Ils viennent tout juste d'accéder à la majorité, ne pensaient pas devoir aller aux urnes avant un moment, et se sont retrouvés appelés à se rendre dans les isoloirs pour ces Législatives anticipées.

Leurs votes sont très convoités. Selon les chiffres de Elabe pour BFMTV, RMC et La Tribune Dimanche, les jeunes [18-34 ans, ndlr] ont joué un rôle important dans les résultats des dernières élections Européennes. 53 % d'entre eux se sont abstenus, tandis que 32 % ont donné leur voix à Jordan Bardella, président du Rassemblement national et 20 % à la liste insoumise menée par Manon Aubry.

À quelques heures du premier tour de ces élections législatives convoquées de manières anticipées par le Président de la République après le résultat des Européennes, nous avons rencontré cinq jeunes*, de bords politiques divergents, pour sonder leurs préoccupations.

"J’ai bien pensé qu'Emmanuel Macron allait dissoudre l’Assemblée nationale, on en a parlé avec mes parents, mais je pensais que ce serait plutôt après les JO." À 18 ans, Clémence est en première année de droit à Nantes. Politisée, élevée par des parents engagés à gauche, la jeune femme a voté Guillaume Lacroix, président du Parti radical de gauche (PRG) à la tête d’ "Europe Territoires Écologie" aux élections Européennes.

Donner sa voix

Pour ces élections législatives, elle a "tout lu" des programmes et s’inquiète d’une montée de l’extrême droite dans le pays. 

Si "la montée des extrêmes qui n'est pas bonne pour le pays" et le résultat final la tracassent, Clémence porte un intérêt particulier aux candidatures de sa circonscription. Et le représentant du Nouveau Front Populaire (NFP, la coalition des gauches) ne l’inspire guère, voire la rebute. "J’ai du mal avec mon député, il n’est jamais à l’Assemblée, et sa profession de foi, on dirait un truc de délégué de classe. Je le trouve incompétent." 

"Dans mon entourage, j'ai vu des gens pencher pour l’extrême droite juste parce qu’ils ont vu en Jordan Bardella un jeune mec élégant." Enzo, 18 ans 


Alors Clémence hésite à voter à droite ou à ne pas voter du tout, en sachant que ledit député de gauche sera de toute façon très probablement réélu. "
Je me déciderai devant l’urne mais ça m’écorcherait de voter pour le parti de Macron", nous confiait-elle juste avant le premier tour.

Baptiste, 18 ans, qui se constate davantage politisé que ses parents, déclare lui d’emblée qu’il votera NFP, après un vote Europe écologie les verts (EELV) aux Européennes. Le jeune homme a déjà tracté pour les précédentes législatives alors qu’il était mineur et espère que "ni Macron ni le RN" n’obtiendront la majorité. "La dissolution était complètement insensée. C’était quoi l’objectif ? Donner le pouvoir au RN pour montrer qu’ils sont incapables ? Trop risqué !", déplore-t-il. "Cette campagne, on dirait une téléréalité, la France se ridiculise !", plussoie Élise, 19 ans. 

Des jeunes frappés par la politico-anxiété

En attendant une issue incertaine donc, Baptiste lit beaucoup, s’informe auprès du média dédié à l'environnement Bon PoteBlast ou Alternatives économiques, mais aussi "des journaux plus à droite". 

Le programme économique du NFP, "validé par de nombreux économistes, dont une prix Nobel", le rassure. Comme les intentions de vote dans sa circonscription. L’angoisse du jeune homme se tapit ailleurs, dans le risque de voir l’écologie totalement oubliée si jamais l’extrême droite arrivait à la tête du pays.

"Le NFP, il n’y a qu’eux qui parlent vraiment d’écologie. Le bilan du gouvernement est catastrophique sur ce sujet. Quant à l’extrême droite, elle parle carrément 'd’écologie punitive' !", s'inquiète-t-il.

