"Viol sur ordonnance, encore combien ?", questionne en lettres capitales une pancarte en craft à l'entrée de la cour criminelle départementale du Morbihan lundi 24 février 2025, jour de l'ouverture à Vannes du plus important procès de pédocriminalité de l'histoire judiciaire française, à l'issue de quatre ans d'instruction. "Combien de vies brisées par un seul homme ?", interroge une autre banderole d'une manifestante.

Une affaire vertigineuse, un procès historique

Ce seul homme, Joël Le Scouarnec, est jugé pour 111 viols et 189 agressions sexuelles aggravés par le fait qu'il abusait de sa fonction de médecin. 299 victimes identifiées dans le cadre de ce procès qui devrait durer quatre mois, âgées de seulement quelques mois à 70 ans. Mineures en majorité, elles avaient en moyenne 11 ans. Précisément, 285 avaient moins de 20 ans, 256, moins de 15 ans, au moments des faits. Ceux-là ont été commis entre 1989 et 2014, dans plusieurs hôpitaux de l'ouest de la France où exerçait Joël Le Scouarnec.

Le chirurgien pédiatrique agressait sexuellement ou violait ses patients pendant des opérations médicales, alors qu'ils étaient toujours anesthésiés, ou juste après, lorsqu'ils étaient encore comateux pendant la phrase de réveil. Ainsi, et c'est un autre élément vertigineux de cette affaire, la plupart des victimes ont appris ce qu'elles avaient subi par les enquêteurs.

Ça tourne !

Cinq ans de prison supplémentaires maximum, pour 299 nouvelles victimes 

L'accusé encourt 20 ans de réclusion criminelle. En 2020, à l'issue d'un premier procès à Saintes, la cour d'assises de Charente-Maritime l'avait reconnu coupable, après quatre jours de procès à huis clos, du viol d'une voisine âgée de 6 ans et d'une nièce, ainsi que d'agressions sexuelles sur une jeune patiente et une autre nièce. Il avait alors été condamné à 15 ans de prison.

Le septuagénaire, aussi surnommé "le chirurgien de Jonzac", risque donc, après les 75 jours d'audience de ce nouveau procès, "seulement" cinq années supplémentaires, puisque la peine maximale pour les crimes pour lesquels il est poursuivi est de 20 ans en France. "Une aberration" que pointe Maître Marie Grimaud, avocate de 48 parties civiles - ils seront 63 confères et consœurs à se succéder à la barre au cours de ce procès hors-norme - au micro de France 3 Bretagne : "Que vous violiez un enfant ou 300, la peine reste la même. Ce procès est l'occasion de réinterroger la loi. Nos femmes et hommes politiques doivent repenser cette aberration là."

En 2005, à Vannes, Joël Le Scouarnec avait été condamné pour la première fois, pour détentions d'images pédopornographiques, à quatre mois de prison avec sursis sans obligation de soin ni restriction dans son exercice médical.

Me Maxime Tessier, l'un des deux avocats du chirurgien à la retraite, a déclaré lundi 24 février devant la cour criminelle, à l'ouverture de ce procès-fleuve, que son client "se reconnaît responsable d'une très grande majorité des faits". Avant d'ajouter : "En aucun cas, Monsieur Le Scouarnec ne cherche à se défausser de ses responsabilités derrière des ordres." 

Car ce procès permettra également de comprendre les défaillances institutionnelles : comment s'expliquent trente années de sévices impunies, sans qu'aucune alerte ou suspicion ne soit soulevée. "Médecins agresseurs, violeurs : Ordre des médecins complice" peut-on lire à Vannes, sur une des banderoles déployées par quelques manifestants. Une dizaine s'est aussi rassemblée à Paris, devant l'Ordre national des médecins.

Le témoignage qui a mis fin à 30 ans d'impunité

Le silence se rompra finalement en 2017, à Jonzac (Charente-Maritime), où il vit alors. La voisine de Joël Le Scouarnec, fillette âgée de six ans, raconte à ses parents le viol qu'elle vient de subir. Le couple porte directement plainte. La petite fille fera partie des quatre victimes reconnues du procès de 2020.

