Au terme d’une campagne houleuse, le 6 novembre 2024, le candidat républicain Donald Trump s’est imposé face à la démocrate Kamala Harris. L’homme de 78 ans devient donc Président des États-Unis pour la deuxième fois. 

Selon une étude effectuée par l’ONG PEN America, durant l’année scolaire 2023-2024, pas moins de 10 046 ouvrages ont été victimes de tentatives de censure, et cela, principalement en Floride, au Texas et en Iowa, trois États républicains, où Trump l'a très largement remporté. À quoi peut-on désormais s'attendre ? Comment ce second mandat risque-t-il de peser sur le monde de la culture ?

Trois questions à Lauric Henneton, maître de conférences en politique et religion aux États-Unis à l’Université de Versailles Saint-Quentin et co-auteur de Rock'N'Road Trip : Les États-Unis en 1000 chansons de l'Alabama au Wyoming.

Les ventes des livres, miroir de nos craintes ? 

Marie Claire :  À la suite de la réélection de Donald Trump, à quelles conséquences peut-on s’attendre aux États-Unis d’un point de vue culturel ?

Lauric Henneton : La culture est financée par le privé (dons, billetterie, philanthropie...) et le public, à trois niveaux : le niveau le plus local (municipal), le niveau intermédiaire de l'État, qui a une agence dédiée aux questions culturelles (de type "Arts Council", les dénominations varient) et le niveau fédéral en complément des apports locaux.

Si ça portera des coups à certains types de projets, ça ne va pas mettre la culture à genoux, car le niveau fédéral est inférieur aux niveaux plus locaux.

C'est généralement une source de financements par projet, un peu comme les financements européens. On peut donc s'attendre à ce que l'administration Trump taille dans les budgets des agences fédérales comme le National Endowment for the Arts, côté culture, et le National Endowment for the Humanities, côté sciences humaines.

Une partie du rayonnement culturel relève du Département d'État - soft power - et on peut imaginer que ça fasse partie des options s'il faut trouver des millions à couper. Mais si ça portera des coups à certains types de projets, ça ne va pas mettre la culture à genoux, car le niveau fédéral est inférieur aux niveaux plus locaux.

Depuis l’annonce de la victoire de Donald Trump, Associated Press a observé une montée exponentielle des ventes de dystopies, notamment La Servante écarlate, Fahrenheit 451 ou encore,z les livres de George Orwell. Comment interpréter cette poussée de ventes ? De quoi est-elle le symbole ?

C'est classique : une partie du public a peur et imagine que nous vivons une situation politique qui évoque ces grands classiques.

Quand Trump a été élu la première fois, en 2016, le roman de Sinclair Lewis It can't happen here (1935) a eu un regain de succès. L'élection de Trump n'était-elle pas le miroir de l'impossible montée du fascisme en Amérique, prophétisée par Sinclair Lewis ?

On projette dans la production passée certaines craintes relatives à l'avenir proche, c'est légitime et compréhensible. Mais la résistance politique passe d'abord et avant tout par le bulletin de vote. Or, on constate une certaine démobilisation de l'électorat de Joe Biden de 2020.

Quid du cinéma et de la musique ?

Pensez-vous que les initiatives de censure vont s’étendre au-delà de la littérature et inclure des restrictions sur les contenus artistiques, musicaux ou cinématographiques ? Si oui, quels sont les indices qui nous laissent penser cela aujourd’hui ?

Je vois mal comment on pourrait contourner ce qui est couvert par le premier amendement et la liberté d'expression. Même en utilisant des normes comme les restrictions d'âge pour les films. Et les financements publics de la production artistique sont très minces, surtout à côté des financements privés. Donc ce qui ne relève pas directement de la compétence du pouvoir politique - comme les programmes scolaires, mais uniquement au niveau des États, pas de l'État fédéral - me semble largement hors d'atteinte.

Au contraire, le passé récent nous indique que les périodes considérées comme réactionnaires sont des aiguillons culturels : les années 60 avec la contreculture et les protest songs, mais aussi le Nouvel Hollywood, les années Reagan et leur lot de satire sociale, les années "W" et évidemment le premier mandat de Trump.

Les studios de Nashville ou de Los Angeles feront toujours rêver les musiciens, et Hollywood attireront toujours. C'est un business, ne l'oublions pas. La Géorgie est certes un État républicain (qui a certes élu des sénateurs démocrates) mais qui a mis en place une fiscalité qui attire le cinéma et les séries.