"Si je parle aujourd'hui, c'est parce que je veux que mon histoire personnelle touche le plus de femmes possible, qu'elle ait un écho. Je me moque qu'on me reconnaisse ou pas. Oui, c'est intime et difficile, mais c'est pour ça qu'il faut la crier haut et fort. Le plus ironique dans cette aventure, c'est qu'il y a quelques années, vous m'auriez trouvée le poing levé en train de dire que je ne voulais pas d'enfant, quitte à froisser du monde.

À l'époque, j'avais une petite trentaine. Franchement, il y a mille raisons de ne pas en faire, sans même parler de l'état de la planète.

Moi, j'y ajoutais une touche personnelle, une relation conflictuelle avec ma mère. À l'adolescence, je vivais à Nice où j'ai reçu une éducation relativement sévère, j'ai beaucoup fugué. Attention, ce n'était pas une enfance malheureuse, mais disons une adolescence pas facile. L'autre raison, c'est que je vivais avec mon copain de l'époque une relation compliquée. C'était passionnel, mais usant, avec beaucoup de hauts et de bas, sans jamais réussir à y mettre fin.

Au fil des ans, j'ai subi trois avortements, une première fois très jeune et deux fois avec une relation sérieuse.

Mes histoires duraient entre deux et cinq ans, idem quand je suis montée à Paris pour travailler dans la mode. Toujours entre deux défilés, deux présentations, deux shootings, deux trains, deux avions, un rythme de vie incompatible avec la maternité.

Presque "périmée"

Voilà, j'en étais là lorsque j'ai accompagné ma meilleure amie pour réaliser un "test de réserve ovarienne" dans une clinique parisienne.

Depuis trois ans, elle galérait pour procréer, elle passait cette échographie de l'utérus et un test sanguin afin de savoir si son corps possédait suffisamment d'ovocytes. Je me suis dit : c'est bien de savoir, comme ça, on est fixé. Je vais le faire aussi.

Je n'avais pas imaginé la réaction du gynécologue : "Vous voulez des enfants, mademoiselle ? Si c'est le cas, il va vraiment falloir vous dépêcher, vous êtes presque périmée." Ce jour-là, je me suis pris une grosse claque. Cette violence m'a énormément blessée. Pire, ces mots sont restés gravés dans ma mémoire.

La parenthèse du confinement

Dès lors se pose la question de la congélation des rares ovocytes qu'il me reste. Seulement, en 2020, il faut aller en Espagne.

Quand je m'inscris, le premier confinement arrive. À ce moment-là, je n'ai pas envie de faire d'enfant avec mon copain, car notre relation est trop conflictuelle et je ne suis même pas sûre d'en vouloir tout court. J'ai 33 ans et je ne veux juste pas effacer cette possibilité de ma vie.

Je me sens enfin prête à me concentrer sur la congélation d'ovocytes.

Confinée à la campagne, je cogite beaucoup. À la fin, on emménage ensemble, mais ses problèmes d'addiction n'en sont que plus apparents. Nous décidons de nous séparer et je me sens enfin prête à me concentrer sur la congélation d'ovocytes. La loi vient de changer, c'est autorisé, mais il y a de longues files d'attente. Sauf qu'avec mon piètre bilan réalisé avant, je suis prioritaire.

Aucune diplomatie

Pendant quinze jours, on me fait des injections d'hormones, puis une anesthésie générale afin de faire la ponction du maximum d'ovocytes. Je n'avais pas imaginé que les hormones puissent produire un tel effet. Sans accompagnement psychologique, je tombe en dépression. Tout se mêle dans ma tête, les questions de maternité, ma relation avec ma mère, allant même jusqu'à des pensées suicidaires...

À l'hôpital, tout est froid, mécanique, impersonnel, on change tout le temps d'interlocuteur. En salle de réveil, je me retrouve avec des femmes venant d'accoucher et d'autres enceintes. À la fin de la procédure, une voisine de chambre a réussi à congeler vingt ovocytes et moi trois... Bien sûr, on apprend ça sans aucune diplomatie.

Je suis au fond du trou et je décide d'être suivie par une psychologue. Au même moment, une copine me raconte faire des FIV depuis des années et vivre la même chose, ça me rassure un peu.

Je rencontre Alexandre...

