La perte d'odorat n'est pas la seule atteinte des sens liée à la pandémie. Les gestes barrières nous ont aussi pri-vé·es du toucher et ce n'est pas sans conséquences.

On parle même du phénomène de "skin hunger" ou "faim de peau". "Ce sont les mêmes zones du cerveau qui sont activées lorsque l'on fait un jeûne alimentaire et lorsque l'on est privé de contact physique", explique la Dre Fanny Jacq, psychiatre et directrice santé mentale de Qare (spécialiste de la téléconsultation médicale).

Ce manque nous marque parce que le toucher est un besoin fondamental, il est essentiel à notre survie. "On peut vivre sans la vue, sans l'odorat, sans l'ouïe, sans le goût mais pas sans le toucher. Il nous permet notamment de marcher et de ressentir les signaux d'alerte de notre corps. À la naissance, c'est le seul sens qui fonctionne à 100 % et le contact physique participe au développement du cerveau", rappelle la psychiatre.

Une fois adulte, on est loin de pouvoir s'en passer. "Le toucher stimule la production d'ocytocine, une hormone dite “de l'attachement”. Elle calme le stress, augmente le bien-être et a même des effets pour renforcer l'immunité", poursuit la spécialiste. Ce n'est pas un hasard si l'Indienne Amma, star de la câlinothérapie, rencontre un immense succès partout sur la planète alors que le monde virtuel nous expose de façon grandissante au manque d'interactions tactiles.

"L'absence de contacts physiques, de sensorialité affective, peut contribuer au développement de symptômes psychiques, d'angoisse, de sensation de solitude exacerbée", constate la Dre Fanny Jacq. Et ce ne sont pas les 'likes' des réseaux qui peuvent les remplacer. Non seulement ils ne provoquent pas de libération d'ocytocine mais ils stimulent dans le cerveau la zone de l'addiction.

Plutôt que de scroller sur son smartphone en quête de satisfactions virtuelles, pour se faire du bien, on prend son entourage dans les bras dès qu'on le peut et on file se faire masser.

Une soif de massages corps et visages

Instinctivement, beaucoup ont, cette année passée, ressenti le besoin de pousser la porte des experts du massage. Anne Cali, kinésithérapeute et spécialiste du modelage corps drainant, a même dû, sous la pression de ses clientes, rallonger la phase de massage relaxant de son protocole (passé de 15 à 30 min) : "Tout le monde cherche la détente et, pour certains qui ont essayé la méditation sans succès, par exemple, le massage est le seul moyen d'y accéder. En agissant sur le système parasympathique, il provoque le ralentissement des fonctions de l'organisme, comme la respiration, les battements du cœur, ce qui permet, malgré soi, sans y mettre aucune volonté, d'accéder à un vrai lâcher-prise."

Les manipulations du corps n'ont pas l'apanage de ces bienfaits, un massage du visage parfaitement exécuté permet aussi d'y accéder. D'ailleurs, les facialistes comme Sylvie Lefranc, Delphine Langlois, Aline Faucheur et sa fille Othilie ou encore Sophie Carbonari ont vu, ces derniers mois, leurs carnets de rendez-vous se remplir à grande vitesse.

"De 25 ans à 75 ans, les femmes comme les hommes qui viennent me voir me parlent du bien-être qu'ils ressentent et c'est très nouveau. Avant la pandémie, il n'était question que de résultat esthétique sur leur visage. Le retour à une certaine “vie normale” a été beaucoup plus violent qu'attendu et on a tous un réel besoin de réconfort", raconte Sophie Carbonari.

De nouveaux instituts, axés sur la technicité des modelages voient aussi le jour, comme à Paris Facekult et Oh My Cream, tandis que pour celles qui recherchent à alterner protocoles visage et corps, des espaces "holistiques" ouvrent leurs portes. À Paris, ce sont par exemple le loft Holidermie et la Maison Alaena.

Des gestes maîtrisés

Aussi séduisants qu'ils soient, les lieux dédiés au massage n'ont de valeur ajoutée qu'avec des protocoles et des thérapeutes d'excellence.

"Les femmes savent faire des gestes un peu techniques grâce aux tutos. Elles ont aussi accès à des outils et des appareils, pour le visage comme pour le corps. Si en tant que professionnel, on n'offre pas autre chose, ça ne sert à rien. L'esthétique de base est en train de mourir", estime Sophie Carbonari.

Pour que le massage, quel qu'il soit, apporte du résultat à la fois sur la qualité de peau et sur le bien-être, la technicité de la gestuelle est essentielle, tout comme la façon de la reproduire. Par le toucher, les spécialistes accèdent aux méridiens, aux fascias, aux muscles, aux circuits sanguins et lymphatiques. Les connaissances anatomiques et les longues heures de pratiques sont essentielles.

"Cela prend des années pour sortir des gestes mécaniques, sentir la peau, les muscles, adapter ses mouvements et la pression à ce que l'on ressent sous nos doigts", explique Sophie Carbonari.

Et c'est là toute la différence entre exécuter mécaniquement un protocole et mettre un total investissement dans ses mains. Seule manière de vraiment nous toucher.