C'est l'une des affaires criminelles françaises dont les nombreuses interrogations subsistent. Au printemps 2021, Monique Olivier, ex-épouse du tueur en série Michel Fourniret, a reconnu avoir joué un rôle dans la séquestration d'Estelle Mouzin, disparue le 9 janvier 2003 à l'âge de 9 ans, et a avoué avoir transporté son corps.

Alors que le dénouement de l'affaire semblait proche, quelques semaines plus tard, "l'ogre des Adrennes", qui a reconnu, en 2020, avoir tué la fillette, est mort en prison, laissant les familles de ses victimes sans réponse. 

Retour sur les principaux faits (et les nombreuses inconnues) de l'affaire Estelle Mouzin.

9 janvier 2003 : Estelle Mouzin disparaît

Il est un peu plus de 18 heures sur le chemin du retour de l'école, à Guermantes, petite commune de Seine-et-Marne, quand Estelle Mouzin disparaît.

La fillette de 9 ans devait se rendre au domicile de sa mère, Suzanne Mouzin. Ses parents vivent alors séparément, et sont en instance de divorce. Le père, Éric Mouzin, vit au Vésinet, dans les Yvelines, avec son grand-frère Arthur.

Estelle ne rentre pas à la maison. Sa disparition est signalée par sa mère en début de soirée. Une information judiciaire est ouverte le 10 janvier par le parquet de Meaux pour enlèvement et séquestration d'une mineure de quinze ans. Une passante affirme l'avoir aperçue à 18h15 près de la boulangerie, non loin de son domicile. Il s'agit de la dernière indication. À cette heure-là, il fait déjà nuit. 

Une disparition très médiatisée

L'appel à témoin est relayé dans toute la France. Le 14 janvier, tout le village est bouclé et fouillé. Les 1400 habitants de la commune sont interrogés. Des battues sont aussi organisées.

Pendant ce temps, les parents d'Estelle, Suzanne et Éric, mobilisent leurs contacts et frappent à la porte des médias. Une association au nom d'Estelle est même créée. La mobilisation s'accentue partout en France.

L'appel à témoins, avec la photographie d'Estelle Mouzin et son pull rouge, s'affiche sur des banderoles lors du semi-marathon de Paris, deux mois après sa disparition.

Franceinfo a fait le compte : l'année de la disparition d'Estelle Mouzin, 143 sujets lui ont été consacrés à la télévision.

Mais l'enquête stagne. Une audition aboutit à une première piste en juin 2003. Un enfant explique aux enquêteurs avoir été approché par un homme trois semaines avant la disparition de la fillette. Le portrait-robot est établi, mais la piste ne donne rien. Pourtant, l'homme ressemble à Michel Fourniret.

L'hypothèse Michel Fourniret, d'abord écartée

Quelques semaines plus tard, les enquêteurs ont une nouvelle piste, celle de celui qui sera surnommé plus tard "l'ogre des Ardennes". Michel Fourniret a été arrêté en juin, en Belgique, après avoir tenté d'enlever Marie-Ascension, une adolescente de 13 ans, à la sortie de l'école avec sa camionnette blanche. Au bout de dix kilomètres, la jeune fille parvient à s'échapper du véhicule. Une automobiliste la prend en charge et note la plaque d'immatriculation, permettant l'interpellation.

Les enquêteurs français se rendent en Belgique pour l'interroger, mais découvrent qu'il a un alibi. Le suspect était à son domicile, en Belgique, en train de passer un appel à son fils le soir de la disparition d'Estelle, en Seine-et-Marne. La piste est écartée.

Lors des fouilles réalisées au domicile de Michel Fourniret, une cassette vidéo avec un reportage sur la disparition d'Estelle Mouzin est retrouvée. Plusieurs photos de la jeune fille se trouvent aussi sur son ordinateur. Il nie toute implication et évoque un intérêt pour cette disparition.

En 2007, emprisonné, Michel Fourniret écrit au président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims. Il sollicite "la jonction des affaires Domèce, Mouzin et Parrish" (Il a avoué les meurtres des deux autres filles en 2018). Il affirme alors avoir des "explications" à donner aux familles.