Peu de temps avant, je rencontre Alexandre, un garçon qui travaille dans la musique. Un mec gentil qui me fait du bien, mais il est trop tôt pour se projeter, d'autant que je suis particulièrement lente en matière de sentiments. Pourtant, il est présent à mes côtés sans être envahissant.

Au fil des mois, je vais faire une deuxième et troisième ponction en étant suivie de près par ma psy pour encaisser le coup. À chaque fois, il y a moins d'ovocytes à l'échographie. On me dit carrément : “Cela ne sert à rien de revenir. Vous êtes quasiment stérile. Pour faire un enfant, mieux vaudrait que vous bénéficiiez d'un don d'ovocytes...”

Sauf que l'enfant n'aurait pas mes gènes. Je suis effondrée, je pars un mois en Inde en solo pour tenter de me ressourcer.

"Et là, je tombe enceinte !"

Au retour, mon histoire avec Alexandre devient plus sérieuse, nous commençons à avoir des projets ensemble et à vivre de belles choses. Pendant plus d'un an, je ne me protège plus, à quoi bon ? J'ai trop souffert, la maternité est devenue un non-sujet pour moi.

J'ai repris ma vie en mode “fast life”, puis arrive un moment où, selon toute vraisemblance, je tombe... enceinte.

Bien sûr, je refuserais d'y croire quasiment jusqu'à la fin. Alexandre est ravi, il dit qu'"après tout ce que tu as vécu, c'est un miracle ! C'est le destin !". Moi, je suis sous le choc, puis je découvre la peur de ne pas aimer mon enfant et toutes ces questions taboues qu'on se pose, mais qu'on n'ose pas verbaliser.

Après avoir admis être enceinte, je me persuade que ce sera un garçon, comme une page blanche, une nouvelle histoire à créer et voilà que c'est une fille. Le fantôme de mes relations avec ma mère revient me hanter. Enceinte, je travaille jusqu'au bout du bout possible. Dans la foulée, on déménage et je quitte le cœur serré mon petit appartement de 30 m2 .

Et puis, une séance d'haptonomie me permet pour la première fois d'entrer en connexion avec ma fille, cela m'apaise jusqu'aux consultations des sages-femmes à l'hôpital, qui se passent mal. Elles finissent par comprendre que si je réagis mal, c'est que mon stress atteint un niveau anormal. Mon histoire et les fameuses phrases d'une violence totale balancées à voix haute par les gynécologues les éclairent. Désormais, elles font plus attention, elles sont aux petits soins, et l'accouchement se déroule bien.

La puissance de l'amour maternel

Aujourd'hui, notre fille a trois mois et il n'a jamais été question de ne pas lui donner mon amour. Au bout de ce parcours du combattant, il n'y a que de la lumière.

L'amour maternel est d'une puissance insoupçonnée qui dépasse tous les doutes. Nous n'avons pas de place en crèche, mais on se débrouille, Alexandre est dans son rôle de papa à fond, et je continue de travailler, c'est indispensable à mon équilibre.

Quand je suis avec ma fille, je suis à 200 % avec elle. Son regard a bien sûr effacé ce qui s'est passé, et à présent, c'est ma force.

Cette naissance n'est pas un miracle, mais le fruit de beaucoup d'efforts et de souffrance, un cheminement, presque un voyage.

J'ai voulu raconter tout cela pour dire aux autres femmes que la médecine n'est pas une science exacte, et aux professionnels d'expliquer les choses avec plus d'empathie et de douceur quand ils s'adressent aux futures mères.

Cette naissance n'est pas un miracle, mais le fruit de beaucoup d'efforts et de souffrance, un cheminement, presque un voyage. Et de l'autre côté, les médecins doivent proposer le plus d'accompagnement possible. Aujourd'hui encore, le milieu médical manque de bienveillance et ne considère pas certains propos comme des violences verbales.

Une phrase sur ma “date de péremption” supposée a gâché trois ans de ma vie. Qui sait si cela ne m'a pas bloquée dans mon désir d'être mère ? Je tiens à remercier tout de même l'équipe de la maternité des Diaconesses qui a su me comprendre, m'écouter et rendre mon accouchement serein et inoubliable."

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Article publié initialement dans le magazine Marie Claire n°874, daté juillet 2025