Tenues de sport, bouteilles d'eau, gestes saccadés. Les vidéos – d'une qualité douteuse – les montrent en train d'enchaîner les crunchs et de travailler leurs obliques. Sauf qu'au lieu d'entamer leur ren­forcement musculaire sur le sol râpé d'une salle de sport, sous les cris hystériques d'un coach, elles sont allongées sur leur lit.

Ces derniers temps, ce type de vidéos a envahi les publications ciblées sur les réseaux sociaux, sur lesquels les applications de "lazy workout" font aujourd'hui leur publicité. Des routines sportives pour flemmardes avec une promesse : un minimum d'efforts pour un maxi­mum de résultats.

L'idée, c'est de se tailler un corps de mannequin Victoria's Secret depuis son matelas 140 x 200, ce rectangle moelleux dans lequel les Occidentaux font de plus en plus de choses, sinon dormir (moins de sept heures par nuit selon le baromètre Santé publique France) et qui semble désormais au centre des obsessions de l'époque.

Une version 2.0 des entraînements à faible impact

En réalité, ce pendant wellness des soirées Netflix n'est qu'une version remâchée du "low impact workout", une discipline créée dans les années 60 par un ancien médecin de l'armée américaine pour permettre au plus grand nombre de se maintenir en forme sans traumatiser les articulations ou les muscles.

Aujourd'hui popula­risées par des fitness influenceuses comme Vicky Justiz et ses 2 millions de followers sur Instagram, ces routines courtes (10 à 15 minutes contre les traditionnelles 45 minutes en salle) intègrent des mouvements réalisés la plupart du temps sur le dos ou sur le côté, ciblant les fesses, les jambes ou le ventre.

De quoi attirer des cohortes de réfrac­taires au sport, qui se retrouvent à faire des levers de jambe depuis leur canapé tout en regardant une série. De quoi, aussi, faire bondir les spécia­listes du secteur.

Une pratique inefficace ? 

"Ces pratiques n'ont pas vraiment d'intérêt, si ce n'est pour un public très âgé ou en réé­ducation", tranche Hachim Kouloubaly, coach spor­tif. Malheureusement, le monde du sport est devenu un domaine dans lequel on consomme des concepts. Travailler allongé, c'est se priver de toute dépense cardiovasculaire, ne pas activer son métabolisme. Ce n'est pas du sport santé. Et même en termes de résul­tats visibles, ce sera forcément insuffisant".

Insuffisant, mais mieux que rien, répondent cer­tains épidémiologistes, qui ne cessent de revoir à la baisse le temps et l'implication minimum néces­saires pour que l'activité ait de réels bénéfices sur le corps.

En pleine pandémie de sédentarité, qua­lifiée de "bombe à retardement sanitaire" par certains experts, alors que 95% de la population adulte française manquerait d'activité physique, selon l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), bouger, ne serait-­ce qu'un petit peu, serait toujours mieux que pas du tout.

"Des études mon­trent aujourd'hui que même de toutes petites périodes d'activité physique peuvent être bonnes pour la santé, explique Silvio Maltagliati, chercheur à l'univer­sité de Californie du Sud. On parle de 'snacking', comme des petits goûters d'activité. On sait combien il est difficile de promouvoir de nos jours une pratique physique sur le long terme et qui demande un réel effort, donc on vante d'autres approches qui allient l'utile à l'agréable".

Une mode qui lutte contre les injonctions

Si les apprentis sportifs ont besoin d'être "convaincus", c'est aussi parce que l'activité physique s'est transformée en diktat parfois inte­nable.

Des fitgirls aux icônes de la tech, les nou­veaux modèles de réussite impliquent toujours, dans leur storytelling, un agenda calibré intégrant a minima un enchaînement de postures de yoga, un jogging ou bien des "burpees" (exercices de flexion qui imitent le saut de la grenouille) effec­tués dans une salle de crossfit, où les jeunes cadres viennent se créer un corps "performant"...

"Depuis une vingtaine d'années, l'injonction à bouger est devenue institutionnelle, reprend le chercheur. Or, on oublie qu'à l'échelle de l'individu, les bénéfices de l'activité physique semblent parfois lointains dans le temps, qu'ils requièrent un gros effort pour un résul­tat incertain. Et qu'en termes d'arbitrage, il peut être difficile de se lancer dans une pratique dont les béné­fices ne sont pas visibles rapidement".

C'est ce qui explique certainement la popu­larité du lazy workout. Une ten­tative de se conformer molle­ment aux attentes de l'époque, sans réel enjeu. Et peut-être de concilier deux mondes, celui de l'encouragement à la perfor­mance, mais qui est aujourd'hui réinterrogé par le désir de réha­biliter la paresse.

Des essais comme celui de Lydie Salvayre, ancien prix Goncourt qui, dans Depuis toujours nous aimons les dimanches* propose une ode à la paresse, aux "lazy girl jobs" de Twitter mettant en scène la manière de garder son travail tout en en faisant le moins possible, de nou­velles propositions de rythme émergent. Un chan­gement de cadence plus slow, bon pour nos cer­veaux, bon pour la planète. Et peut-être pour nos corps aussi.

(*) Mars 2024, éd. Seuil.

Cet article a été publié dans le magazine Marie Claire n864 (août 2024)