Pourtant, le tueur en série continue de manipuler les juges, et conteste avoir joué un rôle dans la disparition d'Estelle Mouzin, en répondant : "Celle-là, c'est pas moi". Il est mis hors de cause. Les enquêteurs estiment son alibi solide, et que Guermantes ne se trouve pas dans le secteur habituel de ses crimes. 

L'enquête au point mort pendant presque dix ans

Le nom d'Estelle Mouzin devient alors plus rare dans les médias. Début 2008, un espoir est vite étouffé. Des policiers recherchent un corps enterré sous un restaurant asiatique en Seine-et-Marne, à 25 kilomètres de Guermantes. Il s'agit finalement d'os d'animaux.

La même année, Michel Fourniret est déclaré coupable des enlèvements, viols et meurtres de sept jeunes femmes, commis entre 1987 et 2001. Il est condamné à la perpétuité incompressible.

En 2010, le lien entre le tueur en série et l'affaire Estelle Mouzin refait surface, grâce à l'examen plusieurs scellés de "l"ogre des Ardennes". Des morceaux de lacets blancs et des gants en polaire noirs ont été retrouvés à son domicile. Aucun lien n'est établi entre avec la tenue de la fillette.

Pendant ce temps, le père d'Estelle Mouzin, Éric Mouzin, continue son combat. Il est partout, aux marches blanches annuelles à Guermantes, et dans les médias. Suzanne, la mère, a pris le large vers l'Afrique du Sud, avec la fille aîné du couple.

Le père d'Estelle a une idée. Il demande aux enquêteurs si le fait de vieillir le visage de la fillette disparue depuis sept ans aurait un intérêt. Un nouvel appel à témoins est lancé en 2010 avec le visage qu'Estelle pourrait avoir à l'âge de 16 ans.

Un avis de recherche d'Estelle Mouzin vieillie à l'âge de 16 ans

Pendant les années 2010, les faux-espoirs se succèdent. En 2012, un étudiant est arrêté. Sa valise contenait de nombreuses coupures de presse sur l'affaire Estelle Mouzin. Il était trop jeune en 2003, la piste est rapidement écartée. En 2017, un parallèle est cette fois-ci dressé avec l'affaire Maëlys, fillette de huit ans disparue pendant un mariage en Isère. La piste Nordahl Lelendais est aussi écartée, il se trouvait en Guyane en janvier 2003.

L'enquête piétine. Quinze ans après la disparition d'Estelle, en 2018, Éric Mouzin exprime sa colère, sur de France 2 : "C'est plus que de la colère, c'est de la rage et c'est aussi d'avoir été pris pour un con pendant toutes ces années." Il décide d'attaquer l'État pour faute lourde. "Aucun juge n’a pris le temps de lire l’intégralité du dossier et de donner des orientations aux recherches. Les policiers ont organisé le fait que les juges ne puissent pas comprendre ce dossier", avance son avocat, Maître Didier Seban.

2019 : Michel Fourniret devient l'unique suspect

L'enquête est relancée en 2019 par la nouvelle juge d'instruction, Sabine Khéris. Le 14 mars 2019, "l'ogre des Ardennes" évoque l'affaire Estelle Mouzin. Il dit avoir des "explications" à donner sur le sujet alors qu'il était entendu sur une autre affaire. Il ne fait aucun aveu. Affaibli, il évoquait quelques mois plus tôt, lors de son procès pour le meurtre de Farida Hammiche, en 1988, avoir une "mémoire vieillissante ".

En fin d'année 2019, Monique Olivier, son ancienne épouse et complice, revient sur l'alibi de Michel Fourniret. Il n'aurait pas téléphoné à son fils le soir de la disparition d'Estelle Mouzin. Il aurait en réalité demandé à son épouse de passer ce coup de fil, pour faire croire qu'il se trouvait à son domicile de Sart-Custinne, en Belgique. "C'était une instruction qu'il lui avait donnée le matin avant de partir", a précisé son avocat Maître Richard Delgenes. Pour la première fois, Monique Olivier change de version. 