Lors d'une perquisition à son domicile en mai 2007, à la suite de cette première plainte-clé, les gendarmes découvrent des poupées - l'une a les poignets enchaînés -, des dessins d'enfants nus, 300 000 photos pédopornographiques au total, apprendra-t-on au cours de l'enquête... Ils mettent aussi - surtout - la main sur les journaux intimes du chirurgien. Et découvrent l'horreur : des descriptions précises, glaçantes, de centaines d'agressions sexuelles et viols, classés méthodiquement.  

Les "cahiers noirs" qui ont révélé l'ampleur de l'affaire

L'analyse de ces carnets, dans lesquels il consignait ces crimes, a permis aux enquêteurs de réaliser l'ampleur de l'affaire, de déterminer le nombre - minimum - de victimes, et de les identifier : dans ces milliers de pages très détaillées, Joël Le Scouarnec citait leur nom, âge et adresse. Il décrivait aussi les violences qu'il aurait chaque fois commises - des cunnilingus ou des caresses, des pénétrations digitales ou rectales - et précisait où elles auraient été perpétrées - au bloc, en salle de réveil ou dans la chambre des patients -, et si ceux-là étaient alors endormis.

Le médecin, qui écrit en avril 2004 dans l'un de ces carnets être "un grand pervers", "à la fois exhibitionniste [...], voyeur, sadique, masochiste, scatologique, fétichiste [...], pédophile" et en être "très heureux", a classé, entre 1984 - date à laquelle il mentionne une agression sur sa nièce alors âgée de 7 ans - et 2006, 256 fillettes et garçons en deux catégories : "Vulvettes" et "Quéquettes". 

Entre 1990 et 2017, il y fait le récit quotidien des potentielles sévices qu'il aurait infligé à de jeunes patients, dans tout l'ouest de la France - et pas seulement Jonzac comme son surnom médiatique pourrait laisser penser - dans chaque hôpital où il a exercé, de Quimperlé (Finistère) à Loches (Indre-et-Loire), jusqu'aux Sables d'Olonne (Vendée) et enfin, Jonzac (Charente Maritime). 

FranceInfo cite l'un de ses écrits, daté de juin 1991 : "Et c'est là que nous fûmes surpris dans notre intimité complice et que je dus te quitter précipitamment. J'aurais voulu te revoir seule. Lorsque je suis entré dans ta chambre, hélas ta mère était déjà là (...) Le risque décuple le plaisir." À plusieurs reprises, il tutoie ainsi ses victimes, comme s'il leur adressait une lettre : "Je t'aime", "mon chéri, comme tu étais beau"...

D'autres pages révèlent son mode opératoire :"Je me suis proposé pour le surveiller en salle de réveil et c’est ainsi que je me suis retrouvé seul avec lui", relaie TF1. "Je suis pédophile et je le serai toujours", affirme-t-il dans un carnet le 25 décembre 2016.

Face à ces preuves tangibles, colossales, Joël Le Scouarnec reconnaît être l'auteur des cahiers. "Si c'est écrit, c'est que vraisemblablement ça a dû arriver", lâche-t-il au cours de l'enquête. Il soutient tout de même que certaines scènes décrites de ses consultations médicales révélaient davantage du fantasme que de la réalité. Au premier jour du procès, il répète : "Si je compatis à la souffrance qu'ont pu provoquer, chez chacune de ces personnes, l'extrême violence de mes écrits, je me suis efforcé de reconnaître les viols mais aussi de préciser ceux qui, à mes yeux, n'en étaient pas", comme rapporte Le Télégramme.

Si tout au long de ces prochains mois, dans la presse, ce procès prendra le nom du prédateur sexuel, les parties civiles espèrent qu'il sera surtout celui de la reconnaissance et de la réparation pour les victimes. Verdict le 6 juin prochain.