De son côté, Clémence, l’étudiante en droit qui se décidera au dernier moment, appréhende une possible cohabitation, qui pourrait être "horrible" avec le parti de Marine Le Pen. "La perspective de l’extrême droite me terrifie. On ne peut pas faire ça, ce n'est pas possible. Cette histoire de cibler les binationaux, la dernière fois, c'était sous le régime de Vichy. J’ai peur pour tous les gens qui vont être visés."

Voter sans faire barrage

Les préoccupations de chacun et chacune sont différentes, selon sa sensibilité, son parcours ou ses ambitions futures. Élise, 19 ans, envisage un métier "dans la sécurité". La situation actuelle, avec une majorité Renaissance, lui convenait bien, elle qui s’est vue de plus en plus en accord avec Emmanuel Macron à mesure qu’il "virait à droite".

Si l’extrême droite n’est pas une option pour elle, les positions sur la police de La France Insoumise l’agacent et la bloquent.

"Je ne me vois pas voter pour eux, car pour moi les questions de sécurité sont trop importantes. Je sais aussi que LFI n’est pas considéré comme un extrême [le Conseil d’État l'a qualifiée de formation de gauche et le RN de formation d’extrême droite, dans une circulaire relative aux élections sénatoriales du 16 août 2023, ndlr]mais on me l’a tellement répété que je continue à le penser…"

Aux élections Européennes, la liste des Républicains n’a cependant pas eu sa voix non plus, échaudée par le discours de François-Xavier Bellamy sur la condition animale, un enjeu important pour elle.

Alors la jeune femme, qui se dit plutôt "centre-droit", pense voter blanc au second tour si un duel RN-NFP se profilait dans sa circonscription.

Le devoir de s'engager à l'aube de sa majorité

Des hésitations ? Lisa, 19 ans, et Enzo, 18 ans, n’en ont aucune. Elle, a voté Manon Aubry aux Européennes et voit dans le Nouveau Front Populaire "un peu d’espoir". Alors, elle s’est mise à sensibiliser autour d’elle, famille et amis, sur les réseaux sociaux, partout où elle peut.

"Je partage beaucoup, notamment sur les conséquences si le RN accède au pouvoir. Je veux que ce pays conserve sa diversité. Les mesures d’extrême droite mettront la France et beaucoup de gens dans une situation délicate", s'inquiète-t-elle.

Enzo, lui, a fêté ses 18 ans juste après les élections Européennes et votera donc aux Législatives des 30 juin et 7 juillet 2024, pour la première fois. Il ne s’attendait pas à devoir voter si tôt, au milieu du chaos. "J’ai l’impression que tout a basculé. Dans mon entourage, j'ai vu des gens pencher pour l’extrême droite juste parce qu’ils ont vu en Jordan Bardella un jeune mec élégant."

S’il rejoint Élise sur les questions de condition animale, Enzo est à l’opposé sur le sujet de la police, pour laquelle il souhaite une véritable remise en question de son armement. Si ses parents sont "de gauche sympa genre LFI-PS", lui s’estime plus "extrême".

Pour autant, comme Lisa, le jeune homme a lu le programme du NFP et s’y retrouve. "Sur les droits humains, l’écologie, l’accueil des immigrés, le NFP correspond à mes idées", résume Lisa.

Dimanche 30 juin, au fil de la soirée, plusieurs décryptages du vote des Françaises et Français sont apparus à l'écran. Les 18-24 ans ont voté à 48% pour le NFP, à 33% pour le RN et ses alliés, et à 9% pour la majorité présidentielle Ensemble, tout comme Les Républicains, selon une enquête Ipsos-Talan pour France Télévisions et Public Sénat. Des résultats qui diffèrent de ceux obtenus à l'échelle globale. Un même duo de tête, mais un premier et un second inversés.

*Certains prénoms ont été changés.

**Aucun sympathisant du RN primo-votant contacté n'a souhaité nous répondre.