Décembre 2024, au campus du Paris-Saint-Germain (PSG) à Poissy (Yvelines). Le froid de la fin d'automne semble ne pas ébranler les joueuses de l'équipe féminine, qui s'entraînent sur l'un des seize terrains du complexe flambant neuf.
Dans l'une des salles de sport, Lieke Martens, attaquante néerlandaise phare du club aux 151 sélections, est occupée à soulever des poids. La jeune femme de 32 ans, alors enceinte de sept mois, s'applique dans ses mouvements, légèrement modifiés par son ventre bien arrondi. Plus qu'une dernière journée, et la footballeuse raccrochera les crampons pour quelques mois, le temps de son congé maternité.
Tout sourire, celle qui rayonne nous fait la conversation entre deux exercices qui ne l'essouflent même pas. Pas surprenant quand on sait qu'à six mois de grossesse, la jeune femme courait encore à plus de 20km/h. Car la joueuse n'a pas déserté les terrains après son annonce touchante, en août 2024. "Les dernières semaines ont été un peu différentes pour moi, pour vous aussi, mais pour une bonne raison : je suis enceinte", bredouillait-elle devant ses coéquipières l'été dernier.
Celle qui a longtemps "vécu pour le football" - devenue pro à 17 ans, victorieuse d'une Ligue des champions avec le FC Barcelone, désignée joueuse de l'année par l'UEFA et la FIFA à 29 ans... - s'épanouie depuis 2022 au Paris-Saint-Germain. Un club "famille" où elle s'est sentie particulièrement "soutenue et aimée", à l'heure où de nombreuses autres athlètes doivent encore cacher leur grossesse ou repousser leur projet bébé, par peur de voir leur carrière se terminer.
Un entraînement adapté à la grossesse
Marie Claire : Comment vous sentez-vous, à quelques heures du début de votre congé maternité ?
Lieke Martens : "Je me sens très bien. Mais à sept mois de grossesse (en décembre 2024, ndlr) j'avoue que la pression de la performance est moins forte (rires).
Pourquoi avoir choisi de continuer de pratiquer, qui plus est, avec le reste de l’équipe ?
Je n'étais qu'avec les filles blessées, donc c’était tout de même un peu différent de ce que je connais. J'étais sur le terrain au minimum, pour éviter les contacts avec le ventre et j'ai arrêté les matchs au moment de l'annonce.
Mais c’était primordial pour moi de rester en forme. Je suis habituée à jouer au foot constamment depuis quinze ans. Je ne pouvais pas juste arrêter. Et ça bénéficie aussi à la santé du bébé. Si je restais à la maison sans rien faire, ce ne serait pas mieux.
Je ne pouvais pas juste arrêter.
Finalement, ça n'a pas changé grand-chose, sauf la taille de mon ventre (rires). En plus, quand je suis active, je ne le sens pas du tout, je pense qu’il dort. C’est ce qu’on me dit souvent, il se repose pendant que je me dépense. Par contre, le matin et en soirée, il est tout sauf calme… Je le sens beaucoup !
Est-ce important pour vous de rester proche du groupe ?
Oui, rien n'a changé et c'est très précieux. Même si je ne participe plus aux matchs, j'essaie d'assister à un maximum de rencontres, d'encourager depuis les gradins ! Ce sont des choses primordiales pour moi, car je reste une joueuse professionnelle, je veux continuer à aider, garder la connexion. Et au-delà du sport, c'est ma famille française, on a toutes les mêmes objectifs, on avance ensemble, on se soutient dans tout.
De quelle façon le club du PSG et votre équipe au sens large vous ont-ils accompagnée à l’annonce de votre grossesse ?
Depuis le premier jour, tout le monde me soutient. Ma façon de m’entraîner a été complètement revue, on a vraiment étudié ce que je pouvais faire et ne plus faire. J’ai une confiance aveugle en mon staff. La coopération entre tous ses différents acteurs est vraiment très bonne.
Ne redoutiez-vous pas de parler de votre souhait de fonder une famille avec eux ?
Ce serait mentir que de dire que je n’ai pas appréhendé ce moment. On ne sait pas comment l’annoncer. Mais quand j’ai commencé à en parler avec quelques membres du staff, j’ai tout de suite été soulagée. Je n’avais que des sourires en réponse. Ça a transformé la peur. Surtout que je savais que je pouvais faire les deux : être enceinte et être en forme, en bonne santé, pour revenir sur le terrain après la naissance et toujours exceller au football.
Conjuguer avec les conseils non-sollicités
D'ailleurs, certain.es vous ont aidé à partager la nouvelle avec vos coéquipières. Racontez-nous ce joli moment.
Je suis encore très émue en y repensant. Je suis si heureuse d'avoir pu capturer le moment en vidéo, je la regarde très souvent d'ailleurs. Les réactions des membres de l'équipe sont si touchantes. Ça restera une annonce gravée dans ma mémoire, très spéciale pour mon mari et moi.
Quand mon fils sera en âge, je pourrai même lui montrer tout cet amour, à quel point tout le monde a été heureux pour nous.
Quand mon fils sera en âge, je pourrai même lui montrer tout cet amour, à quel point tout le monde a été heureux pour nous.
