Elle est l’une des figures emblématiques de la voile sportive au féminin. Quelques semaines avant le départ de la transat Jacques Vabre, qu’elle prendra aux côtés de son co-skipper Pierre Brasseur sur l’IMOCA MACFS, Isabelle Joschke est revenue avec nous sur son parcours, ses valeurs, et ses rêves d’enfant qui sont chaque jour plus grands.
Déterminée et engagée, la navigatrice donne de la voix pour plus d'égalité et une meilleure reconnaissance de la course au grand large au féminin. Rencontre.
Marie Claire : Commençons par le tout début : comment êtes-vous arrivée à la voile ?
Isabelle Joschke : J’ai découvert l'appel du large sur des plans d'eau fermés. Mes débuts à la voile, c’était sur des lacs en Autriche, près de chez ma grand-mère. À l’époque, ce qui me faisait rêver, c’était de m'imaginer partir sur mon Optimist, traverser le lac et aller dans des endroits que je n'avais jamais visités.
J'aime bien en parler et me souvenir que lorsque j’étais petite, le lac me paraissait immense. Aujourd'hui, j'ai l'impression de réaliser ces mêmes rêves-là, en allant sur les océans.
J'ai découvert la navigation en mer beaucoup plus tard. J'avais 19, 20 ans. J'ai fait un stage de voile au Glénan, j'ai complètement mordu à l’hameçon. Très vite après, j'ai fait ma première traversée de l'Atlantique… À ce moment-là, je faisais des études de littérature et j'ai complètement bifurqué : j'ai choisi de devenir skipper.
Vous aviez déjà une attirance à ce moment-là, pour la course au large ?
Les choses se sont faites au fur et à mesure. J'étais étrangère au milieu de la régate. La voile sportive, c'est une chose à laquelle je n'avais pas eu accès. Lorsque j’ai quitté mes études de littérature, je suis d'abord devenue monitrice de voile. Puis j’ai eu un brevet d'état d’éducateur sportif en voile et un brevet de skipper. De là, j'ai commencé à convoyer des bateaux, j'accompagnais les gens qui faisaient des croisières.
J'ai découvert la voile sportive par l'aventure du large. En même temps que je découvrais le Mini 6.50 - c'est un bateau de 6,50 mètres - j'ai rencontré des personnes qui allaient traverser l'Atlantique en course. Ça m'a donné vraiment envie de vivre une aventure à mon tour, et c'est comme ça que je suis rentrée dans ce milieu.
Qu'est-ce qui a nourri, au fil des années, cette passion et cette carrière ?
C’est clairement mes rêves d'enfant. Même si aujourd’hui, j’ai fait bien plus que traverser un lac, ces rêves sont toujours intacts au fond de moi et c’est eux qui me font vibrer.
Quand j'ai décidé de m'acheter mon premier bateau pour participer à la Mini Transat, j'avais ces images du lac de mon enfance en filigrane. Je le voyais dans mes rêves.
Aujourd'hui, ce n'est plus ça le moteur principal. J'ai vécu une première grosse expérience en faisant le Vendée Globe 2020-2021. Là, j'ai été confrontée à moi-même. Et aujourd'hui, ce que je vais chercher, c'est en lien avec ce que j'ai vu lors de cette course, et ce que j'ai envie, quelque part, de transcender.
Avec le recul, quel regard portez-vous sur cette course du Vendée Globe 2020 ?
Je me suis rendu compte que j'étais tombée dans tous les pièges dans lesquels je ne voulais pas tomber, notamment au niveau gestion mentale et psychologique. Je m’étais dit que ça ne servait à rien d’avoir trop d’attentes, et finalement, j’en avais et je les réprimais. Résultat, j’ai ressenti beaucoup de frustration… Je crois qu’avec le recul, on peut dire que j’ai fait absolument l’opposé de ce que je voulais.
Évidemment, aujourd'hui, je vis tout ça comme un cadeau, parce qu’au bout du compte, ça a été très enrichissant même si sur le moment l’expérience n’était pas agréable. Ça a été pour moi une énorme leçon d'humilité.
Sur le moment, quand vous avez compris que la course était terminée pour vous, comment l'avez-vous géré ?
Paradoxalement, autant j'étais dans la résistance, la frustration, la colère avant d'abandonner, autant à partir du moment où je me suis dit “ok, là, je suis obligée de rendre les armes”, ça s'est fait instantanément. Comme une sorte de basculement durant lequel je me suis dit “maintenant, je ne peux plus lutter et j'arrête de lutter”.
Cette expérience de 2020 a-t-elle modifié votre préparation mentale ?
Je ne sais pas si cette course a modifié les choses, mais ce qui est sûr aujourd'hui - et c’est fondamental pour moi - c'est que ma préparation doit se faire dans le respect de qui je suis.
