'optimisme !"
C’est vrai, la jeune génération évolue aujourd’hui dans une société qui se veut de plus en plus inclusive. La "skin positivy" fait du chemin et de nombreux influenceurs et influenceuses osent s'afficher au naturel sur les réseaux sociaux, dans le but de normaliser les problèmes de peau.
On se souvient notamment du coming-out cutané de Marie Lopez, alias EnjoyPhoenix, qui en 2020 consacrait une vidéo YouTube à son "combat contre l’acné". Celle-ci avait été précédée d’un post Instagram aussi touchant qu’alarmant sur les impacts psychologiques du "skin shaming". "Ça fait maintenant plus de 5 ans que je souffre d’acné hormonale [...] Ça me bouffe d’entendre que je devrais apprendre à me laver le visage. [...] Ça me bouffe d’entendre que je suis un pot de peinture parce que je suis dégueulasse en dessous. [...] Ça me bouffe de voir les gens me dévisager dans la rue quand je ne suis pas maquillée. L’acné n’est pas un choix. [...] Personne ne se rend compte de ce que ça fait de ne plus vouloir croiser son visage dans le miroir".
Des souffrances pas toujours entendues et correctement prises en charge
Si la jeune femme a trouvé le courage de s’assumer sans filtre et de parler ouvertement du mal-être lié à sa maladie de peau, tout le monde n’est pas prêt.e à se livrer au même exercice, malheureusement susceptible de déclencher des commentaires négatifs voire blessants.
Une récente étude sur "Les Français face aux maladies de peau et l’eczéma" révèle que près de la moitié des femmes (45 %), et jusqu’à 80 % des personnes souffrant de dermatite atopique sévère, ont déjà refusé de poster des photos sur les réseaux sociaux en raison du regard négatif sur leur peau.
Autres chiffres peu réconfortants : près d'un.e Français.es souffrant d'eczéma sur deux (47 %) déplore avoir été victime de moqueries au cours de sa scolarité, et davantage encore (49 % du panel atteint d'eczéma sévère) indiquent avoir subi des "remarques désobligeantes" dans le cadre de leur travail. Des situations non sans conséquences sur la confiance et l’estime de soi qui ne trouvent pas toujours écho chez les professionnel.les de santé.
En effet, quand le rendez-vous chez le dermatologue est enfin obtenu (précisons qu’une personne sur deux renonce à faire soigner sa peau à cause des délais d'attente chez les dermatologues), les patient.es ne reçoivent pas forcément l’oreille attentive dont ils ont besoin. La British Skin Foundation (BSF) révèle que 9 dermatologues sur 10 reconnaissent que les problèmes de santé mentale liés aux maladies de peau ne sont pas suffisamment considérés.
Un fardeau émotionnel qui vient alourdir le parcours du combattant subi par les patient.es qui mettent parfois du temps à obtenir le bon diagnostic et le bon traitement, certaines maladies de peau restant encore méconnues. Pour la Société Française de Dermatologie, le sociologue Stéphane Héas analyse : "lutter contre l’errance médicale, voilà une gageure de taille. Un patient qui ne sait plus à quel saint se vouer, c’est d’abord un patient qui souffre, mais aussi un patient qui multiplie les rendez-vous médicaux tous azimuts, perd son temps, son argent, s’égare, se désespère. Il est victime en quelque sorte d’une double peine".
"J’avais clairement envie d’en finir"
Une peine qu’il est urgent de considérer, tant le désarroi psychologique qu’elle entraîne peut être profond.
En août 2020, Faustine Bollaert aux manettes de "Ça commence aujourd'hui" sur France 2 consacrait justement une émission aux maladies de peau et à leurs conséquences psychologiques. Parmi les invités, Mandy, 28 ans, livrait un témoignage bouleversant sur son acné conglobata (la forme la plus sévère d'acné), couplée à une maladie de Verneuil en stade 2 (une pathologie caractérisée par des nodules douloureux et des abcès assez profonds sous la peau).
"Je suis restée quatre mois enfermée sans sortir, à pas dormir la nuit ou alors deux heures, trois heures par nuit, parce que c’est localisé partout et qu’on ne peut trouver aucune position pour dormir. C’est vraiment douloureux et pas facile à vivre [...] J’avais clairement envie d’en finir, je ne pouvais plus supporter d’être dans ce corps, je voulais être quelqu’un d’autre", racontait la jeune femme sur le plateau. Un profond mal-être que Mandy a petit à petit combattu grâce à un arsenal de techniques - méditation, thérapies conventionnelles, médecines douces… - qui lui ont permis de comprendre qu’elle était autre chose "qu’un bouton ambulant", pour reprendre sa propre expression.