Michel Founiret est mis en examen le 27 novembre 2019 pour "enlèvement et séquestration suivi de mort". Monique Olivier est aussi mise en examen, pour complicité.

Michel Fourniret reconnaît le meurtre

En mars 2020, Michel Fourniret est une nouvelle fois interrogé par la juge Sabine Khéris. Il avoue avoir tué Estelle Mouzin, en répondant : "Je reconnais là un être qui n’est plus là par ma faute. (...) C’est un fardeau lourd à porter, mais ça n’empêche pas de reconnaître les faits", a-t-il poursuivi.

Six mois plus tard, à l'issue d'une nouvelle expertise, des traces d'ADN "partiel" de la fillettee sont retrouvées sur un matelas qui avait été saisi en 2003, dans la maison de la sœur de Michel Fourniret, à Ville-sur-Lumes, dans les Ardennes. L'ex-épouse du tueur affirme qu'il a "séquestré, violé et étranglé" Estelle.

Début avril 2021, Monique Olivier déclare à la juge qu'elle était présente au moment de la séquestration de l'enfant. Elle donne également de nouvelles indications concernant le lieu où elle a été enterrée.

"Elle a donné des endroits, un chemin sur lequel elle l'avait accompagné en voiture. Il était descendu, c'était elle qui conduisait, il avait emmené Estelle Mouzin à l'endroit qu'elle a désigné. Mais l'endroit n'est pas non plus très petit donc, des années plus tard, il reste des investigations à faire", a précisé son avocat Maître Richard Delgenes à BFMTV.

De nouvelles fouilles ont été menées dans les Ardennes en 2021 et 2022, mais aucune trace du corps d'Estelle Mouzin, n'a été trouvée.

Michel Fourniret est décédé le 10 mai 2021 à 79 ans.

Le procès de Monique Olivier, condamnée à la perpétuité

L'année 2023 est marquée par le procès de Monique Olivier. Jugée pendant trois semaines au tribunal de Nanterre, l'ex-épouse du tueur en série est poursuivie pour son rôle de complice dans l'enlèvement et la séquestration d'Estelle Mouzin - ainsi que du viol de la tentative de viol de Marie-Angèle Domèce, jamais retrouvée, et du viol et de la complicité pour viol et de l'assassinat de Joanna Parrish.

"Je reconnais tous les faits, les trois faits qui me sont reprochés", affirme-t-elle dès le deuxième jour du procès, fin novembre rapporte BFMTV.

Durant la deuxième semaine d'audience, Monique Olivier revient sur la nuit où elle a rencontré Estelle Mouzin. "Quand je vois Estelle Mouzin pour la première fois, je suis choquée, même en colère de voir cette petite fille. J'étais révoltée et fâchée, j'ai même pas osé lui parler tout de suite", déclare-t-elle, avant de revenir sur le moment où elle s'est retrouvée seule avec elle. "Elle m'a dit qu'elle voulait voir sa maman, je lui ai dit qu'elle allait bientôt la voir. Je l'ai amenée aux toilettes, je lui ai donné à boire, puis je l'ai ramenée dans la chambre et j'ai refermé la porte car ça me faisait de la peine. J'aurais dû l'amener loin d'ici, je sais..".

Interrogée par le président de la cour sur son choix de ne pas sauver Estelle Mouzin, elle répond : " Je ne sais pas, je ne sais pas". Ajoutant savoir qu'elle savait "que la fillette allait mourir".

Le 19 décembre, à l'issue de dix heures de délibéré, Monique Olivier est déclarée coupable, condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une peine de sûreté de 20 ans.

En lisant son verdict, le président de la cour précise : " La peine de la réclusion à perpétuité est juste, adéquate, et proportionnée à l’extrême gravité des faits où l’implication [de Monique Olivier] est totale", relaie l'AFP, repris par Le Monde.

Après cette annonce, Me Didier Seban, avocat des familles Mouzin et Parish, déclare à Franceinfo : "Ce procès n'a pas été à la hauteur des espoirs". Le père d'Estelle Mouzin estime que ce procès a apporté pour sa famille "une forme de soulagement".