Ma préparation sportive, elle va se faire dans le respect, par exemple, de mon état de fatigue, de mon corps, d'éventuelles blessures… Et bien ma préparation mentale, c'est exactement pareil. Ce que je ne fais plus et que je ne veux plus faire, c'est passer en force.
En quoi consiste aujourd’hui votre entraînement en amont de ces courses au large ?
Depuis quelques années, je pratique le Pilates. C'est vraiment la base de ma préparation. Il me permet de travailler le corps comme un ensemble qui a besoin d’harmonie. Grâce à ça, quand je suis sur le bateau et que je dois tirer sur ma voile qui pèse 80 kilos, alors que moi, j'en pèse même pas 55, je peux être en mesure de faire cet effort sans me faire mal.
Après, je fais aussi de l'endurance, de la course à pied. Depuis le dernier Vendée Globe, quasi quotidiennement, je prends des bains très froids. L'hiver, je vais me baigner dans la mer, et l'été, je me baigne dans un bain très froid. Ça apprend à être plus résistant au froid, ça sert à récupérer après les efforts physiques et à stimuler les défenses de l'organisme, ou encore à adapter l'organisme à un stress court et intense.
Côté préparation mentale - même si j’ai du mal à séparer le mental du physique - je travaille avec un fascia-thérapeute, qui est mon préparateur mental officiel. On fait de la méditation et de la gymnastique sensorielle, c’est-à-dire du travail psychique dans le mouvement. Enfin, j'ai d'autres outils dont une technique d'auto-hypnose qui s'appelle l'eino-thérapie, pour apprendre à gérer des situations de gros stress en mer.
Parlons de votre engagement par rapport à l'égalité femmes-hommes. Quel est votre regard en tant que professionnelle sur la place des femmes dans la voile ?
Dans la course au large, les femmes sont encore très peu représentées. Pourquoi ? Parce qu'on vit dans une société qui ne fait pas de place aux femmes, parce qu'on reçoit des éducations qui ne nous permettent pas de dire “Allez, j'y vais, je fonce, je prends ma place”, parce que les femmes ont moins confiance en elles, parce que les femmes gagnent moins d'argent, parce que ce sont les femmes qui s'occupent en majorité des enfants... Je pourrais continuer.
Il y a 1 000 raisons et ce sont les mêmes pour la plupart des métiers où les femmes se font rares, notamment dans les postes importants.
Il y a quelque temps, la question des sponsors a également été mise en lumière, notamment avec l’histoire de Clarisse Krémer…
Complètement. Clarisse, des gens lui ont dit ou fait comprendre qu'il fallait qu'elle choisisse entre être maman et faire de la course. À l'inverse, je ne crois pas qu'il y ait un seul concurrent à qui on a dit, "il faut que tu choisisses entre être papa et faire de la course".
Aujourd'hui, on vit dans un monde qui ne traite pas les femmes et les hommes de la même manière. Et ça se reflète notamment dans la course au large.
Pour œuvrer contre ces inégalités, vous avez créé votre association. Pouvez-vous nous en parler ?
J'ai co-fondé une association qui s'appelle Horizon Mixité, il y a un peu plus de dix ans maintenant. L'objet de l'association, c'est de participer aux changements dont le monde a besoin pour qu'il y ait plus de femmes dans des métiers soi-disant “d'hommes”.
Nous, on parle de la voile. On fait naviguer des femmes, par exemple, en équipage féminin pour qu'elles puissent ensuite avoir suffisamment confiance en elles et pouvoir intégrer des équipages mixtes. Cela permet de développer leur leadership.
En parlant de leadership, il y a aussi un manque de rôle modèle féminin dans la voile même si on voit plus de navigatrices émerger. Quelle femme vous a inspiré ?
Jeune, je n'ai pas eu beaucoup de modèles, pour toutes les raisons qu’on a évoquées. Un peu plus tard, il y a une personne qui m'a beaucoup inspirée et que j'aime beaucoup, c'est Ellen MacArthur. C’est à la fois une grande championne, mais en même temps, c’est une femme qui a toujours gardé les pieds sur terre, qui sait se mettre au service des gens, des causes, et qui est authentique.
On termine cette entrevue avec une question liée à l’actualité : vous allez prochainement* prendre le départ de la course Jacques Vabre. Comment vous sentez-vous ?
Plutôt sereine. Je commence à avoir pas mal d’expérience de ces courses-là. Je connais bien mon bateau. Et je suis très contente aussi du duo qu'on forme avec mon co-skipper, Pierre Brasseur. C'est quelqu'un avec qui j'ai déjà navigué à deux reprises et je trouve que ça matche super bien.
*l’interview a eu lieu le 3 octobre 2023 - Transat Jacques Vabre 2023, du dim. 29 oct. au dim. 12 nov. 2023
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