Même sous des formes moins sévères, les maladies de peau peuvent être une importante source de souffrances et de repli sur soi. Leur particularité, par rapport à d’autres maladies ? Le fait qu’elles soient visibles.
"La peau est la première chose que l’on montre au monde, explique Alexandra Lecart, psychologue clinicienne et fondatrice du Centre de thérapies intégratives et nouvelles technologies (CTINT). À l'époque préhistorique, la peau montre une apparence qui est saine ou malade, viable pour se reproduire ou non. Aujourd’hui, ce n'est évidemment plus la même chose, mais toujours est-il que l’on évolue dans une société où l’apparence prend beaucoup de place. Quelqu’un qui a des problèmes de peau a tendance à avoir honte de son apparence et à vouloir la cacher, soit par des produits, du maquillage, des textiles qui recouvrent… dans le but de paraître plus beau, plus présentable et in fine plus acceptable aux yeux de la société".
Dans un article paru sur Refinery29, l’influenceuse Lex Gillies regrette que l’impact psychologique de sa rosacée soit si souvent minimisé par des formules légères comme "c'est mignon de rougir", "au moins, tu n'auras jamais besoin d'acheter du fard à joues", ou encore, "ce n'est pas vraiment une maladie de peau grave, n'est-ce pas ?". Elle insiste sur la réalité des faits : "dans le pire des cas, ma peau brûle, démange, enfle et palpite. Elle m'empêche de dormir et me distrait dans mon travail. Et ce, avant de considérer les aspects psychologiques : les rencards annulés, le fait d'éviter de prendre la parole à l'université et au travail, les heures passées devant le miroir à pleurer et à se sentir désespérée. Aujourd'hui, je vois un thérapeute pour travailler sur ces années de perte de confiance en moi".
L'importance d’un accompagnement psychologique régulier
Face à la détresse, l’accompagnement psychologique paraît essentiel pour contrer les pensées négatives et la baisse d’estime de soi. D’autant plus quand les patient.es se sentent pris dans un cercle vicieux puisqu’il arrive que certaines maladies de peau empirent sous l’effet du stress, comme l'eczéma atopique dont les poussées peuvent être déclenchées ou aggravées en cas d’anxiété.
Une sorte de serpent qui se mord la queue, qu’étudie notamment la psychodermatologie, discipline spécialiste des liens peau/cerveau. Reste un détail, et non des moindres : les séances chez le psychologue ne sont pas toujours prises en charge par la Sécurité sociale et tout le monde n’a pas la possibilité de pouvoir assumer la situation financièrement.
Dans certains cas plus particuliers, le suivi psy est plus que conseillé, pour ne pas dire indispensable. Comme avec la dermatillomanie (ou acné excoriée), un trouble psychologique de l’ordre du toc qui se caractérise par le triturage et/ou le grattage répété, compulsif et obsessionnel de la peau et des imperfections (points noirs, points blancs, boutons, croûtes, cicatrices…). "Quand la crise est intense, elle peut aboutir sur des plaies ouvertes, que la personne essaie de cacher ensuite avec des crèmes, du maquillage… ce qui recrée souvent des lésions derrière et empêche la bonne cicatrisation. Il est fréquent qu’une personne atteinte de dermatillomanie s’isole, rate des cours, se mette en arrêt de travail, n’aille plus au sport… qu’elle finisse par fuir toute interaction et exposition sociale par honte, détaille la psychologue Alexandra Lecart, experte du sujet.
Et d’ajouter : "en plus d’avoir honte de son apparence, comme cela peut arriver en cas d’acné ou avec une autre maladie de peau, il y a en plus la sensation de culpabilité, de colère voire de dégoût de soi car la personne se sent responsable de se créer elle-même les lésions. Contrairement à un burn-out, un toc du rangement, un trouble alimentaire... C’est un trouble qui se voit, qui colle clairement à la peau, avec un impact psychologique d’autant plus intense".
Le travail psychologique passe alors par divers biais : sport, alimentation, art thérapeuthique, hypnose, pleine conscience.