Dans Les Aventures de la foufoune, son essai très personnel récemment paru aux éditions du Seuil, Léonora Miano explore et célèbre le plaisir sexuel des femmes. Elle poursuit dans cette veine avec la chronique Sexe qu’elle signe dans Marie Claire, magazine cher à son cœur. Confidences.
Marie Claire : Quel est votre premier souvenir de Marie Claire ?
Léonora Miano : C’est le témoignage d’une lectrice qui racontait son agression sexuelle. Un viol vécu dans l’enfance de la part d’un proche, pas son père. Elle avait environ 6 ans, et l’homme avait utilisé un couteau parce qu’il n’arrivait pas à la pénétrer – ce détail m’avait tétanisée. J’avais une dizaine d’années quand je l’ai lu. Le magazine appartenait à ma mère, je le lui avais piqué dans notre maison de Douala au Cameroun. Ma mère lisait à l’époque plusieurs magazines féminins, mais Marie Claire était le seul français, et il a participé à mon éducation.
Elle lisait aussi Actuel -j’aimais ce titre transgressif. Ce témoignage terrifiant m’avait beaucoup touchée, car à l’époque, j’avais moi-même déjà été violée. Mais pas comme ça, pas avec une arme. Je m’étais dit : je ne suis pas très heureuse avec ce que j’ai vécu, mais je ne suis pas seule, et il y a vraiment pire. C’est la première fois que je comprenais que d’autres petites filles vivaient ce drame. À partir de ce moment-là, j’ai souvent regardé et lu Marie Claire.
Qu’est-ce que vous aimiez y lire ?
Je lisais cette rubrique, "Moi lectrice", et aussi les reportages qui me faisaient voyager dans d’autres régions du monde. J’y découvrais des vécus féminins, des pratiques culturelles diverses. Je me souviens d’un article sur les Chinoises aux pieds bandés, une mutilation dont j’ignorais l’existence. J’avais été intriguée et épouvantée par le fait que certains hommes chinois trouvaient érotique l’odeur des pieds brisés, l’odeur d’un organe presque en train de mourir sur le corps d’une femme en vie.
Comment oublier une telle image ? Je me souviens aussi des photos des petits pieds de ces très jolies femmes… C’était très marquant.
Vous signez une chronique Sexe dans nos pages, après avoir écrit Les aventures de la foufoune (éditions du Seuil, 2024), récit d’apprentissage d’une riche vie sexuelle, nourrie de violence et de plaisir…
J’ai mis du temps à accepter d’être une fille ; je le suis vraiment devenue à 40 ans. J’étais très androgyne dans ma tête jusque cet âge relativement avancé. Et puis soudain, dans mon roman La Saison de l’ombre (éditions Grasset, 2013), j’ai créé un personnage de femme en la projetant comme mon héroïne, celle qui quitte son village pour chercher sa vérité. Jusque-là, je n’avais créé que des doubles masculins. "Something came over me", comme on dit en anglais : quelque chose s’est révélé à moi. Je n’avais plus mal, j’avais fini ma traversée des ténèbres.
Je n’avais plus besoin de refuser la part de moi qui avait pu être une proie. Ma grande chance, je crois, c’est d’être née sensuelle et d’avoir découvert ma sensualité avant qu’on cherche à me salir. Cette trace est restée en moi. Je savais qu’il y avait quelque chose de réjouissant dans la sexualité. J’avais eu cette forte intuition du plaisir, donc j’ai combattu ma douleur en le recherchant. J’ai connu des garçons qui m’ont réconciliée avec mon corps de fille. Et j’ai su que la sexualité n’était pas seulement la violence, mais un terrain de jeu et d’épanouissement extraordinaire.
En quoi seriez-vous une femme Marie Claire ?
Mon intuition d’aujourd’hui me dit que c’est une femme aux engagements forts, qui s’intéresse à la société, qui n’a pas de complexes. Je la vois vieillir sainement, désirante et s’amusant longtemps. Marie Claire m’a toujours donné l’impression d’une féminité aboutie dans le sens mature - sachant ce qu’elle est, connaissant son pouvoir, sa capacité à exercer une autorité. Je vois dans ce magazine des femmes adultes, consciences d’elles-mêmes. Pas des femmes cherchant à rester des adolescentes. Des femmes riches de leur parcours et de leurs acquis dans tous les domaines.