Le 20 août dernier, plus que l’image d’une équipe victorieuse célébrant son sacre, c’est celle d’un baiser forcé qui a fait le tour du monde. 

Lors de la finale de la Coupe du monde féminine de football (qui s’est tenue du 20 juillet au 20 août 2023, entre la Nouvelle-Zélande et l'Australie), Jenni Hermoso, joueuse de la Roja espagnole, a été embrassée sans y avoir consenti, par Luis Rubiales, alors président de la fédération espagnole de football

Un mois plus tard, en septembre 2023, l'homme niait toute accusation d'agression sexuelle devant la justice espagnole. De son côté, la Fédération s’est excusée tardivement auprès de la footballeuse, via un communiqué paru le 5 septembre

Sur les réseaux sociaux, un élan de soutien s'est manifesté dès la publication des photos témoignant du geste, soutenu par d’autres équipes et athlètes, mais aussi par des personnalités comme Natalie Portman - figure du mouvement #MeToo est fondatrice d’une équipe de foot féminin à Los Angeles. 

De son côté, Jenni Hermoso est longtemps restée silencieuse. Alors qu’elle aurait dû savourer son sacre, elle décrit les semaines qui ont suivi la victoire de son équipe comme "très difficiles"

Nommée personnalité de l’année par la magazine américain GQ, la joueuse s’est livrée, dans un long entretien paru le lundi 6 novembre 2023, sur les répercussions de son agression et sur sa volonté de faire vivre le football féminin, coûte que coûte. 

"J'ai reçu des menaces"

La numéro 10 explique avoir été fortement heurtée par l’affaire et sa retombée médiatique. 

Le 25 août, Jenni Hermoso avait ainsi publié un communiqué sur X (ex Twitter) qualifiant les justifications de Luis Rubiales - qui parlait alors de "baiser consenti" - comme "catégoriquement fausses" et faisant "partie d'une culture de la manipulation qu'il a lui-même générée", ajoutant qu’elle s’était "sentie vulnérable et victime d'un acte impulsif, sexiste et hors de propos sans aucun consentement de sa part".  

Dans les colonnes de GQ, elle complète, près de trois mois plus tard. "J'ai dû assumer les conséquences d'un acte que je n'avais pas provoqué, que je n'avais pas choisi ni prémédité. J’ai reçu des menaces, et c’est une chose à laquelle on ne s’habitue jamais", confie-t-elle au journal. 

La "sur-couverture médiatique", ainsi que les sorties véhémentes et régulières de son agresseur l’ont également marquée. 

"Devoir en entendre parler encore et encore me faisait beaucoup de mal. Je continue à y travailler avec l'aide de mon psychologue, avec qui je travaille depuis de nombreuses années. Pour moi, la santé mentale est aussi importante que l'entraînement quotidien. Grâce à cela, je me sens forte et je ne suis plus déprimée”. 

Un soutien international très fort 

D’autant que l’ampleur internationale qu’a pris l’affaire a positionné la joueuse comme un symbole mondial de la lutte pour l’égalité homme-femme dans le sport, malgré elle.  

Quelques heures après le baiser forcé, l'équipe nationale féminine espagnole a réagit, annonçant refuser de participer à des matchs internationaux, tant que les dirigeants de la fédération restaient en poste. Une décision qui a suscité la création du mouvement féministe #SeAcabó (C'est fini, ndlr). 

"Au début, c’était difficile de comprendre ce qui se passait ; le mouvement qui s’est déclenché. Je suis très reconnaissante du fait que tant de personnes soient à mes côtés, à nos côtés. Des actrices, des footballeurs, certains de nos rivaux à la Coupe du monde comme l'équipe d'Angleterre, que nous avons battue en finale. Tout cela m’a donné la force de continuer et de traverser cette épreuve pour tout le monde", commente Jenni Hermoso.

Jorge Vilda, ancien sélectionneur de l’équipe a depuis été limogé et Luis Rubiales a finalement démissionné le 11 septembre dernier - après avoir été suspendu par l'UEFA, dans le cadre de l’enquête en cours (afin de décider s'il sera poursuivi pour "agression sexuelle").

De son côté, la FIFA l'a suspendu pour 3 ans de "toute activité liée au football", annonçait un communiqué du 30 octobre

"Le mouvement #SeAcabó doit apporter une nouvelle ère"

Mais aujourd’hui, Jenni Hermoso aimerait surtout que l’on parle d’elle comme de "quelqu'un qui a voulu hisser l'Espagne au sommet mais, surtout, comme quelqu'un qui a essayé de changer beaucoup de mentalités". 

"Heureusement ou malheureusement, cette histoire existe, mais je vais apprendre à en profiter positivement pour me battre pour ce que je crois être bon pour la société. Le mouvement #SeAcabó doit apporter une nouvelle ère", assure-t-elle auprès de GQ

D'autant que depuis des années, l'internationale dénonce les inégalités dans le football.

"Ils nous ont traités de capricieuses (...) ont toujours dit que nous voulions gagner la même chose que les hommes et ce n’était pas vrai. Cela me met très en colère quand on dit que le football féminin ne génère pas autant que le football masculin. Nous le savons évidemment et nous n’avons jamais demandé à être payés comme eux. Nous voulions simplement l'essentiel : avoir un salaire minimum, être respecté et avoir la possibilité de faire quelque chose de très grand. Dès que nous l’avons eu, nous avons remporté un championnat du monde".

Utiliser son statut de championne du monde pour faire bouger les lignes du foot espagnol

Jenni Hermoso compte désormais utiliser son titre de championne du monde pour faire briller les exploits footballistiques féminins. "En tant que championnes, nous sommes davantage entendus. Si je dois mettre mon visage en avant pour obtenir un changement, je le ferai”. 

À plusieurs reprises, elle a d’ailleurs affiché son soutien à "Las 15" - les quinze joueuses qui s'étaient mises en retrait de la sélection nationale pour dénoncer les méthodes dictatoriales de l'ancien sélectionneur Jorge Vilda et les inégalités salariales -. Une partie d'entre elles a accepté de réintégrer l'équipe le 20 septembre dernier, après une "série d'accords trouvée", relatait alors France Info

"Quand j'ai commencé, j'avais l'impression que je ne pouvais pas avoir un avenir en tant que professionnel. Pour les nouvelles générations de joueurs, l’horizon est très prometteur. Cela me rattrape maintenant à 33 ans et je vois une fin très positive à ma carrière, et c'est grâce au combat de celles qui ont ouvert la voie", appuie Jenni Hermoso. 

Et si la retraite n'est pas encore une question qui se pose pour l'athlète, elle assure déjà qu'elle usera de son temps pour "accompagner les filles qui rêvent de se consacrer à ce sport".