"Trois ourlets, trente balles. Et c’est ça à chaque fois que j’achète des pantalons." Un brin amère, Marion, 33 ans, fait le bilan rapide de son budget retouches. Du haut de son 1,57 m, cette Parisienne à la dégaine urbaine fait partie de celles qui ne peuvent pas se contenter de simplement passer à la caisse des enseignes de prêt-à-porter pour s’habiller.

Replier la longueur trois fois, la faire systématiquement raccourcir, retrousser sans cesse les manches de ses pulls et manteaux pour espérer faire usage de ses mains, encore soupirer devant les coupes surtaillées de certaines pièces dans l’air du temps… De nombreuses femmes – ignorées par les diktats de la mode et les patrons de l’industrie du prêt-à-porter – doivent user de 1001 stratagèmes pour se vêtir avec dignité… Sans exploser leur porte-monnaie.

Un vestiaire à tailler sur-mesure

Car rien n’est jamais vraiment pensé pour celles qui mesurent moins que la taille moyenne des Françaises (1,639 m selon les chiffres d'une enquête Obepi-Roche datée 2020). Outre les jeans trop longs, les trenchs et les manteaux ont vite des faux airs de peignoir, les chemisiers des allures de chemises de nuit et ce qui devrait être une veste ou un bomber ajusté ressemble souvent à un blouson emprunté à l’un des hommes de son entourage.

Des maux stylistiques qui, en dépit de leur apparence anecdotique, impactent bien plus que le budget shopping des principales concernées. "Ma taille a clairement façonné mon vestiaire : je ne m’habille pas du tout comme je veux", avance Charlotte, 39 ans, qui porte exclusivement des jupes et des robes pour s’éviter de devoir reprendre tous ses pantalons ou de rehausser ses tenues à l'aide de talons. "En plus, depuis quelques saisons, les jupes rallongent et les fentes montent de plus en plus haut… Rien qui n’arrange mes affaires !", remarque-t-elle. 

Comme Charlotte, la plupart des femmes qui frôlent tout juste le mètre 60 ont développé une espèce de sixième sens pour scanner visuellement les rayons des magasins et passent des heures à scroller les internets en quête de nouvelles pièces. Jeux de proportions maîtrisés, lignes verticales et couleurs qui allongent… Rien n’est laissé au hasard, quitte à se faire violence face à un coup de cœur jugé déraisonnable.

D’autres se tournent vers des marques asiatiques au sizing adaptées aux morphologies locales — au Japon, par exemple, les femmes mesurent en moyenne moins d’1m60 — ou des labels qui développent des gammes dites "petites", pour l’instant encore rares en France. Enfin, quelques-unes optent pour un choix plus radical et foncent sans sourciller au rayon enfant.

Entre stratégies d’évitement et rayons enfants

"J’ai lâché l’affaire : je vais carrément chez Zara Kids", confirme Julia, 44 ans, dont le mètre 53 lui permet de rentrer aisément dans un jean taille 14 ans. "Au début, j’avais un peu honte, et puis, je me suis rendu compte une ou deux fois dans les cabines d’essayage que je n’étais pas la seule à user de cette technique", explique celle qui avoue allègrement s’habiller aux rayons enfants. Un choix qui peut s'avérer certes judicieux, mais qui n’est pas sans limites. "Les coupes sont plus simples, les matières souvent cheap et impossible de trouver des pièces un peu sexy ou sophistiquées. Donc, je jongle. Je mixe enfant, adulte, seconde main et je compense avec les accessoires", conclut-elle.

Car au-delà de considérations techniques, comme la taille, la matière ou le prix, le vêtement reste une question d’image, d’allure, de reflet de soi que l’on confronte inlassablement à la perception des autres. Or s’habiller quand on est petite, c’est aussi lutter contre une infantilisation constante.

"En plus de ne pas être très grande, physiquement, je fais plus jeune que mon âge", souligne Marie, 41 ans, médecin généraliste à Paris. "Donc lorsque je me rends au travail avec mon look habituel – jean + sweatshirt + baskets – je sens bien que certain-e-s patient-e-s me prennent moins au sérieux que lorsque je viens dans une tenue BCBG", commente-t-elle, consciente que dans le domaine professionnel, l’habit fait encore le moine, y compris et surtout pour les femmes. Faute d’être prises en compte, ces dernières continuent de miser sur le système D, en espérant qu’un jour la mode pensera enfin à elles autrement qu’en taille enfant.