Pourquoi avoir décidé de l'annoncer collectivement (et en français) ?
Parce que je suis restée quelques semaines dans le secret et j'avais hâte de pouvoir le dire aux filles. J'ai d'abord mis au courant directeur, coachs et médecins. Je voulais être honnête. Mais pour le reste de l'équipe, il a fallu attendre les vérifications médicales, la 'règle' des trois mois... À ce moment-là, je continuais à m'entraîner 'normalement', mais je faisais déjà attention. Dès que j'ai eu le feu vert, je me suis empressée de partager la nouvelle.
C'est clairement ma deuxième famille, alors c'était normal d'essayer de le faire dans la langue du pays qui m'a accueillie. L'émotion m'a envahie, j'étais très sensible, donc mon français n'était pas le meilleur (rires). J'ai vite rebasculé en anglais ensuite, pour expliquer toutes les choses que je ressentais.
Cette vidéo a été diffusée sur les réseaux sociaux du club, ne craigniez-vous pas d'en parler publiquement ?
Pas vraiment, parce que c'est une annonce heureuse et aussi parce que je voulais montrer que c'est possible de faire partie d'un club de haut niveau et d'avoir une famille. D'ailleurs, le PSG m'a beaucoup soutenue sur cette idée. On a continué à faire quelques vidéos pendant ma grossesse, pour montrer tout ce qu'on pouvait encore faire, que ce n'est pas une fin de carrière que de tomber enceinte.
Si vous avez été largement félicitée et encouragée sur les réseaux sociaux, quid des "conseils" non-sollicités ou autres remarques critiquant votre choix de rester active pendant votre grossesse ?
Pour être honnête, je ne regarde pas ces réactions. Certaines personnes pensent qu'elles savent mieux que le reste du monde... Elles se pensent coaches, médecins... Moi, je ne prends en compte que les avis et conseils des personnes qui m'entourent et veulent mon bien, en France et aux Pays-Bas.
Évidemment que j'ai consulté avant de décider de continuer à courir, tirer dans le ballon, souveler des poids... Je ne l'aurais pas fait si ça avait été dangereux pour mon bébé. Tout est très contrôlé.
Montrer l'exemple
On le sait, la maternité a longtemps été vue comme un frein à la carrière des sportives de haut niveau. Plusieurs athlètes ont d'ailleurs été lâchées par des sponsors après leur annonce de grossesse, comme ce fut le cas pour Allyson Félix. D'autres ont dû cacher qu'elles étaient enceintes, cette crainte en tête... Espérez-vous faire bouger les lignes dans le football professionnel, là où les exemples sont encore rares ?
Oui, bien sûr. La maternité, ça paraît toujours compliqué. Déjà, parce qu'on nous parle très tôt de 'l'horloge biologique', qu'on a toujours cette peur, quand on veut avoir un enfant, d'arriver trop tard. Parce que la carrière s'érige comme la chose la plus importante parfois. Ça a été mon cas : le football a été tout pour moi pendant très longtemps.
Pourquoi faudrait-il que je choisisse entre mes différents rêves ?
Mais pourquoi faudrait-il que je choisisse entre mes différents rêves ? Je veux montrer qu'on peut être une mère et une joueuse professionnelle. C'est jouissif de briser des barrières et de se dire que je pourrai servir d'exemple dans le futur, il faut que les gens, que les femmes, voient que c'est possible et pas que dans le sport à haut niveau ! Au travail, on peut se dire qu’on attend d’être promue pour commencer à fonder sa famille… Alors qu’on devrait encourager les femmes, leur dire que bien-sûr, elles peuvent faire les deux.
Je sais que j’aurais regretté de ne pas avoir été mère, si j’avais trop longtemps attendu pour préserver mon travail. Alors que vouloir un enfant, être mère, c’est quelque chose de très beau. On ne doit pas forcément sacrifier quelque chose pour l’être.
Je suis fière d'être enceinte et d’être une joueuse professionnelle. Je ne suis pas l’une ou l’autre, je suis les deux.
Appréhendez-vous tout de même le retour sur le terrain, après votre congé maternité ?
Non, pas du tout. Les gens pensent que tu es finie quand tu tombes enceinte, mais loin de là. Évidemment, je vais devoir me remettre à niveau, prendre soin de mon corps. Je le sais, le club le sait.
Je compte encore jouer au foot pendant quelques années. Je vais travailler dur, mais comme je le fais depuis quinze ans. Et puis, c'est une question pour un peu plus tard, avant, je veux me concentrer sur mon bébé et... me reposer un peu.
Justement, après une grossesse hyperactive, qu’avez-vous prévu de faire pendant votre congé maternité ?
Je pense que je vais continuer à toujours bouger, mais moins, beaucoup moins (rires). Je vais rentrer aux Pays-Bas, pour être proche de ma famille et de mes amis.
Mais avec mon mari, on pense déjà à l'après. On planifie presque quand on va pouvoir venir présenter notre fils aux filles de l’équipe, avant que la saison ne se termine. J'ai hâte qu'il rencontre cette seconde famille qui n'a fait que de me soutenir. Ce bébé va avoir beaucoup de tatas, ça, c'est sûr !".