Ce texte pourrait nettement changer l'impact environnemental et social du secteur textile en France. La loi anti fast fashion, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 14 mars 2024, sera débattue au Sénat à partir du 2 juin, puis votée huit jours plus tard. Une bonne nouvelle pour les défenseur-euse-s d'une mode responsable ? Pas forcément selon Julia Faure, co-fondatrice de la marque de prêt-à-porter durable Loom, présidente du lobby En mode climat et coprésidente de l'association patronale Mouvement Impact France. Interview.
Que recouvre la loi anti fast fashion ?
Dans sa première version, celle adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, elle comportait deux mesures phares : l’interdiction de faire de la publicité pour les marques d’ultra fast fashion et l’adoption d’un bonus-malus qui s’appuyait sur l’affichage environnemental. Une méthodologie d’une dizaine de critères permettait de pénaliser les marques qui cumulaient un grand nombre de mauvaises pratiques prédéfinies et d’accorder des primes aux plus vertueuses. Avec le texte initial, la loi anti fast fashion mettait un coup d’arrêt à Shein et à Temu, tout en faisant évoluer l'ensemble du secteur du prêt-à-porter.
Comment cette loi a-t-elle évolué en 14 mois ?
Son passage au Sénat a d’abord été retardé par l’instabilité politique française à l’été dernier. Un an après son adoption par l’Assemblée nationale, la loi a été étudiée en commission au Sénat, lequel a le pouvoir de réécrire le texte et d’en proposer un nouveau, avant qu’il ne soit débattu et enfin voté. En l’occurrence, les sénateur-rice-s ont jusqu’au 29 mai pour déposer des amendements. Le débat aura ensuite lieu le 2 juin avant le vote huit jours plus tard.
Lors de sa réécriture, la loi a été complètement détricotée : l’interdiction de publicité est devenue une interdiction de collaborations rémunérées avec les influenceur-euse-s. Quant aux bonus-malus censés être indexés sur l’affichage environnemental, ils sont, dans cette version, indexés sur les "pratiques industrielles et commerciales". L’ennui, c’est qu’il n’est pas précisé à quoi ces "pratiques" correspondent. Autrement dit, tant que ce n’est pas clarifié, la loi est inapplicable et ne touche personne.
Par ailleurs, l’affichage environnemental avait l’avantage d’être multicritère, ce qui permettait d’éviter les stratégies de contournement. On peut tout à fait imaginer qu’avec ces bonus-malus indexés sur les "pratiques industrielles et commerciales", il sera possible d’éviter les sanctions en restant en dessous de seuils minimaux.
C’est-à-dire ?
Par exemple, une marque de mode ultra rapide pourrait être pénalisée si elle lance plus de 1 000 nouvelles références par jour. Il lui suffirait d’en produire 999 pour être dans les clous et éviter la sanction.
Comment expliquez-vous ces changements ?
Sylvie Valente-Le Hir, qui est la rapporteure de la commission anti fast fashion au Sénat, a déclaré que les cibles de sa loi étaient Shein et Temu, mais qu’elle ne voulait pas toucher aux entreprises françaises et européennes comme Kiabi ou Primark. Le résultat, c’est que Shein ne sera pas impacté non plus…
Et puis il faut bien se rendre compte que ne pas vouloir toucher la fast fashion européenne, ce n’est pas servir les intérêts de la France, ce n’est pas protéger l’emploi français. Quand un magasin Primark arrive dans une région, il y a plus d’emplois qui sont détruits que d’emplois qui sont créés. Ce sont 30 000 postes qui ont été supprimés dans le commerce de détail d’habillement entre les années 70 et 2010 alors que la consommation de vêtement n’a fait qu’augmenter. Sans parler de ses conséquences environnementales, la fast fashion détruit l’emploi. Ne pas vouloir la réguler, c’est ne pas vouloir stopper l’hémorragie.
Tel quel, le texte de la loi anti fast fashion ne sert plus les intérêts tricolores.